Deux francs-maçons en questions

Deux francs-maçons en questions

Un matin, curieuse de nature, je me suis réveillée avec l’envie folle de titiller, avec mes questions, un franc-maçon.
Ca tombait bien, j’en connaissais un dans mon entourage et ô surprise, un autre est sorti du bois. Et puis un autre encore. Aurais-je découvert un nid ?

Quoi qu’il en soit, deux francs-maçons ont accepté de répondre à mes questions en leur nom propre et en aucun cas en répresantant leur obédience. Je les en remercie publiquement.

Et c’est ainsi que Cali Rise entra dans la loge avec Monsieur X et Monsieur Z, respectant ainsi leur anonymat total.

Voilà, aucun prosélytisme dans cette interview qui, je l’espère, vous intéressera autant que moi. Le débat est ouvert.

1. Bonjour, Monsieur X, bonjour Monsieur Z.
Que répondez-vous à ceux qui prétendent que la franc-maçonnerie est une secte ?

Réponse de X : C’est exactement le contraire. Il est « difficile » d’y entrer et très facile d’en sortir.

Réponse de Z : Bonjour Cali Rise,permettez moi dans un premier temps de vous remercier d’avoir pensé à moi, entre autre, pour aborder le sujet de la Franc-Maçonnerie. Je souhaite également préciser à vos lecteurs que, par respect, j’ai choisi un vocabulaire simple et précis pour essayer de les éclairer sur l’Art Royal.
Donc, à des gens qui me parlent de secte, je dis tout simplement que nous en sommes très exactement le contraire. Chez nous, il n’y a pas de dogme, pas de gourou, nous respectons et acceptons toutes les religions, pas de bons ni de mauvais et que, s’il est difficile d’entrer chez les Maçons, il est par contre extrêmement simple de les quitter. Une simple lettre de démission fait l’affaire.

2. Qu’est-ce qui vous a amené à entrer en maçonnerie comme d’autres entrent dans les ordres ?
Si vous cherchiez à papoter avec des amis, pourquoi ne vous êtes-vous pas contenté de réunions au bistrot du coin ?

Réponse de X : (sourire) Même si par certains côtés c’est un ordre car il y existe un rituel et des règles de fonctionnement, la différence essentielle tient à la place de l’individu. En ce qui me concerne, j’y suis entré dans le but de trouver un lieu de réflexion, collectif et individuel, me permettant de continuer à avancer intellectuellement.
Ca nous arrive également de nous retrouver au bistrot du coin pour discuter à plusieurs. Contents que nous sommes de nous retrouver. Par contre, en tenue, l’organisation de la circulation de la parole, le degré d’écoute obtenu, les sujets traités donnent à nos « papotages » une qualité inégalée.

Réponses de Z : Dans les ordres dites-vous ? Ce n’est pas inexact. La Franc-Maçonnerie est un Ordre. Une communauté s’obligeant à suivre des règles de vie qui transcendent l’intérêt individuel. Et puis, il y a déjà tellement de monde au café du coin (*) qu’il me fallait trouver un endroit plus en adéquation avec ma recherche de sérénité.

3. Vaut-il mieux être un jeune blanc-bec ou un vieux con pour commencer à apprendre les rites maçonniques ?

Réponse de X : Quelque soit l’âge auquel on y rentre, l’apprentissage est le même. Et qu’importe l’âge civil, c’est la capacité des personnes à travailler sur elles mêmes qui est déterminante. L’intelligence et la sensibilité ne tiennent pas au poids des ans.

Réponse de Z : Un jeune blanc-bec ou un vieux con ? L’un et l’autre sont mal partis je crois. De même qu’il n’y a pas d’âge pour être con, il n’y a pas d’âge pour devenir maçon. Tout individu majeur, libre et suffisamment mature, de bonne volonté et de bonnes mœurs, peut frapper à notre porte avec de grandes chances d’être entendu. Peut-être même des cons sont ils présents en notre honorable assemblée, nous ne le saurons jamais, nous les appelons « mon Frère » (*)

4. La Maçonnerie est essaimée dans le monde entier, mais pourtant, la plupart de ses membres ne sont pas connus.
Rester discret sur son appartenance à une loge est encore d’actualité ou il existe une volonté d’ouverture aux profanes ?

Réponse de X : Il appartient à chaque maçon, et à lui seul, de décider de révéler ou non son appartenance. Chacun vit sa maçonnerie comme il l’entend. Une anecdote à ce sujet : il y a quelques mois je mangeais avec les parents d’une amie de ma fille. Lors de la discussion, je les informe du fait d’être franc-maçon, éclat de rire de leur part. Interloqué, je demande à comprendre. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’ils le savaient. Ma fille le leur avait dit lors de vacances passées avec eux. J’ai bien aimé...et souris à mon tour.

Réponse de Z : Cette discrétion est essentiellement présente dans les pays où les Maçons ont eu à payer, parfois de leur vie, leur appartenance. La France de Vichy et diverses dictatures en sont l’illustration. Je visite régulièrement des loges dont je suis membre en Ecosse et en Angleterre et je peux vous assurer que là-bas, la maçonnerie a pignon sur rue. C’est encore bien plus flagrant aux Etats-Unis.
Cela étant dit, chaque Maçon est parfaitement libre de se dévoiler où et à qui il veut. La seule réserve qui lui soit imposée est de ne pas dévoiler l’identité d’autres Maçons.

5. Historiquement, quelle est la première loge maçonnique ?

Réponse de X : Il y a un grand débat d’historiens à ce sujet. Il semblerait qu’il s’agisse d’une loge écossaise ou anglaise. Le début de la maçonnerie spéculative est flou, cela fait un peu partie du mythe... Ce qui m’intéresse dans cette histoire, c’est le pourquoi et le comment de la création des premières loges, pas trop la date exacte.

Réponse de Z : Pour autant que je sache, en nous référant à l’écrit, et pour parler de loge, les premiers procès-verbaux connus attestant de l’existence d’un rituel de réception sont datés de 1598 et proviennent de la loge Mary’s Chapel à Edimbourg (The Lodge of Edinburgh). Elle est, comme on le dit « The Mother Lodge » et porte le n°1. Mais la maçonnerie lui est bien antérieure...

6. Qu’est-ce que vos années passées au sein de cette loge ou atelier vous ont apporté ?

Réponse de X : Deux choses essentielles et qui vont ensemble : une meilleure qualité d’écoute de l’autre et une plus grande tolérance.
Le partage d’une véritable fraternité, la connaissance d’hommes et de femmes que je n’aurais pas connu ailleurs, l’apprentissage du langage symbolique ; ce sont aujourd’hui des « plus » pour moi.

Réponse de Z : En quelque circonstance que ce soit, il n’est jamais simple de parler de soi-même. Alors je dirai que je pense avoir appris à mieux me connaître, appris à savoir écouter les autres, et à les voir en tant qu’Hommes et bien d’autres choses encore. Mais le chemin initiatique est long et il me reste encore beaucoup plus à apprendre que je ne sais déjà.

7. Le compas, l’équerre, le niveau, l’atelier, la planche ou encore maître, vénérable, temple, sont des mots du vocabulaire très symbolique des Maçons.
Pouvez-vous expliquer le sens de chacun ?

Réponse de X : Les trois premiers sont des « outils » symboliques. Ils ne sont rien en tant que tel, ils ne sont importants que par la valeur symbolique que nous leur reconnaissons. Cette symbolique n’est pas figée, elle évolue tout le temps du parcours maçonnique de chacun de nous. Notre regard et les valeurs que nous leur associons évoluent également. Enfin, l’association des outils leur confère des charges symboliques propres.
L’atelier et le temple sont des lieux de « travail ». La planche est le résultat de ce travail, lu en loge. Maître est un grade maçonnique. Vénérable est une appellation liée à une fonction présente ou passée.

Réponse de Z : Vous êtes vraiment épatante (*), vous me présentez des outils dont certains représentent les deux tiers des trois grandes lumières d’une loge (**). Pour ne pas trop compliquer les choses je vais essayer d’être le plus profane possible en vous disant, par exemple, que l’équerre peut indiquer la rigueur, le niveau l’égalité et le compas la mesure ; tout ceci dans la plus large acception des mots.
Le nom de Maître Maçon, qui est un grade, est attribué à celui qui, entré apprenti, puis passé compagnon, a acquis les connaissances suffisantes pour en être digne.
Le Vénérable Maître est en fait le président d’une loge. Il est choisi et élu par les membres de la loge parmi les Maîtres de celle-ci.

8. S’il faut laisser les métaux à la porte du temple, la capitation n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour une fois que je parlais sérieusement, il faut qu’un mot de la langue française se glisse dans ma bouche.
Est-ce qu’au fond la franc-maçonnerie est ouverte à tous ? Il faut être assez élevé socialement pour y entrer, non ? Un smicard ne pourra pas payer sa cotisation...

Réponse de X : C’est un réel problème. La franc-maçonnerie doit s’ouvrir sociologiquement si elle veut être riche de sa diversité. De la même façon, elle doit rajeunir. En ce qui me concerne, je paie une capitation inférieure à 400 euros par an. J’ai été plus d’un an au chômage, et si je n’avais pu la payer, elle aurait été prise en charge d’une façon collective par le tronc de la veuve. C’est déjà arrivé pour des frères en difficulté.

Réponse de Z : Il en a de la chance ce mot...oups, pardonnez moi, cet écart de langage (*). Je côtoie, dans les ateliers que je fréquente, des hommes de toutes origines sociales, de l’ouvrier au haut-fonctionnaire en passant par les professions libérales et celles de l’artisanat ou du commerce. Chacun règle sa cotisation. Je conçois, certes, que ce soit plus ou moins facile pour les uns ou les autres, mais sachez que c’est beaucoup moins cher que vous ne pouvez l’imaginer, du moins dans nos provinces. Et puis, n’oubliez pas que la Franc-Maçonnerie est une Fraternité...

9. Dites, tout contre mon oreille, vous me susurreriez votre mot de passe pour pénétrer dans vos locaux ?
Vous avez une façon particulière de vous saluer entre Frères ?

Réponse de X : Non, je ne vous donnerai pas mon mot de passe. Il existe en effet des façons de se « reconnaître » en se saluant. Mais je ne prise pas trop ces pratiques. Etre adhérent à une obédience maçonnique ne fait pas obligatoirement le « maçon » dans mon esprit.

Réponse de Z : Pensez vous que si je me glissais si près de votre oreille ce serait pour vous susurrer un mot de passe ?
Enfin, si vraiment votre tentation est trop forte, je peux parfaitement vous faire visiter ces locaux. Sachez toutefois qu’il n’y aura que vous et moi (*). Oui, je vous confirme que les francs-maçons disposent en effet de mots et de signes leur permettant de se reconnaîtrent entre eux. Le plus simple est bien connu, nous nous embrassons trois fois (***), à éviter toutefois chez les anglo-saxons, peu au fait de cette pratique (*).

10. Je souhaite aborder le chapitre de l’admission (Je peux faire le pitre si vous faites le chat. Ou vous pouvez me chapitrer si je me mêle de ce qui ne me regarde pas).
Il suffit de demander à Google un renseignement sur la Franc-Maçonnerie et il nous trouve en quelques secondes tout un tas de sites, plus ou moins bien faits, je vous l’accorde.
On nous explique comment faire pour prendre contact avec une loge et écrire sa demande et on nous précise qu’il faut être parrainé par deux membres.
Comment procède-t-on ? On se met au milieu de l’avenue et on crie à tout-va qu’on aimerait devenir Franc-Maçon ?

Réponse de X : Il y a deux façons de le faire, soit de connaître un franc-maçon et de lui en parler, soit en écrivant au secrétariat des obédiences pour formuler votre demande. La règle des deux parrains n’existe pas dans toutes les obédiences.

Réponse de Z : Je ne suis pas certain que cette méthode soit la bonne si vous oubliez de crier également le pourquoi de cette démarche.
Non, je plaisante, c’est en fait beaucoup plus simple.
Soit, dans votre environnement, un maçon pense que vous avez le potentiel pour et il vous contactera ou vous fera contacter et vous parrainera.
Soit, vous adressez une lettre de motivation à l’obédience de votre choix, vous serez contacté et un parrain vous sera trouvé.
Mais si vous en connaissez un, adressez vous à lui. Il ne pourra peut-être pas vous parrainer mais il saura vous mettre sur le chemin.

11. Pierre, feuille, ciseau... C’est un jeu maçonnique ? Pas à ma connaissance.
Pourquoi dit-on que la Marseillaise, le Temps des Cerises ou encore L’Internationale sont des chants maçonniques ?

Réponse de X : Ce ne sont pas des chants maçonniques. Par contre, la musique et/ou les paroles ont été écrites par des francs-maçons pour certains d’entre eux. Il en va ainsi de nombreuses créations artistiques sans pour cela que ça leur confère une étiquette maçonnique. Il existe des chants purement maçonniques qui dans le passé ont participé directement aux cérémonies maçonniques ou qui y participent encore.

Réponse de Z : La pierre et le ciseau vont bien ensemble, le papier est brûlé. Il faut bien commencer à apprendre un jour...Mais pour répondre à votre question le jeu auquel vous faites allusion dérive du jeu de la mourre pratiqué depuis l’antiquité. Ne voyez pas là malice de ma part. N’ayant aucune idée sur la qualité de Maçons de ses inventeurs je m’abstiendrai d’affirmer ou d’infirmer cette pseudo-fraternelle paternité. Par contre, bien que très mauvais en musique, je sais que Rouget de Lisle était Maçon, mais qu’il n’a pas composé la Marseillaise. Il a composé le « chant de marche pour l’armée du Rhin » qui a changé de nom un peu plus tard. Jean-Baptiste Clément et Eugène Pottier sont eux devenus maçons après que leurs œuvres aient été connues. Vu ainsi, on peut dire que ces trois œuvres sont maçonniques...de même que la guillotine de notre Frère le bon docteur Guillotin.

12. Et bien, il est temps de prendre congé...
Quand m’invitez-vous à un banquet où nous nous livrerions à des agapes ? A moins que vous préféreriez m’envoyer blackbouler ? Encore une petite chose, qu’est-ce qu’elle vous a fait cette veuve pour que vous n’en gardiez que le tronc ? Un baiser ?

Réponse de X : La fête familiale du solstice d’été est dans mon atelier ouverte aux non-maçons. J’y ai déjà invité des personnes qui voulaient rencontrer des maçons dans leur diversité.
Certaines tenues blanches sont ouvertes aussi à des profanes. Quand à vous blackbouler ça me sera toujours impossible. Je ne suis pas dans une loge mixte et il n’y a aucune raison que j’intervienne dans la décision d’une loge de vous accepter ou non à la rejoindre.
La veuve. Sourire. Elle est à mes yeux, un élément des plus importants de la loge. C’est le moyen de mettre en pratique la réalité d’une fraternité proclamée.
Un baiser ? Avec plaisir, mais à la russe tant qu’à faire !

Réponse de Z : Déjà ? Que le temps passe vite !
Vous inviter à déjeuner sera un grand plaisir mais ne rêvez pas de nos agapes, elles sont frugales et si vous souhaitez une blanche ce sera dans un bar mais pas dans mon atelier ; les blanches n’ont pas cours chez moi. Quant à vous blackbouler, quand bien même le voudrais-je, que je ne le pourrais ; les femmes n’ont pas droit de cité dans mon obédience. Et puis, encore faudrait-il que vous postuliez (*). Ah, le tronc de notre veuve...c’est amusant mais le plus souvent il se porte bien (*) il peut même parfois nous aider quand ça va mal ; merci maman (*).

Mais permettez moi, je vous prie, de vous questionner à mon tour : Etes vous la petite sœur du Grand Maître et quelle règle a régi la préparation de vos questions ? Je trouve en effet très amusant que vous m’ayez questionné en douze points (***). Est-ce votre régle ?

Mon Dieu, mais vous blasphémez, très cher ! Ou serait-ce que vous me pensiez déesse ? Je pourrais jouer sur le D et sur le S mais ce n’est pas le lieu, n’est-t-il pas ?
Les douze points sont voulus, exact. Vous êtes d’ailleurs, le seul à l’avoir remarqué. Est-ce un signe ?

Légende :
* sourire
** rire discret
*** grand éclat de rire

Légende :
* sourire
** rire discret
*** grand éclat de rire