La couleur : instrument d’une politique de la ville en Albanie

Malgré une indépendance officielle datant de 1912, la véritable autonomie de l’Albanie date de 1990, après 46 ans de dictature stalinienne et trois décennies d’isolement politique en Europe.
La corruption, le manque d’investissement, une grande insécurité et des gouvernements faibles rendent difficile la transition du pays vers une démocratie multipartite et une économie de marché.
C’est le pays le plus pauvre d’Europe avec un taux de chômage proche des 40%.

Tirana, capitale depuis 1920, est à l’image du chaos que traverse le pays.

Panorama de la place Skanderbeg à Tirana

En 2003, sa population était officiellement de 353 400 habitants, mais certains estiment que ce nombre ne reflète pas la réalité, qui pourrait approcher les 700 000 habitants. Depuis quelques années, la ville souffre de surpopulation, les infrastructures urbaines n’ayant pas été suffisamment adaptées. Pourtant, de nouveaux bâtiments sont construits régulièrement (on soupçonne certains promoteurs immobiliers de blanchir de l’argent sale).

Un autre problème majeur est l’apparition d’une pollution atmosphérique catastrophique, liée essentiellement à l’accroissement anarchique du trafic automobile.
Résultats : une ville grise et anarchique.
Le maire actuel, Edi Rama, a entrepris des efforts pour rendre sa ville plus attrayante, en taxant les industries polluantes et en rénovant des quartiers et des espaces verts. Pour récompenser ses efforts, il a été nommé « Maire du Monde » en 2004.

L’un de ses projets fait l’objet d’une œuvre d’art, une vidéo documentaire réalisée par Anri Sala. Dans « Pass me the Colours », 2003, ce jeune artiste né en 1974 à Tirana montre en particulier comment cet homme très charismatique est entrain de transformer la ville grâce à la couleur.
Les immeubles, blocs de bétons individuels juxtaposés sans aucune politique d’ensemble, forment une jungle urbaine dense et laide. En décidant de peindre toutes les surfaces avec des aplats de couleurs vives, le maire redonne une unité et un sentiment de collectivité qui s’étaient disloqués. Il apporte également une tonalité de vie et d’espoir, incarne la démocratie dans ses jeux gais et osés de couleurs vives. C’est aussi le moyen d’éveiller les consciences sur l’environnement, de redonner la place aux citoyens au cœur d’une ville qui est la leur, qui se façonne avec et pour eux.

L’artiste a choisi de filmer la ville de nuit pour renforcer l’effet unificateur de la couleur. De nuit, en effet, les contours des immeubles s’estompent et, balayés par les phares des voitures, ils n’offrent plus au regard que leur façade colorée : d’un coup toute la ville semble uniforme, unie par l’obscurité et formant une longue suite de rectangles colorés.

C’est un magnifique pied de nez à la misère, une réponse artistique à la désespérance.