Charley Bowers, un comique underground

Charley Bowers, un comique underground

Ce n’est pas pour me vanter, mais il m’arrive d’aller au cinéma. Et même dans des festivals. Dernièrement, j’ai ainsi découvert Charley Bowers, un cinéaste américain plein d’avenir né en... 1889, à Cresco, Iowa.

Il n’y a pas de honte à découvrir aujourd’hui ce génie burlesque décédé en 1946. Les spécialistes du cinéma n’étaient pas mieux renseignés il y a quelques années.
En véritable archéologue du septième art, c’est Raymond Borde, responsable de la cinémathèque de Toulouse, qui a donné une seconde vie à Charley. Tout à fait par hasard. Dans les années cinquante, Raymond Borde (décédé en 2004) avait la bonne idée d’aller fouiner dans les bobines délaissées par les cinémas forains. Il payait cinq francs le kilo de bobine récupéré. En raclant un peu la rouille et la poussière, quand ce n’était pas des fientes de pigeons, il mettait parfois la main sur des petits trésors.

Chez un Gitan, dans un stock de vieilles boîtes cabossées, se cachaient des films de Bricolo, un célèbre inconnu. Une fois les films fixés sur des supports plus fiables que les pellicules nitrate d’origine, des appels furent lancés aux spécialistes du monde entier. En vain. Les films furent projetés dans des festivals. En vain. Personne ne connaissait ce Bricolo au talent ravageur... Finalement, Borde retrouva sa trace dans un vieil annuaire où figurait une publicité pour Bricolo, alias Charley Bowers. Ce sera la cinémathèque de Montréal qui finira d’assembler le puzzle.

La suite de l’enquête vaut son pesant de cacahuètes également. L’énigmatique Bricolo n’avait pas fini de balader son monde. Mythe ou réalité, Bowers serait né de l’union d’une comtesse française et d’un médecin irlandais. Dès 5 ans, il devient funambule. Kidnappé par un directeur de cirque, il est sauvé par un oncle. A 9 ans, Charley subvient aux besoins de sa famille. Il sera tour à tour garçon d’ascenseur, jardinier, placeur dans un théâtre, jockey, dresseur de chevaux, décorateur, acteur et toujours funambule (il manquera de se tuer en traversant entre deux immeubles de sept étages). Excellent dessinateur, il sera aussi caricaturiste au Jersey City Journal. A l’âge de 23 ans, il commencera une belle carrière dans les cartoons.

Il réalisera des centaines de dessins animés des séries Mutt and Jeff, mais aussi de Pim Pam Poum.
Dans les années 20, Bowers rêve de mêler comédiens et animations. Il mettra au point le Bowers process qui permet des trucages inouïs. Armé d’un imaginaire totalement débridé, le Bricolo de génie tourne des films sans équivalent. On y apprend que les voitures naissent dans des œufs, que les chats poussent dans les arbres, que les rats sont experts en armes à feu, que les huîtres savent parfois montrer les dents... On découvrira la banane antidérapante, l’œuf incassable ou les chaussures réglées pour apprendre à danser le Charleston.

En 1937, It’s a bird est programmé, sept ans après sa sortie, en première partie d’un long métrage commercial dans un ciné parisien. André Breton est dans la salle. C’est le choc. « C’est à ce film que nous devons d’être projetés pour la première fois, les yeux dessillés, sur la distinction platement sensorielle du réel et du fabuleux, au cœur même de l’étoile noire. » Dans L’Almanach surréaliste du demi-siècle, Breton fait figurer It’s a bird dans son Panorama. Mais, dans la case de l’année 1937, le film est attribué à Harold Muller... un collaborateur de Bowers. It’s a bird, le premier film sonore de Bowers, raconte l’histoire d’un oiseau mélomane mangeur de fer qui vit sous terre et que l’on attrape à l’aide d’une fanfare ! Le volatile a un bel appétit. Il est capable d’engloutir toute une casse automobile avant de pondre, tous les siècles, un œuf pas ordinaire.

Tout pour séduire le « pape » des surréalistes qui a dû se régaler également avec Now you tell one où Bowers, au bord du désespoir, vient raconter ses exploits extraordinaires (mais « vrais ») dans un Club de menteurs.
Comment un type comme Charley Bowers a-t-il pu disparaître de la mémoire cinématographique ? Mystère. Inventeur d’un monde aussi déjanté que merveilleux, Bowers est à nouveau visible grâce à l’édition d’un double DVD qui rassemble l’intégrale des films ayant survécu à ce jour. 4h30 de folie douce.

Magnifiquement restaurés à partir de rares éléments originaux, en collaboration avec des cinémathèques et collectionneurs du monde entier, le coffret contient dix films burlesques (1926-1930), six films d’animation (1917-1940) dont un court métrage de Joseph Losey, un documentaire sur la redécouverte de Bowers par Raymond Borde, une galerie d’affiches et de photos d’exploitation inédites. Bonus, il est possible de choisir les accompagnements musicaux sur les films muets.

Marc Perrone (accordéon), Bruno Letort (musique électronique en stéréo) et Neil Brand (piano en stéréo) sont ainsi dans l’aventure proposée par Lobster, dans la collection Retour de flamme. Evidemment

Charley Bowers, Un génie à redécouvrir. Lobster. En vente partout.

Charley Bowers, Un génie à redécouvrir. Lobster. En vente partout.