Je suis la victime de la mondialisation

Je suis la victime de la mondialisation

Il est 8h45 et je suis seul. Seul à en crever. Mon épouse vient de disparaître dans le train de 8h50. 7 ans de vie commune, 4 ans de mariage envolé dans le vent froid d’octobre. Elle s’est engouffrée dans ce serpent assemblé, cette fierté technologique qui roule trop vite pour que je coure après.

Le temps nous manque pour des au revoir à jamais. Simples, sobres, brefs sont les adieux. Sans que j’y puisse changer quelque chose elle s’est trépassée automatiquement de ma mémoire. Filant tel un fantôme dans mon esprit. Je n’ai pu que déposer les bagages sur la plate-forme reliant le quai. La laisser seul entrer dans l’enfer du train. La faute au contrôleur, un être insignifiant, devenu malveillant à force de travailler les dimanche matins. Ce charmant fonctionnaire m’a indiqué que sans billets il m’était impossible de poursuivre l’itinéraire des flèches blanches. Ils fallaient donc nous séparer. La Stasi de la SNCF ne badine pas sur le règlement.

A son œil qui vibre sur le conflit imminent, je sens qu’il n’a pas de cœur et qu’il n’attend que je me transforme en braise. Je remarque deux militaires rigides en faction un peu plus loin. Ils caillent, un peu d’exercice ne leur ferait pas de mal, ils seraient trop heureux de m’évacuer baïonnette au canon. Je peux toujours tenter le coup de force, lui rentrer dedans au planton du TGV et sauter au dessus de ses ordres comme d’une barrière très basse. Mes bonnes bases de voyou ne sont pas crevées complètement, je pourrais même y mettre les poings de la victoire mais Victoria est oppressée, elle ne veut pas louper son rendez-vous avec ce voyage qui compte tant pour elle. Je sais qu’elle approuve mon renoncement. Ca me rassure quelque part.

Nos routes se divisent et j’ai froid. Je suis la victime de la délocalisation vers l’Asie. Le salon de l’exploitation des petits jaunes l’attend. Elle promet des cadeaux dans son escorte de retour pour me faire patienter. Une contorsionniste nippone, un petit livre rouge et que sais je encore. Des fringues d’enfants à 10 euros pièce faites par on ne sait qui, on ne sait comment sur la chaîne de la rentabilité. Je m’allume une Winston légère et j’espère qu’au moins lors de son escale a Roissy Charles de Gaule, dans la zone duty free, elle n’oubliera pas de m’acheter des cartouches bon marché. Je n’aurais pas tout à fait perdu le match. Fais un effort ma chérie : juste entre 2 parfums pour femmes que tu cumuleras sur la somme qui traîne dans la salle de bain et ton vol pour Canton, il y a de la place dans la valise. J’ai veillé à ce qu’il en reste... « Tu peux prendre ton maillot de bain mais rassure moi sur mes besoins de nicotines ».

J’ai tout calculé, planifié, avant samedi et son retour je dois carboniser moins d’un paquet par jour. Ma dépendance à cette drogue si douce m’est aussi indispensable que ses bras. « Cigarettes et Toi » est ma devise... ou quelque chose comme ça. Je peux me contenter de l’une ou de l’autre pendant un certain temps. Mais me sevrer des deux d’un coup relèverait du miracle, je ne crois plus en Dieu depuis trop longtemps pour tenter le pari. Par contre, qu’elle sorte de ce vol long courrier indemne et j’irais mettre un cierge aux saints qui traînent en place d’église. Promis, juré, craché. Paroles de menteur. Question feux au cul et briquet j’ai toujours tout ce qu’il faut.

Me voilà donc au coin de nulle part. Dans la rue. L’homme n’est pas matinal. Il me faut un café fort. J’essaye de ma rassurer comme je peux sur ma semaine de célibat. Je vais pouvoir revoir mes copains oubliés dans la forêt, manger ce que je veux : des cochonneries mal assorties. Je vais jouer à la console jusqu’à plus soif. Boire aussi. Deux bières au lieu d’une par repas. Regarder des matchs de foot sur Nostalgie Sportive. Prendre des bains jusqu’à ce que l’eau soit froide, si j’ai le cran je me ferais couler. Des petits riens négligés.

Heureusement que ce listing n’est bon qu’un instant sinon je finirais dans la voiture balais. Celles des divorcés notoires par manque de courage physique et de laisser aller sur les principes. N’empêche que le programme est alléchant. Il me convient bien. Je souris de nouveau à la vie.

Je sais que grand place, « le Président » est ouvert, je vais donc faire un saut de puce jusque là bas et j’attaquerai fièrement demain. Aujourd’hui je glande. Point barre. A peine aurais je le courage de donner à manger au chien.

Sur le passage de cette nouvelle philosophie, à quelques pas de mon café serré, je remarque une boule de tissus. Un amas de bric à brac textile qui remue. Des frémissements d’existence à même le bitume. Sous un porche mal éclairé cela pourrait ressembler à un monstre. Je m’arrête car sur le coté se trouve une pancarte rédigé à la brouillonne, il est écrit « Exigeons l’impossible, il ne nous donnera rien de toute façon ».

Ce n’est pas moi qui vais essayer de démontrer le contraire. On me dit cynique, gangrené par la société, à chaque seconde je confirme. Une ex m’a déclaré un jour de grande colère qu’à la vue d’un noyé je ne me lancerai pas à l’eau, je ne peux que confirmer que l’être à sauver c’est celui comme moi qui n’a toujours pas eu le courage d’en arriver à se foutre à la baille. Il faut être courageux pour en finir avant la date butoir. La chaise électrique de notre étoile se met toujours à rugir trop tard ou à un moment inattendue.

Dire que j’ai fais des enfants avec cette mentalité là. Ce n’est pas ma plus grande fierté.

Pendant que je laisse en offrande pour la liberté de connaître le sort des indigents que nous sommes tous, tout d’un coup l’étoffe s’effiloche. La première couche de couverture mise à morte sur l’asphalte par un mouvement ascendant renfermait en fait un anorak qui se met à son tour à glisser sur le macadam. Et voilà que surgit une longue chevelure sale et hirsute. J’attends la barbe, les puces et le pantalon souillé. Mais quand la créature se retourne sur moi je ne vois que deux yeux purs. Napoléon déclarait dans un accès de lucidité qu’il ne fallait pas réveiller la machine qui dort de peur de sentir aussitôt le tremblement de terre sous nos pieds.

Ces deux merveilleux globes oculaires bleu pale me bouleversent. De l’azur qui reste propre jusque dans le caniveau. Est ce d’avoir trop pleuré que ces hublots restent si angéliques ?

Jusque là je penchais pour un hermaphrodite qui se serait agenouillé pour prier à même le sol sous sa robe de bure à surcouches. Mais non c’est bien une jeune femme bridée par la vie et remplie de soucis qui me sourit. Je ne peux m’achever dans l’infidélité mais recueillir une SDF du bout du monde, lui porter secours et attention ne serait qu’un retour de choses. Un moyen de déculpabiliser ma conscience atteinte par les vices de l’import-export. Je l’encourage à venir chez moi.

photographie : Pierre Derensy par Frédéric Vignale

photographie : Pierre Derensy par Frédéric Vignale