Le premier degré et même moins

Le premier degré et même moins

Aimer l’art, il faut, on doit. Ce n’est pas très difficile. Pareillement qu’on peut aimer (d’amour !) des madames qui font du cinéma, on peut aimer l’art, et encore pareillement qu’on peut se payer une call-girl, on peut s’acheter de belles choses. Mais pour ce qui est de vivre avec une icône, on le sait, ce n’est pas donné à tout le monde, il faut du talent comme il en faut pour de l’art faire. Je pourrais le dire à l’endroit, mais on ne va pas la refaire.

Ecrire aussi ça peut être de l’art. On me l’a dit, et j’ai vu la différence qu’il y avait entre le dire et le faire. Mais j’ai aussi vu la différence qui subsiste entre le faire et le faire, écrire, je veux dire.

Je répugne à écrire sur Internet. J’ai été traumatisé dans l’enfance de cette pratique, bouleversé par le brouhaha, les haha, les ah ah menaçants (« et j’espère qu’à l’avenir… »). J’imagine qu’il serait à la fois rétrograde et aveugle de ne pas concevoir que le web puisse être considéré comme une forme d’art, un jour, et je sais avec certitude qu’il ne faut pas perdre de temps, surtout pas, à même voir, juste voir, pas même regarder, la quantité invraisemblable de sites dont il ne faut pas parler, oups, pardon dis, j’en parle. Je voulais dire : les sites persos, même pas grave.

Tout cela est encore si neuf. A quel Grand Vizir peut-on se fier pour trier le bon grain de l’ivraie ? Quels liens suivre ?

Sur ce site-même, les liens j’ai suivi. Dans l’ordre :

Le site de Carole Zalberg Qui propose des « J’aime pas dire bonjour, Nouvelles, disponible dans une version raccourcie sur ce site
Savez-vous qu’en néérlandais, « poesie » (sans accent) se prononce « pousy », s’entend « pussy » ?
Là où il commençait à être possible de rêver, des choses simples, par exemple que la poésie, qui n’a jamais beaucoup rencontré le marché, allait pouvoir s’offrir une niche confortable sur le réseau, on l’ampute. Mais peut-être est-ce là une chose juste à faire, après coup, que raccourcir un poème, quand à l’origine il était trop long.

Le Site Anti-Jean-pascal.fr.fm On est anti ce qu’on peut. De mon côté je n’aime pas les moustiques. J’évite de l’ébruiter, je m’en veux d’ailleurs de révéler la petitesse de mes ennemis, j’imagine que je le mérite, ce n’est pas très fameux. Au moins suis-je fidèle à mon action, armé d’insecticide, j’agis réellement. Aussi, quand je lis sur ce site « Fidèles à notre action contre la Real-TV », je me demande : mais de quelle action parlent-ils ? Que font-ils vraiment, ces gens ? Sur quel site réel de la planète notre monde existeraient-ils, sans le web ? Luttent-ils, qui continuent - persistence ! - « à suivre les aventures médiatiques de l’ex-candidat Jean-Pascal de l’émission Star Academy », quand ils consomment et citent à qui mieux mieux ceux-là qu’ils prétendent combattre ?

Quelque chose déjà se dessine. Le site suivant est celui de Thibault Couëtoux, « le peintre de la matière ».

J’en ai connu, naguère, des peintres matiéristes. Ceux que cette discipline émeut sincèrement pourront comparer la matière en découvrant quelques œuvres de feu Michel Frère sur le site de la galerie Damasquine. Pour l’heure, dans un souci d’encore m’émerveiller, avec une rage craintive de sa propre disparition, j’aborde la lecture de la page d’accueil de Thibault C., qui « incorpore les images des mondes virtuels, de scannages divers » - divers, ça veut dire quoi, divers ? N’entend-on pas déjà dans le choix de ce mot : « n’importe quoi » ? - continuons : « de photos personnelles et d’autres éléments dont il a le secret » - ça veut dire quoi, d’autres éléments dont il a le secret ? N’entend on pas mieux encore qu’auparavant ce « n’importe quoi » contre lesquels ma rage mon désir ma vie tentent à tout prix d’échapper ? Serait-ce l’artiste de la métaphore du n’importe quoi, qui intitule si justement son site « comment vous dire » ? ou suis-je délirant ?
« Dans le champ de ses délires artistiques sages ou des plus fous » - et voici venu le temps des délires sages - « novateurs ou impertinents ». N’en jetez plus, voici l’aveu : la nouveauté opposée (c’est bien une opposition que ce « ou » qui sépare les mots « novateurs » et « impertinent ») à l’impertinence. Si tu n’es pas novateur, tu es archaïque, et si tu es archaïque, tu es impertinent. Voici l’artiste de la matière, la sienne pas si propre, la plus intime, en ses variables secrétions. Que conteste-il ? Quoi mais quoi dites moi quoi ? Ou allez voir ses images ! Non, justement, pas vous. Pardon. Et tout ça pourquoi ? « Pour créer un univers intimiste qui lui ressemble ». Il faudrait comprendre, et rien ne vaut l’outil, dites, je me trompe ? Utilisons l’outil, lançons la recherche.

Vous savez quoi ? Romain Didier, à Bruxelles, a déjà créé un univers intimiste qui lui ressemble. Et la généreuse Souad Massi, tout comme Benabar. Un univers intimiste qui lui ressemble, on peut aussi en trouver dans la BD de la saga de Monsieur Jean, dans la musique d’Anne Aubert, les livres de François Mauriac, les aquarelles de Marijo Roche, les photos de Frances Dal Chele, les peintures foraines de Felicien Rops, celles de Pascale Carrère, l’album hip hop Prefuse 73, ou le jazz de Joe La Barbera, entre autres 208 réponses offertes par Google en 19 centièmes de seconde. « C’est un jeu de cache cache, un jeu de dupe où celui qui regarde ne se sent pas piégé ». Dans ce cas, à quoi bon regarder ? Pour se rassurer ?

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