La Bazooka, une danse bien calibrée

La Bazooka, une danse bien calibrée

Pendant deux jours, La Bazooka, un spectacle de danse automobile est venu dynamiter le morne quotidien havrais. Récit d’une aventure détonante.
20 heures. La nuit enveloppe Le Havre. Comme subitement déboussolés, les visiteurs du musée André-Malraux tournent le dos aux œuvres exposées. Ils ont le nez collé aux vitres du bâtiment. Que contemplent-il ? Le trafic portuaire ? Pas du tout. Ils attendent. Quoi ? La Bazooka !

Une bombe... Et ELLE finit par arriver au volant d’une Peugeot 404 de 1964. Du premier étage, les visiteurs voient la voiture se garer sur le parvis, tous feux allumés, en contrebas. Habillée de rouge et d’argent, La Bazooka est d’une féminité un peu tapageuse. Même en pleine nuit, vautrée sur les banquettes d’une antique 404 bleu ciel, on ne peut pas la rater. Eclairée par un plafonnier puissant, sa beauté est convulsive. Soutenue par une bande son énigmatique, la chorégraphie la propulse en long, en large, en avant, en arrière et même de travers.

Son corps se pâme et l’on oublierait presque la carrosserie qui l’enserre. Les accessoires automobiles deviennent ses complices dans le ballet qui nous titille.

Pendant que les cargos illuminés entrent au port sur une mer plate et noire, la vie terrestre s’agite au pied du grand sémaphore blanc. Les véhicules foncent sur le boulevard qui longe les bassins du port de plaisance. A quelques petits mètres de la 404, les joggeurs crachent aussi leurs poumons, les papys emmitouflés promènent leurs clebs... Les spasmes de La Bazooka n’échappent à personne. Et ses jeux de jambes étourdissent les conducteurs les plus prudents ! Subitement, les voitures ralentissent, dévient de leur trajectoire ou même s’arrêtent. L’accident n’est pas loin... L’imprévu fait partie du jeu. Des figurants involontaires vont ainsi entrer de plein pied dans les représentations.

Un groupe d’adolescentes, coiffées de ridicules bonnets de Père Noël, viendront jeter un œil à travers le pare-brise. Ignorant qu’elles font irruption sur « scène », n’imaginant pas la présence du « vrai » public dans leur dos, elles échangent leurs doutes et leur trouble. Après quelques moments d’inquiétude et un départ précipité, l’une d’elles s’enhardira pour venir ouvrir une portière. Comme pour proposer son aide si... La voiture est sonorisée. Nous ne ratons rien. Ni le son caractéristique du moteur de la 404, ni le claquement des portières, ni les mouvements, ni les voix.

Chacune des quatre représentations havraises a proposé un univers différent au gré des hasards qui peuvent survenir durant vingt-trois minutes devant le musée Malraux un soir de décembre. Et, parfois, l’imprévu n’a pas une gueule très sympathique. Pourtant, le samedi soir, la descente grandguignolesque des cow-boys de la BAC, secondés par la police municipale, gyrophare branché, avait un je ne sais quoi de burlesque. Surtout quand la danseuse, sur l’ordre téléphoné venu d’un mystérieux porteur de parapluie, est sortie brutalement de la voiture pour traverser l’avenue en courant. Les pandores ont bien tenté d’arrêter l’hystérique dans son élan. Mais comment arrête-t-on une danseuse qui va pieds nus sur le macadam glacial ? Finalement, La Bazooka est remontée libre dans sa 404 pendant qu’un flic ajustait son gilet protecteur devant un public à la fois rigolard et stupéfait.

Vingt-trois minutes, c’est court et c’est long... C’est également ce que doit penser la Momie Z que La Bazooka découvre dans le coffre de la 404. Toujours grâce à un appel téléphonique de l’homme au parapluie. Ce poème surréaliste se termine par un duo entre la Momie et La Bazooka sur le parvis. Quelques pas décalés plus tard, les deux compères remontent dans la 404 et puis s’en vont. Droits comme des i. La police n’a procédé à aucune arrestation et aucune bavure n’est à déplorer.

Produit par La BaZooKa, le centre chorégraphique national du Havre et l’Espace Akté, ce spectacle de danse automobile est un beau moment de respiration sensuelle et souriante.

Nous le devons à Sarah Crépin (La Bazooka), Etienne Cuppens (Momie Z), Arnaud Troalic (l’Homme au parapluie), Emmanuel Lalande (création et diffusion sonore), Philippe Ferbourg (création lumière).