Interview : Alain SOUCHON

Interview : Alain SOUCHON

Alain Souchon a cette facilité déconcertante qu’ont les latins pour se faire aimer. Dès qu’il se présente il enroule la conversation afin de vous mettre à l’aise, il décroche deux ou trois blaguotines pour vous imaginer être son meilleur ami, il enclenche la machine à confidence personnelle et en toute fin d’interview vous flatte le lard. Car monsieur est un grand professionnel, un grand connaisseur des relations humaines et surtout un immense artiste qui a toujours de « belles » choses à dire. Entretien Vérité dans les pas de ce nouveau Théodore ? Oui certainement mais attention à la glissade.

Est-ce que c’est vrai que tout l’album est parti de « Bonjour Tristesse » votre hommage à Françoise Sagan ?

Alain Souchon : « Je voulais lui témoigner un signe d’amitié et d’admiration. A l’époque je m’étais dit que j’allais lui faire une chanson que je lui enverrais sur une cassette. Donc j’ai fait ma chanson et puis malheureusement elle est morte... alors bon est ce que finalement le meilleur choix qui s’imposait ce n’était pas de faire un disque et d’y mettre ce titre en hommage... Ca m’a donné l’envie de fil en aiguille de faire un album complet. Ensuite j’ai vu un truc à la télé sur Théodore Monod où j’ai été assez troublé par son rayonnement, sa sagesse, sa beauté d’âme et le côté romantique de sa marche. Au bout du compte en y rajoutant des petites chansons par ci par là l’album est né. »

En fabuleux parolier de name-droping vous débutez le disque par « Putain Ca penche » et votre constat sur la société de consommation, pensez-vous que les marques rendent les gens impersonnels ?

Alain Souchon : « Ho non ce n’est pas comme ça que je le vois, tout le monde s’habille de la même manière mais de tout temps cela a été comme ça, c’est surtout la société de consommation qui a pris le dessus sur la jeunesse qui était encore il y a peu le moment de la liberté, la période où l’on pouvait tout envoyer balader et qui maintenant s’ils n’ont pas la chaussure de telle ou telle marque sont malheureux... c’est presque devenu tragique. En même temps à mon époque nous on voulait des jean’s, s’habiller en clochard et entendre nos parents dire que l’on n’avait pas le droit de se costumer de cette manière, dorénavant cela relève d’une symbolique beaucoup plus forte. C’est une mode puissante, ma chanson c’est un gadget, une photo de la société prise en instantané. »

En même temps à votre époque il y avait une vraie révolte construite, un besoin de tout changer ?

Alain Souchon : « Maintenant c’est le paraître qui prend le dessus. Vous savez, ce n’est qu’une petite chanson amusante avec un petit riff à la Rolling Stones de Laurent Voulzy que j’aime beaucoup. (rire) »

Bizarrement être chanteur c’est sacraliser le modèle parfait de ce monde à deux balles ?

Alain Souchon : « Personnellement je ne suis pas un modèle. Personne ne me suit, d’ailleurs il n’y a rien à suivre (rire). Je pense que je fais des photos que j’aime bien et que je les développe en musique pour les gens. Ca ne va pas plus loin que ça. Quand j’étais jeune j’aimais bien entendre Georges Brassens dire des choses et me sentir concerné, je me disais c’est super de dire ça, d’entendre Brel chanter ‘Les Bourgeois c’est comme les cochons...’, c’est « le moi aussi » qui me faisait vibrer. Cela permettait de s’y retrouver. Visiblement c’est pareil avec moi mais ce n’est pas pour ça que je suis un modèle à suivre. »

Vos chansons sont-elles des tableaux ?

Alain Souchon : « Un peu. Un peu des petits tableaux de ceci, de cela, de l’amour, la religion, la nature... »

Pour contrebalancer ce côté superficiel vous nous glissez le mode de vie de Théodore Monod, naturaliste et humaniste jusqu’au bout de sa vie, qu’est ce qui vous passionne dans ce personnage particulier ?

Alain Souchon : « Je vais être franc avec vous, avant de voir le reportage à la télé, je ne le connaissais pas ! J’ai été ébloui par sa simplicité, sa fraîcheur d’âme, sa façon austère de vivre, cette faculté à marcher dans le désert, de vivre sous la tente, de prier et d’étudier les plantes et les cailloux, la sincérité de sa vie. »

Seriez-vous capable personnellement de quitter le monde matérialiste ?

Alain Souchon : « Je ne crois pas, même si je suis tenté par moment... mais j’aime tellement être chanteur (rire). J’aime beaucoup marcher dans la montagne toute la journée, rentrer fatigué en ayant eu la possibilité de gamberger dans ma tête. La solitude et la nature cela me fait du bien. Le chanteur Antoine qui s’amusait à prendre son bateau pour quitter ce monde de fou me demandait un jour si cela m’arrivait de me retrouver seul des fois ? mais cela ne m’arrivait jamais et il me disait que c’était bon d’être seul face à la nature, maintenant je le comprends... »

Pour enregistrer vous vous isolez ?

Alain Souchon : « Non, on est en studio isolé du monde mais avec des musiciens. Où l’on est isolé c’est lorsque l’on fait les chansons en elles-mêmes. Il n’y a pas d’aide extérieure, on est seul avec sa musique et ses textes. On est à l’agencement des deux ; en train de faire un collage. »

Pour revenir à Théodore Monod, sa grande force venait de sa foi, alors que vous avec « Et Si En Plus Y’a Personne » vous semblez envier les croyants sans trop y croire ?

Alain Souchon : « Oui je les envie. J’aime bien l’atmosphère des églises. J’aime bien le côté naïf des prières. Parce qu’on est tous devant cette vie qui passe, devant l’infini du ciel et du temps, devant la mort même si on reste grisé par le fait de gagner de l’argent et d’avoir des filles dans son lit, n’empêche qu’il y a des trucs fondamentaux derrière tout ça et les gens qui ont trouvé la solution en se retrouvant dans les mains de Dieu, ils ont une espèce de calme intérieur. J’envie aussi les gens qui sont athées et qui sont sûrs d’eux, il y a quelque chose de beau. Moi je ne sais rien, je suis dans ce flou comme beaucoup d’autres du reste. Jusqu’à ma confirmation j’étais très pris par le truc ensuite cela m’a quitté ... Pour toute confidence j’aimerais bien tout de même qu’il y ait quelque chose derrière ! (rire) »

« Le Mystère » prend pour cadre le film d’Amos Kollek mais c’est surtout demander qu’est ce que l’amour finalement, avez vous une réponse à cette question ?

Alain Souchon : « L’amour est un mystère très fort mais la vie est remplie de mystères... je n’ai évidement pas de réponse mais c’est ce qui est excitant dans la vie : le mystère des choses, le mystère des femmes, c’est ce qui nous mène par le bout du nez, c’est ce qu’on essaye de percer pendant toute notre vie. »

Dans « En collant l’oreille sur l’Appareil » musicalement on voit que l’univers d’Alain Souchon et celui d’Albin de la Simone sont vraiment similaires, est ce qu’il est pour vous une sorte de fils spirituel de votre travail ?

Alain Souchon : « On a fait de la musique ensemble. Il a joué avec moi pendant un moment. C’est quelqu’un qui essaye de traduire ce qu’il est profondément en chansons n’essayant pas juste de faire des tubes. C’est un garçon qui cherche la correspondance avec quelqu’un...Il envoie son courrier (rire). »

Quand vous écrivez « A Cause d’Elle » est-ce une chanson difficile à écrire ou vient elle tout simplement à votre esprit ?

Alain Souchon : « C’est une musique de Laurent, les musiques de Voulzy sont tellement riches et profondes, simples et belles qu’elles inspirent beaucoup de choses. Je chante pourquoi ? A cause d’Elle ! donc pas besoin d’aller chercher midi à quatorze heure. »

C’est rare une collaboration aussi longue qui dure depuis plus de 25 ans ?

Alain Souchon : « Cela vient du fait que ce garçon est un type extraordinaire. S’il était votre ami vous ne voudriez pas le lâcher (rire). »

Je voulais revenir un peu sur ‘Elle’ et donc retoucher à la littérature en parlant d’un auteur dont vous avez en quelque sorte ‘joué’ les mots c’est Sébastien Japrisot. Pour beaucoup d’entre nous vous resterez éternellement pin-pon dans l’Eté Meurtrier, qu’est ce qu’il vous reste de ce tournage ?

Alain Souchon : « Ecoutez je me souviens beaucoup du beau temps, d’un travail qui ne me paraissait pas tellement difficile bien que l’on me rabâchais à tout bout de champs que j’étais formidable (je vous dis ça sans prétention). C’était curieux ce métier où je ne faisais pas grand chose et en même temps on me disait que j’étais bien alors que je ne peux pas faire des chansons sans être fatigué, stressé... En plus, je prenais Isabelle Adjani dans mes bras ce qui n’était pas désagréable, il y avait donc des tas de côtés sympa. »

Pourquoi alors que vous teniez la double casquette de chanteur-acteur et que cela marchait, avez vous décidé de ne plus tourner dans des films ?

Alain Souchon : « J’ai décidé d’arrêter parce que je ne pense pas être un bon acteur. Je pense être un acteur moyen. Evidement qu’un acteur moyen si on lui donne une histoire vachement bien et un bon metteur en scène il va faire un bon film... mais je reste quand même un acteur moyen. Dans la mesure où j’ai l’autre travail je me consacre à mon vrai métier de chanteur. Et puis je n’aime pas beaucoup vivre en bande et faire des fêtes... il y a tout le temps des fêtes c’est inimaginable comme les acteurs font la fête ! »

Vous avez joué deux fois avec Isabelle Adjani et vous n’avez jamais eu envie de lui écrire un album ce qui lui aurait évité de se retrouver avec Obispo ?

Alain Souchon : « Je fais des chansons quand on me le demande et elle ne me l’a jamais demandé... de toute façon je ne crois pas que j’aurais su. Je ne sais pas faire des chansons pour les autres. J’aurais aimé faire des chansons pour Vanessa Paradis ou Johnny Hallyday mais je ne sais pas bien... exceptionnellement pour Jane Birkin mais il faut des gens extrêmement forts pour faire ça comme Jean-Jacques Goldmann... »

J’ai remarqué qu’à part Laurent Voulzy en ce qui concerne vos textes personnels, vous n’avez travaillé qu’avec des filles ?

Alain Souchon : « OH ! pas beaucoup...un tout petit peu.... Les collaborations que j’ai faites c’est pour Sandrine Kiberlain, Jane Birkin et Françoise Hardy, 3 en tout ce n’est pas énorme. Laurent c’est comme mon frère, on a tellement parlé ensemble, vécu de choses ensemble que c’est un bonheur de travailler pour lui, je me mets dans sa peau, j’essaye absolument de ne plus être moi... Toutes les chansons de son album que j’ai écrites c’est lui qui parle, je suis son porte-parole. »

Vous dites que le « Rêve du pêcheur » est votre chanson préférée, ce n’est pas un peu con de ne pas vous l’être octroyée ?

Alain Souchon : « C’est impossible que je chante des chansons de Laurent. C’est bizarre mais c’est comme ça. »

Vous aimez manier l’autodérision et la dérision sur le monde, est ce tout simplement parce que vous avez compris très jeune que la plus grande farce de l’existence c’est que nous allons tous finir par mourir ?

Alain Souchon : « Je suis un grand angoissé sur tout mais il faut pas le dire (rire). Parce qu’il ne faut pas emmerder le public, je préfère être rigolo, simple, pas prendre la tête des gens avec la noirceur du monde. »

Que pensez-vous de ce qu’est capable de faire subir l’être humain à son prochain ?

Alain Souchon : « Les sociétés c’est rude. Les tigres entre eux ne se tuent pas, nous on se tuent ! C’est spécial les hommes. Je crois que si l’on faisait la révolution pour changer les choses on retomberait dans les mêmes travers. On l’a déjà vu ! il nous faut beaucoup d’Abbé Pierre pour nous montrer du doigts toutes nos faiblesses. »

Je voulais revenir sur votre collaboration cette fois avec votre autre fils Charles qui est le concepteur de votre site web qui est sûrement l’un des meilleurs site Internet que j’ai vu depuis très longtemps ?

Alain Souchon : « On s’amuse ensemble. On m’a dit de faire un site internet il y a 5 ans et moi l’ordinateur ce n’est pas mon truc, j’en ai peur... en plus ça m’énervait de parler de mon disque de 1975 c’était revenir en arrière et je n’en voyais pas forcément l’intérêt sans une valeur ajoutée, donc on a décidé avec Charles d’y adjoindre des conneries : des renards, des vaches, des machins... »

Enfin que pensez vous de votre surnom que vous ont donné vos fans "la souche" ça va bien avec les arbres, le vent et la liberté ?

Alain Souchon : « On m’appelait déjà comme ça chez BMG. C’est gentil que vous me disiez ça, j’aime la nature, les feuilles et les petits oiseaux (rire)...d’où le site internet campagnard. »