L’inconnue qui dormait dans un train

L'inconnue qui dormait dans un train

Je tenais à écrire quelques lignes à l’inconnue qui sommeillait dans un train entre Paris et Lille hier en cette fin d’après-midi du 15 septembre 2005. Il faut bien que je vous l’avoue, en station verticale, vos sens éveillés, vous n’étiez pas spécialement jolie, encore moins sympathique : votre ton souverain pour exiger une place qui vous revenez de droit me fit même peur quand à votre beauté froide d’anonyme elle aurait bien pu me convaincre que l’homme est fait pour vivre seul et éloigné au maximum de ses contemporains.

Heureusement pour moi, la fortune d’un billet flou composté à la va vite, la promiscuité des sièges trônant face à face dans ces cabines remplies d’abeilles ouvrières rentrant chez elles harassées par tant de labeur, me permit de vous regarder encore et encore...

Ce fameux TGV que je ne maudirais jamais assez d’être à grande vitesse car il n’a consentit à mes yeux hypnotisés que de vous contempler une petite heure. Profiter du magnifique spectacle d’une fille qui dort devrait être proposer aux fondateurs de la prochaine création.

Entre 17 et 18 heures toute mon attention ne se portait pas sur le paysage qui défilait à rebrousse poil, mon esprit ne divaguait pas sur les capacités motrices des civilisés du XXIème siècle, non... j’étais, de façon presque honteuse, gêné comme un voyeur immobile, magnétisé par votre grâce infantile, la tête appuyé sur une vitre glaciale, adoucie certainement de vous savoir ramenée chez vous.

Je ne sais rien de vous mademoiselle, je ne vous connais pas, je n’ai même pas osé interrompre votre séjour dans les bras de Morphée, timidifié par l’existence à nos cotés d’ordinateur portables manipulés par des cadres costumés ramenant à leurs logis des devoirs à faire à la maison. Je n’ai même pas esquissé le moindre geste, la moindre parole qui vous aurez à coup sur semblait déplacée... non, encore une fois je tenais juste à vous dire car vous ne pouvez pas le savoir que c’est beau une fille qui dort.

Triste, triste était ma peine lors de l’arrivée en gare qui fut fatalement pénible. A vous comme à moi pour des raisons différentes. J’aurais aimé reconduire le temps à sa porte d’envol uniquement pour prolonger ce moment entre la vie et la mort... éternellement, éternellement, et encore plus encore... De vos yeux je ne connais pas la couleur, de votre corps je n’ai comaté qu’un tronc. A vous voir émerger, puis sortir sans un mot dans une soirée forcement pluvieuse, j’ai eu l’impression que l’on me coupait un membre important de mon corps, une extrémité semblant inutile et provisoire qui ne m’avait jamais servis à rien, un bout de cœur que j’avais depuis longtemps oublié en bagage de ma trop grande connaissance du monde.

Et puis soudain j’ai pleuré en pensant à la jeune femme endormie que Vermeer m’avait piqué en vous.