En finir avec le lavage de cerveau

En finir avec le lavage de cerveau

Frédéric Encel fait les plateaux télés - pas ceux sur les genoux quand tu manges vautré devant ta TV - mais les lieux à la mode de chez nous, "Face à l’image" ou la messe de Claire le week-end. Bref, il tente de vendre son pavé, un livre qui pue.
Je vous explique pourquoi.

Aborder l’épineux problème de la dérive de la République, victime de la montée en puissance du repli identitaire et de la mise sous tutelle de certaines cités par le crime organisé, à l’aide du prisme de la sociologie permet de se poser les bonnes questions sur l’éthique à venir pour ce XXIème siècle qui a si mal débuté. Elle aborde de front
la question de la modernité qui, sournoisement, suspend la légitimité des motivations morales au profit du consommable. Elle offre aussi les outils pour tenter d’innover dans la perspective d’un monde global,
sclérosé par une action politique qui demeure limitée.
Les faits récents relevant de la violence urbaine, qui ont eu pour conséquence la mort de deux mineurs électrocutés, démontrent, en effet, que la République souffre d’une profonde carence en matière de perception de la société par les jeunes. Comment justifier que des pompiers soient
molestés, des véhicules de la Poste brûlés, etc. ? C’est l’image même de notre environnement social qui est en berne. A qui la cause ?

A la pollution politique qui vient de l’extérieure, en l’occurrence du Proche-Orient ? Sans doute pas. Certainement pas la seule cause. Ni d’une soi-disant montée de l’antisémitisme. Pas plus en hausse que les gestes d’incivilité et le racisme en général. Et l’on en revient à la source de tout : le déficit des valeurs et la mauvaise perception des jeunes de leur environnement social et de leur pays. Il conviendrait donc que les fautifs, ceux qui ont formé ces jeunes, les parents et les enseignants, fassent leur autocritique plutôt que de charger d’autres des responsabilités qui sont leurs. Un certain virage pris au début des années 1980, appuyé par des syndicats plus soucieux du corporatisme que de l’avenir de leurs élèves, en sont bien la cause.

Zygmunt Bauman, l’un des plus éminents sociologues contemporains, rescapé des pogroms de Pologne, ne se braque pas comme Elie Weisel - qui ose dire qu’il convient de garder au fond de soi une haine envers l’Allemagne - sur l’appellation de génocide, mais il le perçoit comme un sous-produit terrifiant du penchant moderne pour l’ingénierie sociale, pour un monde totalement planifié et maîtrisé, quand ce penchant ne
rencontre plus aucun obstacle
.

Pour tenter d’enrayer cette machine à exterminer de l’humain, Bauman n’a qu’une seule arme : introduire derechef au sein de la pratique individuelle les émotions exilées.

C’est-à-dire les sentiments moraux. Car la morale ne peut être ni contrôlée, ni codifiée. Ainsi, l’apprentissage d’une connaissance morale par une approche orientée, pourrait enrayer les incivilités dont nous sommes victimes, les plus souvent de la part de jeunes gens, filles et garçons confondus
De même, Avraham Yehoshua n’hésite pas, lui, à convoquer la question de l’identité juive et de la morale dans un même débat. Ainsi, récemment, s’est-il attaqué à une Explication structurelle de l’antisémitisme qui lui a permis d’évoquer l’interaction entre deux imaginaires, celui des Juifs et des Gentils. Alors se dévoile l’effet de cet imaginaire perverti de l’antisémitisme qui va se nicher au sein d’une utopie juive déraisonnable car reposant essentiellement sur une identité ancrée dans le mythe, donc dans une forme d’imaginaire. L’identité juive est construite sur deux codes, le national et le religieux. Or le premier a été transféré comme matériel virtuel dans le second (ou dans un autre code spirituel susceptible de le remplacer, comme les théories de Levinas). Un transfert qui permet le statu quo au sein de la diaspora mais qui souligne aussi les limites du sionisme en tant que système appliqué à une organisation politique de la cité ...
Ce livre se voulait un outil pour analyser les maux et proposer des
solutions. Mais c’est un ouvrage partisan de (très) mauvaise foi, un subterfuge dangereux qui participe au lavage des cerveaux. Explications.

Avec un pareil titre on se frottait les mains, se disant qu’une telle somme allait enfin ouvrir le monde des idées à ceux qui veulent bien se donner la peine de penser autrement. Avec un titre pareil on se disait que le problème allait enfin être abordé dans son ensemble, que tout le Proche-Orient serait analysé pour que la solution soit fédératrice d’espoirs. Mais non. Nous voilà une nouvelle fois condamnés à ne percevoir cette région du monde qu’à travers le prisme hallucinogène de la guerre Israël-Palestine. On se dit alors que les signatures et le mode opératoire vont apporter quelque chose de nouveau. Négatif. Sur toute la ligne quand on prend connaissance de la liste des intervenants, un tant soit peu orientés vers le même idéal. Et on est abattu quand on découvre la liste des auteurs et des ouvrages de références. Car les oubliés parlent encore plus fort que les présents qui focalisent, une fois encore, l’origine du problème sur la seule identité juive. Exit tous les autres peuples de la région. Comment comprendre le Proche-Orient sans aborder la question Kurde qui divise Turquie, Syrie, Irak et Iran ? Comment ignorer les anciens Perses dont le nouveau président vient tout juste de déclarer, qu’à son avis, Israël devait être rayée de la carte ? Comment comprendre le Proche-Orient sans aborder les données économiques qui saignent les régions du Golfe dominées par les conglomérats pétroliers  ?

Comment comprendre le Proche-Orient sans évoquer la poudrière libanaise ? Ce livre n’en a cure puisqu’il n’aborde que la question de l’antisémitisme qui serait en train de contaminer la République. Et d’où viendrait-il ce nouvel élan de xénophobie ? De la seule importation du conflit israélo-palestinien vu par l’unique angle de la
question juive. Ce livre est donc nuisible car il détourne l’attention de la réalité, il occulte les autres courants de pensée et il assène des mensonges comme autant de contre-vérités qui n’honorent pas leurs auteurs.

Les auteurs, parlons-en : une bande de potes, des universitaires (qui se sont cooptés entre grandes écoles : ESG, ENA, CNRS, ENSTA, EHESS), un polémiste fou furieux et deux militants PS dont l’une prend un pseudo pour manipuler les jeunes filles. Tous ont la même idée à défendre, point de débat, donc.
Car, comprenez-moi bien, il ne s’agit pas ici de faire le procès
d’Untel mais de dénoncer le lavage de cerveau que tentent de nous imposer les auteurs de ce livre. Par exemple, Eric Kelassy qui ose, dès la première page, expliquer la raison de ce "travail" par la légende, intolérable pour lui, découverte dans un livre d’histoire pour lycéens,
qui présentait le mur
comme un rempart pour sécuriser les colons.

Il se permet alors d’avancer l’idée que le mur de Sharon n’est pas si démoniaque, qu’il est là pour protéger ces pauvres Israéliens (ne dites surtout pas colons !), que ce ne sont que 8,5% de sa totalité (sur 226 kilomètres !) qui sont un véritable mur, le reste étant une barrière de "sécurité traditionnelle". Pour qui nous prend-il ?
Pour des demeurés ? A-t-il seulement vu de ses yeux vu, sur place, ce qu’est une barrière de sécurité israélienne ? Ce n’est pas un passage à niveau blanc et rouge comme à la douane de Genève, c’est un no man’s land miné sur près de quarante mètres de large, avec deux
rangées de barbelés hauts de près de cinq mètres, avec des patrouilles motorisées d’hommes en armes et tout un arsenal électronique. C’est hermétiquement fermé, cela coupe arbitrairement les terres agricoles palestiniennes, cela est contre la loi internationale. Je l’invite donc - et vous aussi - à aller voir sur place et, à défaut, à visiter le site de l’ONG Stop the wall ! et à lire Le mur de Sharon.
Quelques pages plus loin (p.24), le même Keslassy nous assène qu’il n’existe qu’une histoire engagée du côté palestinien, une histoire qui refuse la remise en cause et de conclure qu’un historien palestinien contacté n’a pas donné suite en se posant la question : Est-ce un exercice si difficile pour un historien palestinien que d’écrire avec détachement l’histoire de son peuple ?

Mais comment peut-on dire de telles âneries ? ! Je veux bien que monsieur Keslassy soit un sociologue éminent mais qu’il ne nous donne pas de leçons d’histoire, surtout d’un pays qu’il ne connaît guère ! Premièrement, il n’y a pas d’histoire engagée palestinienne, pas plus qu’il n’y a d’histoire engagée israélienne. Les deux manuels d’histoire des deux pays sont sujets à caution. L’influence ultra religieuse, des deux côtés, nuit à la vérité historique.
Deuxièmement, s’il était un peu au fait de son sujet, il aurait sollicité, par exemple, l’historien Elias Sanbar (qui vient d’être nommé à l’UNESCO pour représenter la Palsestine) et ses Figures du Palestinien. Il aurait évoqué Moustapha Marghouti
et son étude de la société civile palestinienne ... Mais gageons qu’avec un tel aréopage et une telle mauvaise foi dans le dessein, ces derniers auraient sans doute décliné, et on leur en sait gré ... Car ce livre est nauséabond.

Georges Benssoussan nous dresse le portrait du sionisme depuis ses origines, au milieu du XIXe siècle. Parti d’un élan d’émancipation de ces Juifs d’Europe centrale qui, face à un certain désenchantement du monde, lié au processus de sortie de religion, ont soif d’idéal et d’autonomie, le concept d’état-nation voit le jour. Le sionisme émerge ainsi quand les murs de la foi chancellent. Le peuple juif peut exister sans territoire, et même sans langue commune, parce que la Torah constitue sa véritable patrie de substitution. Mais quand l’attachement à la Torah diminue, la patrie se dissout ... Le sionisme se veut laïc alors qu’il est empreint de mysticisme. Car il demeure au premier chef
une réponse libertaire à l’aliénation du sujet juif, ce colonisé de l’intérieur miné par la peur qui détruit l’image de soi, par le mépris porté à soi-même et la violence retournée contre soi
. Si l’on comprend bien, Freud avait raison, et c’est plutôt une longue séance de
psychanalyse que tout sioniste devrait soutenir plutôt que de vouloir s’octroyer la terre d’un autre, sur le seul postulat d’une religion qui, comme tout être sensé le sait, n’est qu’une légende écrite par les hommes pour d’autres hommes. Ainsi, en voulant réconcilier le Juif aliéné avec lui-même [...] le sionisme marque pour la condition juive un retour à soi. Il n’y a donc pas lieu de ne point le vivre dans la diaspora, puisque cela est un voyage intérieur. Il n’y a pas lieu de le cristalliser dans une action politique coloniale.
C’est d’ailleurs ce que dénonce George Steiner - vilipendé par Benssoussan -, érudit parmi les érudits de la pensée contemporaine, et de l’âme juive, à qui l’on doit de nombreux travaux, notamment sur Abraham, qui concluent tous qu’il faut libérer la culture et la pensée juive loin des carcans nationalistes désuets et du sionisme.
On notera, pour en finir avec monsieur Benssoussan, qu’il se plaît à nommer Jabotinsky, mais qu’il oublie que ce dément est allé jusqu’à soutenir les lois de Nuremberg sur la différence des races (en
publiant, le lendemain du décret SS sur la race aryenne, un article se félicitant de la reconnaissance de la race juive et de la race aryenne, et en menaçant de mort tout juif qui serait vu en compagnie galante d’un goy), et à soutenir les SS dans leurs démarches pour que les Juifs puissent partir plus vite d’Allemagne. C’est aussi cela que peut être le sionisme, une dérive raciale xénophobe, un concept aliéné d’une race juive pure ... Il n’y a donc pas lieu de condamner ceux qui s’engagent contre et qui témoignent : Au nom de l’antisionisme (Points Critiques n°238 / septembre 2003).

Khattar Abou Diab, seul honnête homme de cette équipée, nous donne une véritable radiographie de l’histoire de la Palestine depuis le début des temps : les plus anciennes traces datent de 300 000 ans avant notre ère, au sud du lac de Tibériade.
On voit bien que la légende sioniste qui tente de nous faire croire que les Juifs ont un droit divin sur cette terre car « c’est une terre sans peuple pour un peuple sans terre » est une infamie grotesque ! Jéricho, habitée dès le VIIIe millénaire avant notre ère, est l’une des plus vieilles ville du monde. Avant les Juifs il y avait les Cananéens. Ce qu’évoque Mahmoud Darwich dans ses livres, autre grand témoin absent qui nous a pourtant offert de quoi nourrir la paix, dans Etat de siège, un formidable terreau de réflexions et d’idées qu’ici aussi l’on semble ne pas vouloir entendre.
Abou Diab reconnaît que les fameuses promesses de Barak étaient du vent, puisqu’au lieu de Jérusalem-al Qods, on lui proposait comme capitale de son futur état Azarieh et Abou Dis, petite banlieue à l’Est de la ville trois fois sainte. Une insulte quand on connaît l’engagement pris par Arafat de veiller sur les lieux saints chrétiens et musulmans.

Une fois encore, la solution de ville internationale capitale des deux Etats, puis de l’Etat binational une fois la période de transition terminée est la seule solution. L’idée d’un seul Etat pour deux peuples signifie tolérer l’idée du sionisme (qui peut être soluble dans une authentique démocratie, comme peut l’être l’islam) et englober Israël-Palestine en un seul pays (ce qui à la vue de la géographie locale est la seule solution) laïc dans lequel TOUS les citoyens auraient les mêmes droits (ce qui n’est pas le cas actuellement) et où toutes les croyances seraient à égalité. Un homme une voix. Voilà l’avenir du monde. La domination de l’un par rapport à l’autre n’a jamais été une solution. Notre seul engagement devrait être Israël-Palestine : ensemble vers la paix ou rien !. Ainsi l’on éteindra la feuille de route qui se consume un peu plus chaque jour en déplaçant le débat sur le terrain culturel. Cela fait 50 ans que les passions s’exacerbent autour de doctrines politiques nihilistes et xénophobes, alors que les peuples sont tous issus de la même glaise. Les guerres de colonisation n’ont jamais été gagnées pendant le XXe siècle - vérité que des généraux de l’état-major israéliens ont publiquement reconnues -, pourquoi il en serait autrement au XXIe ?

Daniel Dayan tente une analyse imagée du conflit et se perd dans une suite d’exemples médiatiques en dénonçant les pièges pervers dans lesquels la télévision nous entraîne. Mais il sombre lui aussi dans l’erreur en attaquant " Le dessous des cartes ", émission d’Arte pour le moins pertinente, en affirmant pompeusement que les trois grandes guerres n’ont pas été déclenchées par Israël, ce que laissait entendre l’émission incriminée. Or c’est faux, tout du moins pour les deux premières : en 1948, les Britanniques ont laissé agir en toute impunité les milices terroristes de l’Irgoun et de la Haganah et en 1967, c’est Moshe Dayan, qui a déclenché lui-même les opérations. C’est la première guerre préventive de l’histoire moderne. Daniel Dayan
conclut en dénonçant le discours altermondialiste qui présente Israël comme le denier Etat colonial de la planète, comme la perpétuation en bonne et due forme de l’apartheid sud-africain. Manifestement il n’y a jamais mis les pieds ...

Dominique Schnapper, elle, pêche par naïveté et amnésie. Depuis la publication de son livre en 1980, elle est convaincue d’avoir raisonner les responsables des institutions juives de ne pas revendiquer l’existence d’une "communauté juive" autre que spirituelle ou intellectuelle. Et elle ose déclarer qu’ils n’ont plus maintenant de revendication "communautariste". Elle n’a donc plus jamais écouté les discours du CRIF depuis vingt ans, et n’a jamais entendu parler de Proche-Orient.info, récemment condamné ainsi que sa directrice, Elisabeth Schemla, extrémiste notoire qui a plongé avec Jonathan Myara à propos d’un article diffamatoire sur la CAPJO. Par contre, les directeurs de cet ouvrage la connaissent bien puisqu’ils osent citer un de ses livres dans la bibliographie de référence, quand ce n’est pas le site qui est mis en avant par Taguieff (sic).
Madame Schnapper enfonce une porte ouverte en déclarant qu’il n’y a plus de valeurs communes. En effet, un tel livre se devait de souligner une remarque aussi pertinente. Mais si la République est en danger, ce n’est pas la faute à des causes extérieures, il conviendrait de se demander pourquoi et de faire son autocritique. L’Etat providence c’est bien mais cela a aussi eu le don de faire germer une génération perdue qui n’a plus le sens de l’effort, du travail, du mérite, du respect, de la tolérance. Tout a été nivelé par le bas : plus de concours, plus d’échelle de valeurs, plus de compétitivité donc plus de repères.
Pourquoi, tous les ans, en septembre, des dizaines de milliers d’élèves fuient-ils vers l’enseignement privé ? Le conflit du Proche-Orient n’est en rien la cause des maux qui polluent notre quotidien, ni des actes racistes qui entachent la vie de nos concitoyens.

Mais nous n’aurons pas ici d’analyse objective de l’héritage de ces vingt dernières années. Malek Boutih, caution "fils de.", secrétaire national du PS pour les questions de société, n’apporte rien sauf son regard partisan. Pas plus que Fadela Amara, présidente de Ni putes, ni soumises qui découvre la Palestine avec le regard candide d’une enfant : oh ces files d’attente par cette chaleur, oh ce mur, oh cette pauvreté, oh ces soldats sur l’esplanade du mur des Lamentations, etc. Mais Fadela n’est pas son nom. Elle se nomme Fatiha Amara, elle est conseillère municipale PS de Clermont-Ferrand, et - selon Le Monde du 10 octobre 2005 - elle vient de s’engager aux côtés de Laurent Fabius dans la lutte fratricide qui mine le parti socialiste en vue des présidentielles de 2007. En quoi, et à quel titre, elle est apte à donner son avis ? Ne sert-elle pas plutôt de "caution arabe" puisque tous les autres intervenants sont juifs, ou inféodés, comme le sulfureux Taguieff (conseiller du CRIF) que l’on ne présente plus, dont Guillaume Weill-Raynal (autre absent de marque) dresse si habillement le portrait dans son dernier livre (Une haine imaginaire ? Contre-enquête sur le "nouvel antisémitisme", Armand Colin, Paris, 2005) : Pierre-André Taguieff prétend instruire le procès des médias et des intellectuels français, complices par connivence de la résurgence d’un nouvel antisémitisme. Sous les apparences de la démarche scientifique et de la
rigueur universitaire, sa thèse ressemble à un oignon que l’on éplucherait sans jamais en trouver le cœur. Dépourvue de toute base solide, la pensée de Taguieff ignore la réalité des faits et ne repose que sur un ensemble de sophismes adroitement construits ainsi que sur une confusion soigneusement entretenue entre les différents concepts que l’on prétend pourtant analyser
. (p. 33) Lequel Taguieff se plaît à associer sa pensée à celle de Bernard Lewis, dont on relèvera aussi l’épineuse tendance à confondre l’Islam sur l’autel de son incompétence subjective qui fut mainte fois dénoncée, pas plus tard qu’en août 2005 dans Le Monde Diplomatique ...

N’aborder le problème que du côté juif, soit, mais dans ce cas il aurait fallu présenter tous les courants d’idées, et non pas les seuls qui tentent de légitimer le sionisme. Pourquoi les personnalités juives qui s’engagent tous les jours pour une refonte totale du problème et l’avènement d’un Etat binational sont-elles absentes de cet ouvrage ? Pourquoi n’entendons-nous pas Théo Klein, Pierre Vidal-Naquet ou Rony Brauman qui n’hésita pas à régler son compte à Alain Finkielkraut, qui, quand il n’allume pas des incendies antisémites qui n’existent que dans sa paranoïa, ose écrire des horreurs (ilaffirme être saisi "d’épouvante" dans son brûlot Entre Mel Gibson et Edgar Morin. L’Arche, mai 2004) ? Censurés ? Absente aussi l’Union Juive Française pour la Paix qui tente de faire comprendre à tous qu’il ne faut pas confondre Juifs et Israéliens. Absent le Manifeste d’une "autre voix juive pour la paix", signé par plus de 500 noms prestigieux. Oubliés !
Tout comme sont oubliées les demandes de l’UJFP pour l’envoi sans condition des Casques Bleus (il faut dire qu’Israël s’y est toujours opposé, on ne peut pas spolier, voler, coloniser sous le regard passif de l’ONU, tout de même) ... Oubliées enfin les déclarations de l’UJFP qui dénonce les prises de positions du CRIF : logique, ce livre tend à nous faire croire que le CRIF n’agit pas comme un organe communautaire, et quand bien même il le ferait, il est dans son bon droit en soutenant la politique d’Israël, un peu comme Dominique Strauss-Kahn qui avouait qu’en tant que juif de la diaspora, il devait apporter son aide - inconditionnelle ? - à Israël. Et que dans ses fonctions, et dans sa vie de tous les jours, à travers l’ensemble de ses actions, il essayait d’apporter sa modeste pierre à la construction d’Israël (Trop Proche-Orient par Slimane Zeghidour in La Vie du jeudi, 11 avril 2002). De tels propos dans la bouche d’un député et ancien ministre font froid dans le dos. Comment, avec un tel état d’esprit obscur et borné, ne pas voir le conflit déborder dans nos classes et nos cités ?
Autre juif absent, et pas des moindres, Michel Warschawski, cet incroyant, fils de rabbin, qui ne parle que de paix : rien d’étonnant puisqu’il est l’ennemi à abattre, le traître à la cause sioniste et au projet d’Etat juif. Pensez donc, il a osé rapporter (Sur la frontière, Paris, Stock, 2002, prix Témoin du monde RFI 2003, réédité en poche chez Hachette pluriel, 2005) les tourments du rabbin Michal Dov Weismandel de Slovaquie(page 217 et suivantes de l’édition originale chez Stock) qui écrit à la direction sioniste de Palestine pour supplier les dirigeants d’intervenir auprès des Alliés pour qu’ils bombardent les lignes de chemins de fer qui mènent à Tréblinka, Dachau, Auschwitz ... mais la passivité criminelle et cynique de la direction sioniste en Palestine refusait de mobiliser l’opinion publique internationale pour tenter de convaincre les Anglo-Américains de bombarder, par exemple, les voies ferrées menant à Auschwitz. « Il ne faut jamais oublier le plus important, à savoir qu’à la fin les Alliés vaincront, et, comme ils le firent après le Première Guerre, ils rediviseront le monde entre les peuples, et c’est pourquoi il faut tout faire pourqu’alors la Palestine devienne l’Etat d’Israël », écrivait le dirigeant sioniste Nathan Schwalb au rabbin Weismandel, et il ajoutait : « Il faut aussi savoir que les Alliés versent leur sang, et si nous n’avons pas nous aussi
notre lot de martyrs, de quel droit pourrons-nous nous asseoir à leur table lorsqu’ils diviserontlespeuplesetles pays après la guerre ? Ce n’est qu’avecle sang que nous hériteronsde notre pays. »
Voilà qui répond à Taguieff qui dénonce une soi-disant thèse musulmane
présentant la Shoah comme un complot sioniste visant à imposer la création d’Israël. Il n’y a pas eu complot mais instrumentalisation, et sacrifices d’innocents ...
Est-ce que le prix n’est pas un peu élevé ? Est-ce que les survivants et les descendants des malheureux qui sont morts ont conscience d’être considérés comme "le prix à payer" pour qu’Israël voit le jour ?
Voilà une question à poser à Ariel Sharon ...

Car, vouloir à tout prix créer un pays 100% juif est une hérésie : Reconstruire un Royaume juif, affirme Michel Warschawski, qui soit régi par les préceptes de la Torah et dirigé par les docteurs de la Loi nécessite une double croisade : contre l’Etat moderne et ses structures démocratiques et contre les Arabes, afin de garantir son caractère ethniquement homogène. Et de conclure : Le monde religieux qui se sentait dépositaire de la mémoire du judaïsme européen massacré, accusait l’establishment sioniste d’avoir considéré le génocide comme un facteur d’accélération du processus de création de l’Etat d’Israël. Certains étaient même convaincus que, pour les sionistes, le judéocide était un phénomène positif qui contribuait à l’épuration du peuple juif, facilitant ainsi la régénération future des rescapés en Palestine.

Aabsent remarqué, certainement plus compétent que les auteurs de ce livre pour parler du Proche-Orient, Dominique Vidal, qui affirme dans son livre qu’il "faut assumer l’injustice originelle", et qui n’hésite pas à se poser clairement la question dans Le Monde Diplomatique (août 2002), de savoir s’il y a encore une identité juive.
Question que l’on doit aussi se poser : Qu’est-ce qu’un Juif ?, trop vaste pour y répondre ici, mais jamais abordé dans ce livre ...
Pourquoi Edgar Morin, chercheur émérite au sein du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), directeur de la section des sciences humaines et sociales (CETHSAH), est-il absent ? Sans doute parce qu’il a été condamné pour "diffamation raciale", ce que souligne Pierre-André
Taguieff avec malice (sic) : Edgar Morin, Danielle Sallenave et Sami Naïr, ont cosigné Israël-Palestine : le cancer, publié en juin 2002 - après le massacre de Jénine - dans la Tribune Libre du journal Le Monde. (Ils ont été condamnés en appel par la cours de Versailles le 27 mai 2005, alors que le Tribunal de grande instance de Nanterre les avait relaxés en mai 2004).

Il aurait aussi été judicieux d’évoquer, dans cette quête soi-disant objective, les thèmes développés durant toute sa vie par Edward Saïd,
notre conscience à tous : thèses révolutionnaires et justes, qui ne lui ont pas fait que des amis dans la sphère politique palestinienne. L’orientalisme,
cette manière de voir l’Autre avec les seuls yeux de l’Occident n’a pas intégré le véritable paysage politique et culturel de la région, et c’est toute la perception du Proche-Orient qui est faussée !

Car l’avenir du peuple palestinien passe obligatoirement par l’affirmation
de sa spécificité culturelle et par la résistance face à l’oppresseur pour survivre au-delà du massacre.
Il nous a quitté voilà déjà plusieurs mois, mais son complice, Daniel Barenboim, (argentin de parents émigrés russes, qui a répondu par la négative à la tentative de récupération qu’Israël a tenté en lui offrant un passeport israélien) avec qui il avait mis sur pied l’orchestre symphonique israélo-palestinien, aurait pu témoigner, si tant est que l’on est pensé à lui. Et il aurait dit bien autre chose comme en témoigne l’ouvrage commun qu’ils ont écrit, Parallèles & Paradoxes - Explorations musicales et politiques, Le Serpent à Plumes, 2003) ...

La belle idée de départ de dresser un rempart contre un communautarisme qui ne cesse de s’affirmer implose en vol car elle est desservie par une cohorte d’incompétents en la matière, j’entends, parler du conflit israélo-palestinien. De plus, il suffit de brocarder la société civile sans cesse accusée d’être antisémite alors que l’on occulte volontairement les actes de racisme à l’encontre des musulmans, des noirs et de toutes les minorités. Il suffit de cette démagogie orientée dont le rapport Ruffin (lui aussi cité comme référence) est le point d’orgue puisqu’il préconise, ni plus ni moins, la mise en examen pour qui se dit antisioniste car, selon lui, c’est de l’antisémitisme. Voilà donc un nouveau pas de franchi dans la dictature des idées : on peut critiquer toutes les politiques du monde mais pas celle d’Israël. Ras le bol ! Car Israël, ce pays de la liberté (sic) a quand vu l’un de ces citoyens (juif mariée à une chrétienne) demander - et obtenir ! - le statut de réfugié en France pour fuir les harcèlements dont sa famille était victime. Une décision qui fait naturellement un peu tache, pour un pays se targuant en permanence d’être "la seule démocratie du Moyen-Orient".

En guise de conclusion, le livre s’achève sur la charte de l’OLP qui est présentée de manière honteuse - c’est le texte de 1968, et non la dernière version actualisée - avec une petite note de bas de page totalement fausse, qui dit que les trois articles prônant la destruction d’Israël ont été amendés « officieusement », alors qu’ils l’ont été par un vote du Parlement palestinien en exil en
1989 - après la déclaration d’Arafat sur le perron de l’Elysée - puis confirmés lors de la première cession du Parlement à Ramallah ...puisque c’était l’une des conditions d’Oslo I !

Vient ensuite la charte du Hamas : si ce n’est pas pour conclure sur une note de
haine, que l’on me dise pourquoi cette mise en page, et en quoi cela est-il utile ? Manquent aussi, alors, les actes de foi des partis des extrémistes religieux qui prônent l’extermination des Palestiniens, non ?
Tout cela est donc bien manigancé, mais ces inconscients qui continuent à allumer des incendies au lieu d’aider à la compréhension mutuelle, je les renvoie au Talmud, puisqu’il semble que lui seul peut leur donner la lumière : Ip’ha mistabra !, "Il faut tout reprendre dans l’autre sens". Le sionisme n’est pas le reflet exact de la doctrine juive car il relève de l’exclusion, il peut être ainsi perçu comme fasciste, tout comme les dérives islamistes ou les doctrines des néoconservateurs américains. Il est donc urgent de
penser autrement et de favoriser le métissage des esprits, des idées, des corps et des territoires. Il n’y rien de plus abscons que le passeport ou le drapeau, comme le rappelle si justement George Steiner. Laissons les frontières aux cartes et les hommes à leur désir de vivre
en harmonie loin des idéaux surannés des nostalgiques de l’idéal national et racial. Et que l’on en finisse une bonne fois avec les guerres de religions. Il convient donc de condamner ce livre qui participe, en instrumentalisant les peurs, de la manipulation des esprits, le pire crime que l’on puisse commettre.

Frédéric Encel & Eric Keslassy (sous la direction de)
Comprendre le Proche-Orient. Une nécessité pour la République
Bréal, 2005
352 p. - 21,00 €

Frédéric Encel & Eric Keslassy (sous la direction de)
Comprendre le Proche-Orient. Une nécessité pour la République
Bréal, 2005
352 p. - 21,00 €