Interview : Alex Beaupain

Interview : Alex Beaupain

Ce jeune garçon, accort, un rien dandy mérite, comme son album l’indique, tous les honneurs. Après Science Po et quelques BO de films français il débarque avec des chansons intimes (et pas intimistes), des textes amers sur notre société qui bat de l’aile et reste vigilant sur l’abandon amoureux dont nous sommes tous victimes un jour ou l’autre. 11 titres de pop soignée qu’il chante d’une voix feutrée et qui sied parfaitement au costume qu’il s’est taillé.

Est-ce que le fait d’avoir déjà un beau palmarès de musiques de films vous a ouvert des portes pour votre album perso ?

Alex Beaupain : « Pas forcément, cela m’a fait connaître. Les gens des maisons de disques pouvaient m’identifier. Après, ce sont deux métiers totalement différents. Faire de la musique de film et être chanteur cela ne va pas forcément ensemble. Je ne suis pas persuadé que cela aide à signer quelque part, disons que grâce à mes BO j’ai retenu l’attention. »

Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir ce pas de devenir chanteur ?

Alex Beaupain : « Oh je voulais le faire depuis très longtemps. Je me suis lancé dans de la musique de film quand Christophe Honoré m’a proposé de faire sa BO de « 17 fois Cécile Cassard » suite à l’écoute de mes chansons. »

Finalement n’aviez vous pas pendant longtemps pris à votre compte l’adage « pour vivre heureux vivons caché » et plus particulièrement en ce qui vous concerne, l’écran blanc du cinéma pour vous protéger ?

Alex Beaupain : « Oui je pense que vous avez raison... j’ai mis du temps à m’assumer, à faire mon coming-out de chanteur. Je trouvais ça difficile de se présenter à des gens en chantant des choses personnelles et bêtement je trouvais qu’il y avait quelque chose de ridicule dans ce métier. »

Dans « Libération » on dit de vous que vous êtes l’enfant de Calogero et de Dominique A, alors est ce que votre parenté n’est pas trop lourde à porter ?

Alex Beaupain : « C’est une phrase de journaliste voulant dire que je suis mélodiste comme le premier et que j’écris des textes personnels comme le second. Après que ce soit eux ou d’autres... »

Vous retrouvez vous quand on vous compare à ces 2 là mais aussi à Daho, Gainsbourg et d’autres encore ?

Alex Beaupain : « Tant que ce n’est pas Nicoletta et Dave ça va ! »

Est-ce que c’est difficile de renouveler la chanson française ?

Alex Beaupain : « Oui ça je pense que c’est très difficile. Pour ma part je ne pense pas du tout la renouveler par exemple. Je l’accompagne. On sent beaucoup dans mes chansons les influences que j’ai pu avoir et je ne m’en cache pas. Je ne vois pas ce qui se profile dans la chanson française qui soit extraordinaire d’innovation. J’essaye d’écrire des textes personnels et de le faire de la manière la plus élégante possible et de ne pas considérer la musique comme un support. Je ne souhaitais pas tout axer sur mes paroles et laisser la musique de côté. »

Sans « Lily Margot » et Doc Mattéo auriez vous réalisé cet album ?

Alex Beaupain : « J’aurais eu du mal à le réaliser comme ça. Ils m’ont aidé à mettre en forme tout ce que j’avais dans la tête. Je voulais un album qui sonne un peu pop avec une formation basique guitare-basse-batterie. Sachant que je ne joue absolument pas de la guitare mais que je compose au piano, sans leur savoir faire et le fait qu’ils aient compris ma démarche je n’aurais pas pu aller vers ce disque. »

Votre disque pourrait très bien servir de BO au dernier livre de Michel Houellebecq, comme lui vous semblez angoissé, voir obsédé sur le temps qui passe et la décrépitude des sentiments ?

Alex Beaupain : « C’est le cas. Je connais très peu de personnes qui ne soient pas inquiètes du temps qui passe, c’est quand même quelque chose d’abominable. J’ai l’impression qu’à partir de 30 ans on ne va pas vers le beau. Par contre le fait de décrire les difficultés à pouvoir rester longtemps avec quelqu’un c’est quelque chose de beaucoup plus personnel. »

Jusqu’à la dernière strophe de « Brooklyn Bridge », votre titre de conclusion de l’album, vous avancez vers une fin bien souvent amère ?

Alex Beaupain : « Parce que ce sont des choses qui me sont arrivées ! Quand il m’arrive des choses joyeuses, et cela m’arrive, j’en fais des chansons joyeuses. C’est certainement plus facile d’écrire des titres mélancoliques. »

« Au Ciel » derrière une musique pop se cache une vraie blessure textuelle, la consolation de mettre en musique ses cicatrices est-elle un bon moyen de guérir ?

Alex Beaupain : « J’aime bien que vous ayez remarqué ce contraste dans cette chanson là car je voulais une violence de texte contrebalancée par une légèreté rythmique de la chanson pop. Je crois que lorsque l’on susurre les choses ou qu’on les déclame d’une façon insidieuse elle ressortent beaucoup plus violemment. J’aime bien me placer à cet endroit. Evidemment que de faire d’une abomination quelque chose d’artistique c’est une forme de rétablissement. »

Aviez-vous besoin de la tension que dégage même une guitare sèche pour orner vos compositions ?

Alex Beaupain : « Quand j’écris mes chansons au piano je les trouvent toujours trop gentillette ou trop tragique, je n’arrive pas à pénétrer cet espèce de rythme que trouve Doc Mattéo avec sa guitare. »

Est-ce que je m’avance trop si je dis que vous avez voulu marier la musique des Beatles avec votre univers textuel ?

Alex Beaupain : « Elle y est mais elle est due à Doc Mattéo encore une fois. C’est un garçon un peu plus vieux que moi qui connaît ses classiques sur le bout des doigts. Moi j’écoutais beaucoup de chansons françaises, ce qu’on peut résumer à Daho, Murat, Gainsbourg et quelque groupes des années 80 comme les Smiths. Ce qui est difficile et motivant en même temps c’est d’avoir la prétention d’arriver à ce niveau là. »

L’amour pour l’artiste que vous êtes est-il une cochonnerie qui dénude le sens profond de la vie ?

Alex Beaupain : « Cette question est encore plus compliquée que mes chansons ! (rire) Je crois que c’est quelque chose d’essentiel. Vous avez du remarquer que mes textes tournent toujours autour de ça. Je ne pense pas avoir un rapport aussi nihiliste ou désespéré à l’amour. »
Vous êtes un artiste à double face. Il y a d’un côté le romantique éconduit et de l’autre l’agitateur social. Dans « Quitter la Ville » vous n’hésitez pas à chanter tout haut ce qui doit rester tabou ?

Alex Beaupain : « Ha oui ! Ca c’est mon côté chanteur engagé ! de temps en temps cela me prend. Là ça m’a surpris moi même. Jusque là j’étais plutôt dans cet album sur le ton de l’intime, dans l’autobiographique et tout d’un coup j’ai écrit cette chanson qui est une chanson d’énervement par rapport à des choses que l’on peut voir tous les jours à la télé ou dans les journaux. J’ai mis du temps avant de la faire écouter à mes arrangeurs car j’ai toujours peur que cela soit pris pour des emportements primaires ou démagogiques. »

Ce thème sociétal c’est un résidu de votre période Renaud, artiste que vous écoutiez beaucoup étant jeune ?

Alex Beaupain : « C’était ma période collège. Vu que mon engagement à moi est moins prononcé que ce qu’il faisait avant, si mes dents s’éliment cela se verra moins. »

Je voulais revenir sur le titre « Garçon d’Honneur » ?

Alex Beaupain : « J’ai voulu l’écrire pour expliquer que l’on n’a pas forcément besoin d’une vie parfaite pour être heureux. Moi j’ai l’impression d’être plus content dans des unions libres. »

Quand vous devez mettre de la musique sur « Qui a Tué Bambi » ou sur « 17 fois Cécile Cassard » vous procédez de quelle manière ?

Alex Beaupain : « Le travail est différent d’un album de chansons. D’abord car là nous travaillons avec un réalisateur qui a des desiderata, qui demande un certain type d’ambiance, de matière sonore, certains instruments et puis aussi car là nous travaillons à trois avec Lily et Doc et que les compositions se font à l’image et ensemble. C’est un travail beaucoup moins solitaire. »

Vous comptez utiliser l’image dans votre musique ?

Alex Beaupain : « J’aimerais bien que Christophe Honoré fasse le clip de mon prochain single. »

Enfin j’aimerais savoir où vous vous fournissez en chemise car celle de la pochette est vraiment très belle ?

Alex Beaupain : « C’est le garçon qui s’est occupé du design de l’album qui me l’a trouvé. Je trouve qu’elle correspondait bien à cette élégance froissée que j’ai essayé de mettre sur le disque. »