1, 2, 3... Guerre ?

1, 2, 3... Guerre ?

Vous vous souvenez de Janvier 1991 ? L’Irak ne s’était pas plié à l’ultimatum de l’Organisation des Nations Unies, les médias étaient sur les dents, les experts militaires nous racontaient que l’armée de Saddam Hussein n’était ni plus, ni moins que la quatrième du monde. Le sablier déversait ses derniers grains jusqu’au moment fatidique où les bombes ont commencé à résonner sur Bagdad.

La guerre en direct, l’info tous les quarts d’heure, des lumières verdâtres conjuguées à des explosions mal définies dans la nuit de la capitale irakienne, l’armada américaine en marche avec autour d’elle une coalition impressionnante (Europe, Russie, pays arabes, etc), quelle allure, le monde libre et non-libre contre une dictature impénitente !

Il faut reconnaitre à Bush père une intelligence stratégique dont le fils ferait bien de s’inspirer car lors de la première guerre du Golfe, la cause était entendue, le Koweit agressé devait être libéré. Certes, les nations occidentales avaient gracieusement aidé Hussein dans les années 80 lorsque son pays bataillait contre l’Iran mais le contexte était différent. A cette époque, face aux mollahs iraniens, on préférait encore la queue du diable au ventre (islamique) de la bête, la crainte de voir la "révolution" de Khomeyni s’étendre sur toute la région était plus préoccupante que le gazage de la population kurde par les armes chimiques de mister Saddam (une enquête de Newsweek parue cette semaine, révélerait d’ailleurs que le gouvernement reaganien aurait fourni au boucher de Bagdad de quoi mettre fin à la révolte qui grondait chez une partie de son peuple. Chose dont il est interdit de s’offusquer, chacun agissant en fonction de l’intérêt pragmatique des enjeux internationaux, demandez à la France ce qu’elle en pense et notamment au lobby pro-irakien toujours vivace de nos jours).

Dès l’invasion du Koweit, mister Saddam s’est transformé en docteur Hussein, menaçant au-delà du principe floué des droits de l’homme, l’équilibre géo-stratégique du Moyen-Orient et de sa manne pétrolière.
Une fois la tâche accomplie sur fond de propagande (logique en état de guerre), certains experts militaires ont conseillé au hommes de Washington de "finir le boulot" (comprenant le renversement du dictateur irakien) mais la Maison Blanche, pas folle, s’est arrêtée à la stricte mission de ce conflit, préférant par la suite agiter cet ennemi comme un épouvantail. Pendant ces onze années, de multiples péripéties se sont déroulées, de l’oppression des chiites par Bagdad jusqu’aux effets désastreux de l’embargo décrété par les Etats-Unis en passant par la continuation des bombardements anglo-américains quand l’armée irakienne ne respectait pas la zone d’exclusion aérienne. Les inspecteurs se sont aussi mis au travail pour vérifier si l’Irak ne disposait plus d’armes de destruction massive. Ces inspections se sont interrompues pendant 4 ans avant, bien sûr, de reprendre très récemment.

La lutte contre le terrorisme passera contre Bagdad ou ne passera pas. Ne cherchez pas de lien direct avec les attentats du 11 septembre 2001, il apparait tout à fait flou. Bush a bien tenté de s’en servir comme effet d’entrainement pour justifier la perspective d’un conflit contre le régime Baas mais y compris du côté de son opinion publique, il n’arrive que modérément à convaincre. C’est là où le bât blesse. Pourquoi une nouvelle guerre contre l’Irak ?
Entre les raisons inavouables (pression du lobby industriel-pétrolier, asseoir la position américaine dans la région en remplaçant le dictateur irakien par un pouvoir pro-US, écarter la monarchie des Saoud, accentuer les divergences au sein de la coalition déjà fragile des pays arabes, etc.) et le discours officiel (l’Irak serait une menace pour la paix mondiale, l’utilité essentielle de désarmer Bagdad, crainte de représailles à l’arme bactériologique ou chimique contre Israël), il existe un fossé que l’administration républicaine peine à combler.

Hormis quelques alliés fidèles (Israël, la Grande Bretagne, les pays d’Europe Centrale et de l’Est pro-atlantistes, l’Australie), la Maison Blanche voit sa position contestée. Parmis les pays réticents aux arguments de l’ami américain, on trouve notamment la France et l’Allemagne. A ce titre, on aurait dû s’amuser plus qu’autre chose de la sortie de Rumsfeld qualifiant ces deux nations de "vieille Europe". Ce n’est pas la première fois que l’homme du Pentagone dépasse les limites du langage diplomatique et ce signe d’énervement représente surtout la preuve d’un échauffement outre-atlantique quant à pleinement justifier ses vues bellicistes. D’autant que sur un autre dossier, la crise Nord-coréenne, l’équipe Bush se montre largement plus indulgente.

Ceci dit, à partir de la situation actuelle, deux probabilités se font jour. La moins crédible se rapproche de l’analyse de Powell (qui au contraire de ce qui peut être écrit ici et là, n’a pas rejoint le camp des faucons) qui considère que la guerre ne doit avoir lieu uniquement si Saddam Hussein bloque les inspecteurs. Dans le cas contraire, Bush pourra se vanter d’avoir désarmé l’Irak sans avoir mis ses menaces à exécution. Dans cette hypothèse, il sera difficile de ne pas applaudir à l’habilité stratégique des Etats-Unis et cela aidera grandement l’actuel président américain à renouveler son mandat pour 4 ans, en 2004.
Le second scénario se situe malheureusement dans la logique poursuivie par Washington depuis septembre 2002 et consiste à estimer que le point de non retour a été atteint, qu’il est interdit à l’administration Bush de reculer maintenant. De ce fait, peu importe le résultat des inspections, l’action militaire ira à son terme.

Déjà, plus de réservistes ont été mobilisés qu’en 1991 et les channels US font dans la surenchère. En somme, tout est prêt pour une intervention anglo-américaine en Irak.

Au sein de ce jeu terrible, c’est en tout cas la population civile qui est prise en tenaille, vivant à la fois dans la peur de cette guerre annoncée mais qui serait certainement soulagée de ne plus subir l’oppression de son dictateur.
La partie d’échecs continue avec un début de réponse demain quant au dénouement de la crise, suite au compte rendu des inspecteurs sur le désarmement effectif ou non du régime de Bagdad. Cependant, il se susurre que dans ce climat frictionnel, les USA devraient laisser un mois supplémentaire à l’Irak pour prouver sa bonne foi.

Le sablier s’écoule mais les derniers grains sont comptés aussi bien pour George Walker Bush que pour Saddam Hussein.
Voici un feuilleton malsain pesant comme une chape de plomb sur le toit du monde.