Interview : I.Muvrini

Interview : I.Muvrini

Entre le folklore polyphonique et « l’enquête corse », I.Muvrini a du mal à se faire entendre pour ce qu’il est et non pas pour ce que la majorité des gens pensent de l’île de beauté. La tournée de promotion pour « Alma » et « Lettre à Sarah » est l’occasion pour Jean-François Bernardini de revenir sur l’image de son pays avec toute la tendresse des hommes qui savent parler juste. Rencontre dans les locaux de Radio France Nord.

« Alma » est à double racines ?

Jean-François Bernardini : « Une partie de l’album effectivement s’est faite à Johannesburg en Afrique du Sud avec des chanteurs anonymes de ce pays. Etre artiste c’est vivre dans la curiosité, c’est ce qui donne du sens au terme de « créateur ». C’est une manière légitime aussi de continuer notre chemin. La musique est le contraire de la séparation, de l’éloignement et de la distance. Elle consiste à suivre son intuition pour gagner de la force, du talent. L’Afrique du Sud ce n’était pas anodin, ce pays nous a permis de rêver, de prendre nos différences et de les marier sur un même diapason. On chante ensemble, on rit, on pleure ensemble. C’était un moyen de montrer également l’âme universelle de la Corse. Deux artistes sud-africains sont sur scène avec nous pendant la tournée. Affirmer et relier les hommes n’est pas un vain mot. »

Alors pourquoi avoir intitulé votre disque « Ame » ?

Jean-François Bernardini : « C’est bien de temps en temps de faire appel à l’âme. Marquer une certaine spiritualité tout en cherchant un peu de profondeur dans cette société qui se superficialise. En ce moment tout s’envole un peu plus chaque jour, être chanteur n’immunise pas contre ça et c’est pourquoi j’ai voulu redonner un sens autre qu’une tête de gondole en supermarché. »

Pourtant avec votre succès vous êtes fournisseur de ce type de clientèle ?

Jean-François Bernardini : « Ce n’est pas antinomique. Ce qui m’intéresse au premier plan c’est de savoir ce que l’on met dans notre musique et ensuite bien évidemment de ne pas prêcher dans le désert, sur notre petite montagne corse. On a plutôt l’envie d’exister sur le marché, sur la place publique, là où il y a des êtres humains. »

Votre musique demande aussi un effort, il faut rentrer dans vos textes et vos musiques sont peut être à l’oreille profane, difficiles d’accès ?

Jean-François Bernardini : « Parce qu’elles ne passent pas par les grands canaux. Ou alors très difficilement et l’on sait à quel prix d’énergie et de travail. Il faut choisir d’être vrai tout en trouvant l’accès au grand public. Le défi il est là ! Au départ on vous assigne dans des postures minoritaires, il est indispensable de s’en dégager. La solution vient de vous journaliste, du public qui vient chaque soir à nos concerts. On entend tout de la corse sur scène : le bruit et le vent. »

Votre discours engagé prend plus de sens gravé sur un CD ou sur scène ?

Jean-François Bernardini : « Les deux exercices sont beaux à vivre. Ce sont deux moments différents. Nous sommes heureux dans les deux et plein de douleur également. Je souhaite juste être à la hauteur. Quand vous mettez votre nom sur une affiche ou sur un livret vous devez donner rendez-vous avec le rêve, avec la beauté, avec de l’émotion et de la poésie. Il faut servir ces principes au mieux. »

Le disque marche bien apparemment ?

Jean-François Bernardini : « Le précédent aussi car nous sommes sur le terrain. Nous ne sommes jamais blasés. Y compris avec vous mêmes. Ce sont des moments précieux que de vous rencontrer. J’ai le sentiment que je ne suis pas ici comme un artiste qui vient vendre quelque chose mais bien comme quelqu’un qui a quelque chose à défendre. Nous ne sommes pas seulement dans une vision de la Corse mais bien dans une vision du monde pour un message planétaire : c’est le message de la singularité, de la diversité artistique sur la beauté et la richesse des hommes. »

Quand on parle de la Corse c’est toujours pour empiler les clichés ?

Jean-François Bernardini : « Il y a trop de régression intellectuelle quand on évoque la Corse. On est dans une pauvreté d’arguments dans le but de faire du mal consciemment. Ce qui me motive à partir de la Corse, mais connecté à plein d’autres réalités humaines, c’est de me poser la question de savoir comment l’on peut réduire une histoire de dignité et de reconnaissance à une bagarre de gendarmes et de voleurs. Je ne suis pas un petit chauviniste qui se sent blessé mais bien un artiste qui regarde le monde. »

Vous avez débauché au clavier Achim Meier qui était le compagnon de longue date de Stephan Eicher, comment sélectionnez-vous vos collaborateurs ?

Jean-François Bernardini : « Nous ne l’avons pas débauché ! (rire) c’est un mec extraordinaire, un pianiste fantastique. Comme Stephan s’arrêtait pendant plusieurs mois on lui a demandé s’il voulait monter dans le train pour notre aventure. La musique c’est comme dans la vie : avec certains ça colle tout de suite. Ce qui me motive c’est de rencontrer d’autres personnes, d’autres discours, d’autres manière de travailler pour m’enrichir. Qu’ils aillent dans le même sens que nous : l’authenticité. »

Le proverbe espagnol que vous avez mis sur le livret correspond très bien à votre groupe ?

Jean-François Bernardini : « Si j’avais mille âmes, je te les donnerai toutes. Je n’en ai qu’une, prend la mille fois. C’est ce que nous avons voulu raconter. C’est le fil de l’album. Comme la pochette avec les lignes de la main. On s’est rendu compte que les lettres de l’âme sont présentes sur chaque main de tous les hommes de la terre. Je voulais aussi faire figurer quelque chose qui rappelle que chanter c’est être et donner, une générosité en quelque sorte. Aimer et faire comprendre c’est beaucoup plus fort que menacer et faire peur. »

Vous expliquez de quelle manière le fait que vous soyez presque seul à représenter culturellement la Corse dans le milieu artistique ?

Jean-François Bernardini : « La bande musicale corse est comme toutes les autres : avec ses hauts et ses bas. Le problème vient du fait que chanter dans une langue qui est plus ou moins exclue des valeurs nationales exclu automatiquement de la vie radiophonique, du marché aussi. C’est assez politiquement incorrecte notre démarche, d’autant plus si ce sont des gens qui en parlent de manière intelligente. Mon disque ou même mon livre par exemple n’ont pas été chroniqués sur des quotidiens nationaux, et pourtant je suis sensé être le corse le plus médiatique. Je pense qu’il faut du talent, de la chance et qu’enfin tous ces jeunes qui ont quelque chose à dire trouent la couche d’ozone pour se faire connaître. La diversité on en parle beaucoup mais on se contente malheureusement d’en parler. »

Votre notoriété vient aussi sûrement du fait que de tout temps vous vous êtes ouverts à des artistes médiatisés qui venaient de tous les genres ?

Jean-François Bernardini : « C’est inhérent à notre nature. Nous n’avons pas cherché de recette miracle. C’est la Corse qui nous a appris le partage. Elle est au centre de la méditerranée, au cœur des influences du sud. Ce lien avec les autres nous l’avons proclamé depuis le début. Ce n’est pas toujours facile à plaider. Il y a ceux qui nous le reproche, ceux qui pensent que ce n’est pas bien pour l’identité Corse. »

Raymond Depardon a réalisé le clip de votre nouvelle chanson ?

Jean-François Bernardini : « Alors lui symbolise vraiment ce chercheur d’âme cinématographique et photographique. Avec sa caméra il fait parler le monde et la nature. Il a donné un véritable talent d’image à notre musique, il était enthousiaste comme un gosse. C’est un monsieur fabuleux. Pourtant personne ne veut passer ce clip à la télévision ! »

Je vais me faire l’avocat du diable mais peut être n’est ce pas dû à votre « corsitude » mais tout simplement au fait que l’on voit et que l’on entend de moins en moins de musique à la télé ?

Jean-François Bernardini : « Dès que l’on propose un programme avec un peu de sens cela n’intéresse pas ce média. L’espace réservé à la musique se restreint beaucoup. A croire qu’il ne faut qu’un mec avec une grosse voiture, bourré de fric et des filles nues qui passent en arrière plant. Encore heureux, qu’I.Muvrini a la chance et le bonheur d’avoir un public et n’a pas besoin d’exposition médiatique. »

I muvrini sur le net

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