Interview : Julien Clerc

Interview : Julien Clerc

Quand vous rencontrez Julien Clerc pour son dernier album studio « Double Enfance », il y a une chaleur humaine et une douceur dans le timbre de voix qui automatiquement vous font l’aimer. Cet homme aurait donc misé toute sa carrière sur un charisme évident ? Non, outre ses qualités personnelles il est incontestablement un très bon musicien qui sait s’entourer de fines plumes.

En prenant votre cas personnel, sur Une vie de rien, on se rend compte qu’en tant que chanteur vous avez une vie de petits riens qui font de grands touts ?

Julien Clerc : « C’est une chanson de Carla Bruni pour moi, mais elle semble être le souhait de tout le monde : le mélange du cocooning et de l’autre côté la grande vie. En étant chanteur j’ai eu la chance de le vivre.

Votre créativité a toujours été en relation avec des évènements personnels, est-ce encore le cas ?

Julien Clerc : « La créativité dans mon cas, ce sont les textes que les auteurs écrivent pour moi et qui connaissent la vie et la mienne plus particulièrement. Ils se sont toujours, et ne s’en sont jamais privé, servi de ma vie personnelle. Roda Gil lui, il était hors de question de lui dire ce qu’il devait écrire. Il avait des inspirations tellement propres... Je mettais ses textes en musique. Je suis un musicien et pour vous parler de création je suis obligé de vous parler de cette chose abstraite qu’est la musique. J’ai toujours eu la chance d’avoir de l’inspiration. Quand je me mets devant mon piano cela vient plus ou moins facilement. Sur cet album là, après cette période où je n’avais pas composé depuis longtemps je pense avoir été inspiré. C’était exaltant... dans ma vie personnelle aussi. J’ai été transporté ! »

C’est important que ce soit vos amis qui écrivent sur vous ?

Julien Clerc : « Ha ! Grande question... Ils le deviennent, ce qui ne facilite pas les choses. Il me semble difficile qu’il n’y ait pas d’affect entre deux personnes qui travaillent dans l’intimité d’une chanson. Par contre cela se complique énormément quand tout d’un coup l’on n’est plus satisfait du travail de l’autre. Le meilleur exemple c’est Dabadie qui a l’intelligence du cœur, et ainsi, rester un ami quand pendant plusieurs années je ne fais plus appel à son travail... mais tout le monde n’est pas comme lui. »

« Double Enfance » c’est la meurtrissure d’avoir des parents qui ont divorcé quand vous étiez très jeune ?

Julien Clerc : « Oui. Cela m’a forgé un mental aussi. La chanson l’explique très bien. Ce voyage entre les deux foyers. L’histoire de mes parents était très romanesque. Ce mélange de deux milieux, de deux classes sociales totalement différentes en tout point... que finalement cela finissait par devenir très enrichissant. Si l’on met de côté la douleur et le fait de voir ma mère être une femme seule, oui, ça a été vraiment enrichissant. »

Vous avez eu une conscience de la vie et de ses affres très jeune finalement ?

Julien Clerc : « Je me suis forgé un vécu très petit. Cela a conditionné mon attitude à la politique, à la musique bien sûr. Je me suis forgé une sensibilité particulière. »

Il y a une envie de plaire qui ressort des enfants divorcés ?

Julien Clerc : « Vous êtes le premier à me le dire mais c’est vrai... il y a aussi dans le divorce un goût du secret. Mon père avait mal vécu cette séparation et mes frères et sœurs d’un deuxième lit n’en savaient rien. Ils ne savaient pas où je partais le vendredi. Ils ont vu ma mère pour la première fois lors de mon passage à l’Olympia ! Il y a beaucoup de non-dits dans un divorce. »

Vous avez peut être entendu parler du combat de Cali afin que les pères aient les mêmes droits que les mamans en ce qui concerne la garde des enfants ?

Julien Clerc : « C’est aux gens de régler ça par la médiation. Le risque est tout simple : c’est d’utiliser les enfants pour se faire la guerre. J’ai eu de la chance dans ma vie : d’abord je n’étais pas marié, sauf là, mais je pense que cela se réglera en bonne intelligence ; par le passé avec Miou-Miou on a fait ça à notre sauce à nous. Même si nos filles n’en sont pas sorties indemnes ce sont elles qui ont choisi le nombre de jours chez moi ou chez leur maman. Il faut dire que nous n’avions pas de juges dans les pattes. En tout cas, je pense que le sens de la loi doit aller vers un assouplissement. »

Est-ce que le jardin d’Erick Benzi c’était un peu votre jardin d’automne ?

Julien Clerc : « Le jardin d’Erick me rappelle le jardin de Bourg-La-Reine. Il est à 200 mètres du lycée Lakanal où j’ai fais toutes mes études ! De la 11ème jusqu’à la propédeutique qui est une classe après le bac qui préparait aux études supérieures. L’endroit où il a son studio ressemble à ma maison de famille. Ce disque qui s’appelle « Double Enfance » relève encore plus de signification. »

Vous avez retrouvé le goût des arrangements nationaux ?

Julien Clerc : « Vous avez tout à fait raison. En voyant avec quel cœur Erick Benzi s’était attelé au projet de mon disque je lui ai confié les arrangements de scène. La chose intéressante c’est qu’il va de surprise en surprise. Il doit avoir une petite quarantaine et il m’expliquait que jusqu’à 14 ans il n’a écouté que de la musique classique. Ensuite il en a eu marre et s’est imposé à lui de choisir entre Adamo ou les Stones. De ce moment là il a zappé toute la musique française donc moi ! (rire). Il se retrouve aujourd’hui à devoir réarranger La Petite Sorcière Malade, Cœur Volcan, Si On Chantait, et il découvre tout mon répertoire avec une fraîcheur incroyable ! Quand je lui ai donné ma musique pour faire le disque je savais qu’il ne connaissait pas mon univers. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu. Je ne voulais pas d’un spécialiste afin de ne pas tomber sur quelqu’un qui soit trop encombré. »

Ce qui donne un aspect très frais à ce disque ?

Julien Clerc : « Il n’est pas très expansif mais il m’a avoué que c’était bien car il allait pouvoir faire « de la musique ». Je sais très bien qu’il y a des radios qui ne me passeront pas ce qu’il fallait c’est simplement servir au mieux les chansons. Je n’étais là que pour rectifier parfois les directions qui ne me plaisaient pas. »

Audiard quand il écrivait un scénario imaginait les dialogues en fonction de ses acteurs, en ce qui vous concerne vous composez les mélodies pour « Double Enfance » en sachant déjà à l’avance que vous serez accompagné De Gildas Arzel par exemple et qu’il faut lui faire une place dans votre musique ou alors vous composez simplement au piano et englobé vos collaborateurs ensuite ?

Julien Clerc : « Je ne compose pas du tout pour mes musiciens. Je travaille au piano chez moi et ensuite je fais une petite maquette avec une machine infernale de chez Yamaha avec des rythmes pré-programmés. Soit je donne à l’auteur puis après à l’arrangeur un truc piano-voix, soit si j’ai trouvé un rythme qui me convenait sur cette machine, un gribouillis de maquette qui peut être une piste. Le choix des musiciens vient après. Les musiciens sont au service du compositeur. Ils mettent leur talent à votre guise. C’est ce que vous apprenez chez les anglo-saxons par exemple. Les américains en particulier. Ils viennent pour servir une musique sans état d’âme à partir du moment où ils sont payés le prix qu’ils ont demandé. »

On les appelle parfois les mercenaires ?

Julien Clerc : « Exact mais les mercenaires peuvent aussi se battre jusqu’à la mort ! (rire). Après si c’est possible ils peuvent et je les encourage à y mettre un supplément d’âme. Il est très rare qu’un musicien ne le donne pas d’ailleurs. Je me souviendrais toujours quand j’ai enregistré avec Phil Ramon de Michael Breaker et qu’on a du sortir du studio tellement il aimait ça. Il nous avait joué je ne sais combien de solo de saxophones pour la chanson Petit Poids Lardon et tous étaient excellents. C’est la grande leçon aux Etats-Unis : quand les gens ont la passion tout passe. J’ai retrouvé ça avec Erick car il fonctionne en clan. Il ne les appelle pas pour rien. Les mecs viennent par amour. »

« Julien déménage » fut-il un album charnière ?

Julien Clerc : « Effectivement, j’ai adoré faire ça. Mais le spectacle charnière fut ‘Entre Nous’ avec lequel j’ai chanté de par le monde. On était trois sur scène : Jean Shultes, Hervé Brault et moi. On a tout fait à 3. Parfois avec un piano, guitare, parfois avec 2 piano, parfois Jean jouait des percutions. Ce spectacle acoustique que l’on a fait dans des endroits les plus divers. Que ce soit de grandes scènes ou des endroits plus intimes en vérité c’est ce spectacle là qui m’a fait comprendre qu’on pouvait jouer sans basse, que finalement une bonne chanson quand elle était écrite correctement on pouvait la faire de plein de façons différentes du moment où l’on ne trahissait pas son esprit. »

La disparition d’Etienne Roda-Gil a t’elle été difficile à surmonter ?

Julien Clerc : « J’ai coutume de dire que personne n’est irremplaçable dans la vie mais il y a quelques exceptions et je pense qu’il en est une. Ma chance de tomber sur lui quand j’avais 20 ans est inestimable. On a quand même crée quelque chose ensemble. Cahin-caha, notre complicité qui a été orageuse par moment mais qui après des années de bouderies a marqué les esprits. Ma vie aurait été différente si j’avais rencontré Barbelivien ou Delanoë à l’époque. Tandis que là c’était des chansons qui ne ressemblaient à rien. Rien d’existant ou de déjà fait. Il y avait juste quelques réminiscences de Ferré mais sinon il était à part. Il avait une inspiration à part. Des fulgurances. »

C’est un homme qui arrivait à condenser un roman sur une chanson ?

Julien Clerc : « Ca c’est le talent des écrivains de chansons. C’est un métier à part. On peut être un auteur de chanson super et ne jamais savoir écrire à côté. C’est un talent particulier. »

Donne-moi de tes Nouvelles peut avoir plusieurs portes d’écoute ?

Julien Clerc : « Toujours ! Je dis bien toujours avec lui. Bien souvent, il y a même des triples lectures dans ses textes. Quand il écrit La Belle est Arrivée c’est typiquement à double lecture. Dans le folklore d’Etienne la révolution n’est jamais loin, le fait de la refaire est toujours là aussi. La disparition de Nadine son épouse est toujours là aussi. Du jour où elle a disparue en 92 toutes ses chansons parlent de ça. »

La chanson écrite par Cécile Delalandre Rio Négro rappelle beaucoup son style d’ailleurs ?

Julien Clerc : « Mes deux nouveaux auteurs. Peut être encore plus Gérard Duguet. Son point commun avec Roda c’est l’originalité dans le traitement des thèmes. Une vraie écriture à part. Cécile n’avait jamais été publiée ni éditée. Elle a une vraie écriture dense. On sent qu’elle écrit depuis longtemps et qu’elle a une grande culture de la poésie. C’est mon plaisir d’essayer de dégoter quelqu’un de nouveau. Il me semble qu’une façon différente d’écrire le français va m’aider à sortir des musiques nouvelles. Je fais la musique de ma langue. »

En 1978 lors de votre séparation Roda disait « Il fallait bien que Julien tue son père », le problème qui vous a opposé à son fils concernant votre droit à utiliser certains de ses textes, c’est un grand gâchis quelque part ?

Julien Clerc : « C’est triste et assez incompréhensible. Je ne comprends pas ce qui m’oppose à lui. Je ne sais pas s’il compte faire. S’il continue de penser qu’il y a une atteinte au droit moral ? Je n’ai que ma bonne foi pour moi. On a fait ces chansons là comme on l’a toujours fait. Le terme juridique dit très bien ça, c’est « sous la lampe » et on a fait ces chansons sous la lampe et Etienne a bien sur entendu ces morceaux. Prétendre le contraire c’est ça qui est navrant. Surtout qu’ils les aimaient beaucoup. »

Avant Françoise Hardy vous ne collaboriez pas avec des femmes, depuis vous avez incorporé la gente féminine à votre univers, qu’est ce qui différencie les auteurs féminins des masculins ?

Julien Clerc : « Pour moi c’est exactement pareil sauf que très peu de femmes peuvent faire chanter un homme. Là sur Françoise ou Carla elles ont cette dualité en elles. Elles devinent très bien les hommes, malgré tout elles abordent les sujets sur un angle très personnel et très féminin. En travaillant je tombe sur certaines formules... par exemple c’est une façon féminine de me faire dire ‘passer la vie entre tes seins’... ça passe tout seul je trouve. »

Pour vous l’amour est une maladie ou un remède ?

Julien Clerc : « (rire) C’est pas un remède, ce n’est pas une maladie, c’est un embrasement. C’est quelque chose d’indispensable pour vivre bien. Pour que la vie soit complète. »

Votre carrière est jalonnée de prises de risque dont le dernier est cet album « Studio » avec le choix de faire des reprises de grands standards de crooner, est ce que finalement ce fut un cadeau que vous vous faisiez quitte à désarçonner votre public fidèle ?

Julien Clerc : « Je savais que ces chansons n’avaient jamais trop marché en France. Pour moi c’était pourtant incontournable de m’y attaquer. J’espérais beaucoup faire partager mon amour pour ces musiques là. Je savais bien que c’était un challenge risqué en français. Le jazz très intelligemment s’est réapproprié ces titres qui sont souvent à l’origine des titres de comédie musicale. Surtout en France où ces titres sont destinés à une sorte d’élite, avec un prisme réducteur alors que si vous allez aux USA ce sont des chansons de grande variété, quelque chose qui ressemblerait à du Patrick Bruel là bas. »

Il y a eu pour les puristes le sacrilège de mettre ces chansons en VF ?

Julien Clerc : « Oui ! bien que les auteurs aient très bien travaillé. Cela a été très bien résumé par Sacha Reims qui me disait quand il entendait le début de Witchcraft ( A moi les canadairs... la police de l’air) qu’il avait du mal. C’est un critique très ouvert. Le jour où lui m’a dit ça j’ai tiqué car quel que soit le bon travail que l’on ait fait on allait se heurter à cette déformation. »

Quelle sera la teneur de votre prochaine tournée ?

Julien Clerc : « J’ai la chance d’avoir un grand répertoire. Je peux enlever des chansons connues pour en mettre d’autres. Comme je n’ignore pas que le public vient écouter des chansons qu’il connaît et qu’il recherche sa part d’enfance à travers moi, je vais lui faire plaisir tout en mettant 7 chansons du dernier album car je trouve qu’il le mérite. »

Avoir loupé science-po c’est la plus belle chose qui vous soit arrivé ?

Julien Clerc : « Peut être bien ! Mon frère lui a réussi cet exploit. Etre un fumiste m’a beaucoup aidé. Mais je n’ai pas été au fond de la classe partout, par exemple j’ai vraiment travaillé mes langues vivantes ce qui m’a aidé pour travailler avec des anglo-saxons. »

Etes-vous heureux de votre parcours ?

Julien Clerc : « J’aurais aimé être plus reconnu à l’étranger. »

C’est un gros complexe français ?

Julien Clerc : « C’est très difficile de s’extraire de notre pays. Ma génération a vu déferler le rock n’roll. Ce qui fait qu’on a déjà été privé du marché qu’avaient nos grands anciens. C’était le moment où la musique pop anglo-saxonne déferlait sur le monde. C’était très difficile de se faire entendre. En plus, en ayant un public fidèle on n’est pas encouragé à prendre des risques ailleurs, à repartir de zéro. Quand je voyage avec mon répertoire je le fais avec une fronde. C’est un peu comme TV5 seule face à des milliers de chaînes internationales. »

En écoutant Rester qui parle de la notoriété qu’un chanteur peut avoir après sa mort, est ce que c’est facile au bout de 30 ans de carrière de ne plus être propriétaire de son image ?

Julien Clerc : « Je n’ai pas trop de problème avec ça. J’ai toujours essayé de donner ce qui devait être public mais surtout de ne jamais dépasser le seuil de quelque chose qui me blesserait. »

Qu’est-ce que vous aimeriez avoir comme épitaphe ?

Julien Clerc : « Ne croyant pas à l’au-delà malheureusement, je m’en fous ! Je pense qu’il y aura des gens qui m’aiment bien qui seront là et qui feront ce qu’il faut. »

Réfugier sonne très fort au fond de notre cœur, ne trouvez-vous pas que la France a perdu son âme d’accueil ?

Julien Clerc : « C’est très difficile. Il ne faut pas se hâter à porter des jugements. Quand on s’est engagé comme c’est mon cas en allant faire des missions sur le terrain pour les Nations Unies, la chose frappante c’est la différence entre les pays pauvres et les pays riches. C’est peut être poncif mais il n’est pas inutile de le répéter. La France a toujours su digérer, accueillir différentes nations. On ne peut pas éviter que les gens des pays les plus pauvres soient attirés par les pays les plus riches. C’est sûrement un peu plus difficile car nous sommes confrontés à des religions autres et des façons en gros de vivre qui ne correspondent pas à notre schéma républicain. Je ne suis pas aussi pessimiste que ce que je lis à droite et à gauche. A mon sens la première chose qu’il faut absolument régler consiste à ce que les pays d’Afrique règlent leurs problèmes. Les élites africaines doivent se comporter correctement. Il y a une vraie gabegie dans beaucoup de pays. »

Dans les années 70 vous vous êtes essayé à la comédie, pourquoi ne pas avoir continué l’aventure ?

Julien Clerc : « On m’a jamais fait de proposition pour ressauter le pas. Je ne suis pas torturé par l’idée d’être un comédien. J’aime tellement la musique que je crois qu’elle me suffit. »

Comment faire le silence quand on est chanteur-musicien et que l’on vit toujours dans le bruit des notes qui sonnent ?

Julien Clerc : « Dans la chanson Ma Sirène qui clôt l’album, ce n’est pas lui qui fait le silence ! Il dit aux autres de le faire ! (rire) »

Rencontre à L’Hôtel - Saint Germain des Près. 17 Novembre 2005

Rencontre à L’Hôtel - Saint Germain des Près. 17 Novembre 2005