Interview Jean-Luc Romero

Interview Jean-Luc Romero

Converser avec Jean-Luc Roméro, c’est échanger avec un homme engagé, un combattant actif contre la maladie et les intolérances de la société, un amoureux de la vie, vivant chaque jour comme si c’était le dernier avec un caractère et une aura qui forcent l’admiration et le respect.
Roméro est un animal politique de terrain qui se bat pour des lendemains meilleurs. Roméro mérite qu’on lui donne la parole et qu’on l’aide et le soutienne dans ses révoltes et ses convictions .

1. Jean-Luc Romero, bonjour. Vous êtes Conseiller Général d’Ile-de-France, président de plusieurs associations dont celle du collectif Sida, grande cause nationale 2005 et le président-fondateur de ELCS (Elus Locaux Contre le Sida), de "On Est Là" ! et de Aujourd’hui Autrement. Vous êtes aussi ancien secrétaire de l’UMP, secrétaire national du Parti radical chargé de la lutte contre les discriminations, vice-président de l’AMD (Association pour le droit de Mourir dans la Dignité), président d’honneur de l’AFCP (Association Française des Collaborateurs Parlementaires) et vice-président du CRIPS d’Ile-de-France. Et vous êtes encore auteur de quatre livres dont le dernier paru en septembre 2004 chez Ramsay s’intitule "Je n’ai jamais connu Amsterdam au printemps". J’espère n’avoir rien oublié. Vous ne trouvez pas que cela fait beaucoup pour un seul homme ?

Il est vrai que j’exerce de nombreuses responsabilités car je me suis engagé dans beaucoup de combats. Il y a bien des moments où je pense à me dégager de certaines de mes responsabilités, mais, malgré le doute, je continue. D’abord parce qu’actuellement, je vis seul et que j’ai donc du temps pour servir et être utile aux autres. Ensuite parce que je crois que si j’ai survécu plus de 20 ans au sida, c’est parce que j’ai toujours été dans l’action. Mon hyper activité, c’est aussi le meilleur des traitements que j’ai trouvés à ce jour ! Et cela ne va pas s’arrêter car je sors mon 5ème livre en février !

2. Est-ce que c’est à cause de la phrase de Jacques Chirac « A l’avenir, tout homme politique qui n’aura pas de site Internet sera ringard » que vous avez créé votre site et votre blog ? Lequel des deux a vu le jour en premier ?

Non, il y a bien longtemps que Jacques Chirac n’a plus d’influence sur mes décisions... Mon site existe depuis de nombreuses années. Contrairement à mon blog, je ne le gère pas seul. J’étais frustré par mon site, car il ne me permettait pas de dialoguer et de me confronter à des gens qui ne pensent pas forcément la même chose que moi. Le blog, c’est une vraie richesse pour un responsable politique.

3. Vous passez à la télévision, vous parcourez la toile assidûment, est-ce que d’être aussi proche de ces médias vous permet d’être mieux entendu ?

Je défends des combats qui sont parfois tabous, notamment dans ma famille politique. Si je n’avais pas d’écho médiatique, je ne suis pas persuadé que dans le cadre des partis politiques, je pourrai faire avancer aussi efficacement mes idées.

4. Certains vous reprochent de vous enfermer dans un ghetto en parlant beaucoup des homosexuels. Les faire (re)connaître est pour vous une obsession, un combat de tous les jours ?

D’abord mon combat de tous les jours - jours fériés compris - c’est celui contre le sida qui d’individuel est devenu un combat collectif. Le principal ! Le plus difficile aussi.
Pour les homos, tant qu’il n’y aura pas une égalité totale entre homos et hétéros, je continuerai ma lutte. Curieusement, on ne reproche pas à la plupart des élus qui se sont spécialisés dans un seul domaine - agriculture, défense, économie, etc.. - de n’avoir qu’un domaine d’action... De plus, me concernant, je trouve cette accusation injuste car j’interviens sur toutes les questions de société : euthanasie, toxicomanie, sida, intégration. Cette semaine, je crois qu’on m’a beaucoup entendu sur l’affaire Humbert. Ceci dit, comme dit ma copine Roselyne Bachelot, mieux vaut avoir une étiquette que pas d’étiquette du tout !

5. Dernièrement, l’abbé Pierre a sorti un livre chez Plon « Mon Dieu... pourquoi ? » dans lequel il avoue avoir eu des relations sexuelles, dit ne pas être contre l’adoption d’enfants par des couples homosexuels et est pour le mariage des prêtres. A 85 ans, on ne peut le taxer d’avoir voulu faire un coup médiatique. L’Eglise a sans doute frémi à ses propos. Elle tremblerait sûrement si je lui posais cette question : pensez-vous qu’un jour on verra des prêtres homosexuels marié et pères de plusieurs enfants ? (Surtout que le Vatican juge les homosexuels inaptes au sacerdoce et demande fermement aux évêques du monde entier de ne plus ordonner de prêtres homosexuels ou ayant des "tendances homosexuelles". Cette "instruction" officielle, approuvée par le pape Benoît XVI, ne concerne pas les prêtres en exercice). Votre avis sur la question ?

Le nouveau pape n’est pas un progressiste et ses pairs le savaient en l’élisant. J’espère seulement que l’Eglise va comprendre qu’il lui faut s’adapter enfin. Au risque de perdre encore plus nos fidèles. Quand j’étais gamin, j’étais enfant de cœur et les églises étaient pleines. Aujourd’hui, je suis frappé de constater à quel point les fidèles disparaissent peu à peu...

6. Comment expliquez-vous la recrudescence de la contamination au VIH et le désengagement de beaucoup ?

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, l’arrivée en 1996 de nouveaux traitements a donné le sentiment que le sida n’était plus qu’une maladie chronique. Alors qu’elle reste une maladie obstinément mortelle dans le monde, mais aussi en France ! Ce sentiment a conduit les pouvoirs publics et les medias à baisser la garde.

Résultat, il n’y a jamais eu autant de personnes qui vivent avec le sida et les contaminations reprennent fortement. La communauté homosexuelle a aussi baissé la garde à tel point qu’un gay sur 10 est contaminé - un sur cinq à Paris ! Il faut aujourd’hui trouver un message pour les plus jeunes qui croient que le sida se soigne comme une grippe. Mais aussi un signal pour celles et ceux qui vivent avec le sida depuis longtemps et à qui on n’a pas su adresser un message d’espoir.
La maladie n’a jamais été aussi invisible : plus personne n’ose dire qu’il est contaminé ! Il faut remobiliser pouvoirs publics et medias !

7. Vous pratiquez du sport et sortez beaucoup. Tout cela vous aide-t-il à oublier la maladie ou reste-t-elle constamment à votre esprit ?

J’essaie de faire du sport régulièrement - 2 à 3 fois par semaine - pour pallier les effets secondaires de mes traitements. En effet, je souffre de lipodistrophies, c’est-à-dire de graisses disgracieuses qui me complexent. Mais aussi parce que cela est efficace contre le diabète dont je souffre à cause - encore ! - de mes traitements. Quant à sortir, je sors très peu. Mais il est vrai que lorsque je sors - au Banana notamment -, je n’ai plus envie de rentrer chez moi ! J’ai toujours aimé faire la fête et le monde de la nuit.

8. Vos quatre livres parus sont des témoignages sur votre vie privée et votre parcours politique. Vous en vendez beaucoup ? Quel retour avez-vous de ceux qui les lisent ?

Quand vous êtes un homme politique, vie privée et vie publique sont souvent imbriquées. Mes livres n’en sont que le reflet. J’ai désormais un lectorat fidèle qui fait que si mes livres ne sont pas des best seller, ils se vendent très bien comparés à ceux de beaucoup d’hommes politiques. Je reçois énormément de courrier et de mails après chaque parution. Après la révélation de ma séropositivité dans Virus de vie, j’ai reçu nombre de témoignages qui m’ont bouleversés. Je reçois aussi des menaces et des insultes mais cela reste minoritaire. Peut-être pas avec la sortie de mon prochain livre qui ne va pas plaire à tout le monde !

9. A l’heure où beaucoup critiquent la politique de Nicolas Sarkozy, continuez-vous à le soutenir ?

Avec Alain Juppé - et Jean-François Copé qui a été très correct avec moi lors des dernières régionales -, il est l’un des rares responsables politiques à me respecter, à prendre en compte mes combats et à m’écouter. Je ne partage pas toutes ses options et je lui dis franchement ou le lui écris. Je ne connais aucun autre homme politique qui accepte à ce point le débat. Les autres m’utilisent quand cela peut leur être utile et me jettent ensuite. Pas Sarko ! Et le respect, cela n’a pas de prix en politique.

10. Que pensez-vous de la chanson de Renaud « P’tit pédé » ou encore de celle d’un jeune chanteur Alexis HK « Coming out » ?

Ces chansons véhiculent beaucoup de tolérance. Et vu la popularité de Renaud, ce n’est pas inutile !
Suite au procès Vanneste, j’ai reçu plusieurs lettres violemment homophobes. Le père d’un homo mort du sida me dit même que je suis responsable de la mort de son fils au même titre que les responsables du sang contaminé car j’essaie de normaliser l’homosexualité dans les medias !!! Alors, tout ce qui contribue à plus de tolérance... Merci à Renaud et Alexis !

11. La fin de l’année apporte toujours son lot de souhaits divers. Même si celle-ci n’est pas terminée, qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs du Journal Le Mague ?

J’ai pris du temps à vous répondre et l’année est commencée ! Pardonnez moi.

D’abord, je voudrais dire à vos lecteurs qu’ils vivent comme si chaque instant est le dernier. Il y a 18 ans quand on m’a annoncé que j’étais séropo, j’ai cru que j’allais mourir rapidement. Cela m’a permis de mieux profiter de la vie que celles et ceux qui se croient éternels.

Ensuite, je leur souhaite de croire comme moi en un idéal et de se battre pour y parvenir. Quand on croit à quelque chose on est indestructible... mentalement !

Belle année aux lecteurs du Journal Le Mague.

La nuit des petits couteaux - Qui gagnera la bataille de Paris ?- Editions Jean-Claude Gawsewitch - 9 février 2006

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Son blog

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