Exposition à Londres : Dino et Jack CHAPMAN

Exposition à Londres : Dino et Jack CHAPMAN

De loin on pourrait croire qu’il s’agit d’illustrations pour enfants, ces belles planches en couleur illustrant les Fables de La Fontaine ou les Malheurs de Sophie. En y regardant de plus près, on s’aperçoit cependant que les personnages finement dessinés ont des viscères à la place du cerveau et une fâcheuse tendance à déverser leur intérieur (boyaux, sang, excréments, etc.) sur leurs voisins. Et lorsqu’ils se tiennent tranquilles, c’est qu’ils n’ont plus rien dans le ventre : squelettes décharnés, ils viennent hanter des rêves d’enfants ou tentent encore de se fourrer les doigts dans le nez.

De temps en temps on croise un nazi, puis des êtres hybrides clonés, ou des poupées fortement sexuées. Bref c’est une galerie des horreurs que nous présentent les frères Chapman, saisissant l’univers de l’enfance pour mieux enfoncer le clou et nous rappeler à grands renforts scatologiques notre perversité latente. Mais pour que notre poil se hérisse, il faudrait d’avantage de mordant et de conviction, et ne pas tomber dans une lourde et inutile énumération des vices de la nature humaine.

Salir l’enfance et mélanger du Tim Burton à des tortures de guerre semble être surtout destiné à séduire un public pseudo-rebelle avide d’un pseudo humour grinçant plutôt qu’à véritablement dénoncer quoi que ce soit. L’accumulation des clichés issus d’une société de citoyens bien pensants et contents de l’être est effrayante.

Aujourd’hui on dirait qu’il suffit de lister les déviances et petitesses humaines pour faire sens. Sans parler de la critique galvaudée de la société de consommation qui est devenue un prétexte à des œuvres d’art aussi vides qu’inutiles. Oui il faut continuer à montrer du doigt les méchants mais n’est-il pas temps d’apporter des tentatives de solutions, des échappées ou, tout simplement, d’affiner ces critiques grossières qui ne changeront ni le cours des événements ni les mentalités ? Il est bien sûr politiquement incorrect de critiquer une œuvre telle que l’enfer des frères Chapman : plus de cinq mille soldats de plombs sont mis en scène au sein de gigantesques installations mimant les horreur de la guerre en référence à la seconde guerre mondiale.

Clap clap : c’est bien. Quand on sait que Charles Saatchi, le grand gourou de la publicité, a acheté cette œuvre pour environ 1 million d’euros, c’est encore mieux.
Ne s’agit-il pas uniquement de marketing ? On rappelle que les frères Chapman (nés respectivement en 1962 et 1966) sont issus de ce qu’on appelle en Angleterre la Young British Artists Generation (YBA), de jeunes artistes diplômés du Royal College of Art dans lequel le magnat de la publicité vient précisément recruter ses poulains. Font ainsi partie de ce groupe les incontournables artistes contemporains britanniques Damien Hirst (celui qui a mis des requins ou des moutons dans un aquarium) ou Tracey Emin (qui étale sa vie personnelle et dont on connaît davantage les seins que les œuvres d’art, à l’exception du fameux lit où elle a couché pour la dernière fois avec son petit ami), tous exposés à la Saatchi Gallery.

Il n’est pas étonnant non plus de découvrir les frères Chapman à la White Cube où sont régulièrement exposés ces artistes dont le principal point commun est de faire beaucoup parler d’eux. A ce titre ils sont remarquables : en France, aucun artiste contemporain ne jouit d’un tel statut de « star populaire » et peut se vanter d’alimenter les débats au café du commerce. Ce serait une belle avancée dans la démocratisation réelle de l’art si ce n’était pas une stratégie marketing rondement menée et si les œuvres n’étaient pas, à ce titre, de beaux produits bien packagés.

Pourquoi pas ? Il est bien français de toujours vouloir dissocier le monde de l’argent, des affaires, de celui de l’art et de la culture. Le fait d’utiliser le marketing comme outil de promotion et même comme démarche inhérente à des créations est intéressant : on ne peut pas reprocher à ces artistes de vivre avec leur temps. Mais si les produits ainsi conçus deviennent de parfaits investissements pour le marché de l’art, ce ne sont pas des œuvres d’art. Pardon d’être réactionnaire.

Ceci dit cela fonctionne très bien pour eux, les britanniques sont très friands de cette génération d’artistes. Les frères Chapman, dans leur créneau, ont de bonnes recettes qu’ils appliquent avec intelligence. Par exemple, en bons critiques féroces de la société moderne, ils se sont attaqués à la chaîne américaine Mac Donald. Leurs figurines taillées dans du vieux bois, soi-disant issues d’une collection familial d’art tribal, étaient incrustées de logos de la chaîne américaine. Les masques et des statues vaudous étaient parfaitement bien représentés mais en s’approchant de plus près on remarquait d’étranges créatures : des hamburgers semblaient grignoter lentement le bois et le patrimoine culturel de cette tribu imaginaire.
Le public rit, il est flatté et tout le monde reconnaît ses valeurs dans cette fade critique.

Clap clap again. Encore une fois il ne s’agit bien évidemment pas de soutenir l’entreprise Mac Donald mais d’un ferme désir de trouver autre chose dans les œuvres d’art actuelles. On pourrait répondre que si Mac Do est toujours attaqué c’est que la chaîne continue à faire bouffer ses infects hamburgers à la planète entière, et que cela n’est pas près de s’arrêter. D’accord, mais cela ne prouve qu’une chose, c’est que faire de l’art gentiment engagé ne sert à rien. Il faudrait se pencher un peu plus la dessus et revoir les copies (on pense aussi, dans une autre catégorie, à Franck Scurti qui reprend sans cesse les symboles de la société de consommation, en réalité il y en a un paquet d’autres, on dirait qu’ils n’ont, en fait, rien à dire tous ces gens là).

Le fait que la critique s’émousse, voire qu’elle devient inutile n’est pas nouveau. Aux artistes de contourner le problème avec leur créativité et leur génie. Est-ce trop exiger ?

En ce qui concerne l’exposition proprement dite des gravures des Chapman, on a envie de bailler, ou de sortir immédiatement : l’humour est médiocre et l’étalage des laideurs humaines devient fatigant. Les références au maître espagnol Goya et à sa magnifique série d’eau-forte sur les horreurs de la guerre d’Espagne ne suffisent pas à masquer le vide.

De plus, lorsqu’on s’éloigne, on réalise que les œuvres sont élégamment accrochées de façon à représenter, à droite un chien entrain de déféquer, à gauche son comparse, la gueule ouverte entrain de vomir. D’où le titre de cette exposition : « comme un chien qui retourne à son vomi ».

Ah ah.

Vite trouver de la beauté quelque part.

White Cube, London, jusqu’au 3 décembre 2005

White Cube, London, jusqu’au 3 décembre 2005