Mon concert Corse

Mon concert Corse

J’avais démarré la journée doucement. Mon esprit philanthropique m’avait contraint à participer à un marché de Noël au profit d’une maison de retraite. Résidence de sénilité où j’avais pu constater que même à l’état de légume il était encore possible de parler. Entre les « Vous êtes mon fils ? » et les « Je veux me lever Monsieur ! » des réfugiés de la Gouillette : pension pour 3ème âge, je vous jure que mon Sunday était parti sur les chapeaux de roues d’un déambulateur électrique.

Sur les coups de 16 heures, j’ai le réflexe instinctif de consulter mon agenda. Il était noté en rouge foncé Concert d’I.Muvrini à 17h. Putain j’avais oublié ! C’était pas force de me l’être fait rappelé par mon rédacteur en chef... shit ! shit ! re bull shit ! J’avais juste une heure pour m’extraire du 3ème âge et la cacophonie d’une salle de « vie » pour partir sur les routes de la polyphonie corse. Je retire donc mon costume de vendeur de gaufre, j’embrasse quelques personnes âgées en leur gueulant au sonotone « je reviendrais » à la façon de Fantômas, je passe sur mes épaules un tee-shirt Spider-Man et je file (ma toile).

On n’a pas idée de faire un concert à l’heure des poules... ou plutôt quand il y a un concert en plein début d’après-midi on sait tout de suite à qui est destiné ce fameux spectacle : à ceux qui ne sont pas encore à la Gouillette mais qui s’en rapprochent inexorablement. J’arrive sur les lieux en sueur et pourtant il fait moins beaucoup sur mon thermomètre.

Je prend ma place à l’accueil, je fais un bout de chemin dans la ronde des retardataires qui hurlent à l’injustice car ils doivent abandonner leurs téléobjectifs à l’entrée, je bouscule une dame avec une toilette sortie de chez Daxon en m’excusant d’être là, je m’extrais d’une famille nombreuse de sortie et je passe le bonjour à un monsieur perdu au milieu de ces gens car il doit être d’une faction indépendantiste minoritaire.

Là grosse stupeur : le bar est vide. Moi qui aie l’habitude de louvoyer entre les pécores pour m’arracher une pression, aujourd’hui j’ai place nette. J’en profite pour faire un petit calcul mental : à 3 euros la pression, combien devrais-je en boire pour équilibrer les comptes ? Au bout de 4 je me dis que je n’arriverais pas à écoper la Méditerranée seul, que César a peut être passé le Po à pied mais que le petit fils de Napoléon continuera de prendre le ferry. Sur cette défaite cuisante je m’enfonce dans l’enceinte maousse où vont se produire les polyphoniques.

On a installé des sièges partout ! Même dans la fosse ! Ordinairement c’est ma place. Malheureusement énormément de médecins généralistes, instituteurs, kinésithérapeutes et autres métiers très rentables restent sagement dans l’attente du début de spectacle. Ce n’est pas ce soir qu’on va pogoter et renverser sa mousse sur son voisin. Deuxième constatation, les amateurs d’I.Muvrini ne s’habillent pas tous en noir et ne se prénomment pas tous Dominique.

Des jeunes filles, très courtoises et très jolies, installent les gens dans les travées, je ne sais si c’est un coup de vapeur de mon marché de Noël mais je les prends pour des lutins ! T’en vois en haut, en bas, sur le côté, en diagonale. Elles bossent comme des ouf’ pour faire asseoir tout le gotha mondain qui se paye une tranche d’exotisme régionaliste. « Tribune 4 », « Allée C5 », tu te croirais dans une bataille navale. Dès que le gentil monsieur grisonnant est installé elles doivent cocher sa place sur leur grille et téléphoner aux copines le résultat ; quand c’est un troupeau de belges qui prend place, elles coulent un destroyer.

Ces gens ayant compris qu’il était préférable de claquer son pognon dans le chant corse que de se le faire prendre de force dans le maquis, ils trépignent en attendant l’heure I (Muvrini). La première partie débute alors que je viens de m’allumer un clope. Je file donc dehors car je ne voudrais pas importuner les spectateurs. Monsieur Cancer ne s’adresse qu’à moi. Quand je reviens je m’aperçois que même la dame qui chante sur la scène est toute de blanc vêtu. Quand je vous parlais du black qui sied si bien aux habitants de Calvi et Bonifacio : les traditions, ma bonne dame, cela se perd !

Je ne participe pas au concours des chaises musicales et reste sagement debout dans le fond. Tout le monde est content sauf moi, je préfère AS Dragon : en live Natacha se déshabille, alors que là c’est plutôt dans le contemplatif introspectif qu’elle usine la cantatrice. Une ouvreuse tente désespérément de me renvoyer à ma place. Je sens qu’elle veut gagner l’apéro d’après concert grâce à moi, mais je ne m’en laisse pas compter et reste inflexible.

Je sais que j’emmerde mon monde, les vigiles doivent me prendre pour un membre éminent de la Concolta Indipendentista, le garçon qui va racketter les riches au profit de son organisme. Je suis le FLNC à moi seul !

Soudain, proche d’une placeuse, vient s’installer une géante en noir ! La mère Noël a fait des petits avec le père fouettard. C’est une grande beurette. Je devrais me méfier car on a plutôt tendance à rencontrer des petits beurres dans une assiette que des grandes beurettes en faction. La première partie remercie le public bien sage qui l’a écouté et vire de scène sur des clapotis timides. Moi je continue de m’ennuyer. Alors j’entreprends de demander à la grande jeune femme si c’est plus difficile de surveiller le people à un concert de I.Muvrini ou à celui de Rammstein. En partie pour faire passer le temps mais surtout pour lui montrer que je ne suis en rien responsable des grèves sur l’île de beauté. Que je suis français moi ma petite fille !

Je suis peut être français mais je ne suis pas petit, je suis pile dans la moyenne : 1m78, cependant, quand je lui parle en me tenant bien droit j’arrive péniblement à causer à son cou, mais comme je me tasse avec l’âge je m’adresse plus souvent à ses seins tellement la demoiselle est grande.

Heureusement pour moi elle est gentille, non seulement elle s’abaisse pour discuter (qu’on dirait que je suis un nain), mais elle me parle des soirées terribles où le préfet essaye toujours de prendre en photo les musiciens sur scène avec son portable. Je confirme ne pas aimer les gens qui flashent à tout va mais je laisse mon animosité des préfets au placard car elle pourrait aussi sec me prendre à nouveau pour un nationaliste égaré dans l’hexagone.

Si j’avais mille âmes, je te les donnerais toutes. Je n’en ai qu’une, prend la mille fois... ; c’est sur ce proverbe espagnol que le concert débute. Jean-François Bernardini arrive donc sur scène avec son staff. Je l’aime bien JF, je l’ai rencontré, c’est un chic type. A mille lieux de ce qu’on pourrait croire. Bon il a un pull noir mais à part ça il est très gentil. Ce groupe est sympa, il chante un dialecte parlé par 40 000 personnes mais ils ont au moins la décence de faire traduire sur un grand écran les paroles des chansons.

Je ne fais pas le mariole auprès de la vigile en lui racontant des cracks sur le fait que je peux traduire toutes les paroles même sans l’écran (parce que c’est faux) mais je lui avoue que je suis pote avec Cali ou Devendra Banhart (parce que c’est vrai). Elle me cause entre deux gueulantes des insulaires comme quoi elle s’occupe aussi d’une salle de spectacle, beaucoup plus petite que celle où l’on se trouve et elle me précise que la dernière fois qu’il y a eu une date c’était un truc gay et lesbien.

Elle est jolie et marrante mais je sens qu’elle veut me piéger. Que je vais finir au poste. Karcherisé par la bande à Sarko. Racaille et Corse, mon compte est bon pour perpétuité. De plus comme on est obligé de parler fort pour se faire entendre (car les corses en groupent gueulent comme pas possible), et un monsieur fort civilisé mais dont on sent l’irascibilité, nous demande de mettre un bémol ou de dégager. Lui il a pas compris le message de paix de JF et de sa clique. Alma, Alma, ok ! Mais gare à ta gueule si tu bronches mon petit pote !

Je pourrais prétexter que c’est un contrôle de papiers, que c’est la grande sentinelle qui fait rien que de me tourmenter, que s’il est pas content il a qu’à s’en prendre à elle vu qu’elle est plus costaude que moi, mais je préfère saluer gentiment Stéphanie et lui souhaiter une bonne soirée.

C’était vraiment pas la journée de me foutre une île entière sur le dos !