Interview exclusive : L’auteur de POGROM se met à Nu

Interview exclusive : L'auteur de POGROM se met à Nu

Eric Bénier-Bürckel sortait, il y tout juste un an, son troisième roman "POGROM" chez Flammarion qui alimenta une polémique littéraire sans précédent où tout et n’importe quoi fut dit sur lui et son livre.
Le jeune auteur de 33 ans fut ainsi traité, entre autres inepties, d’antisémite notoire au style littéraire sous-emprunté à Céline et de réactionnaire.
Alors que les esprits se sont un peu calmés autour de EBB, nous avons décidé de lui donner la parole à travers cette "mise à nu" sincère qui, on l’espère, répondra à toutes les questions qui restaient encore en suspens, et servira à lever, définitivement, le voile d’une immonde suspicion.

1. Bonjour Eric Bénier-Bürckel, je suis ravi de vous accueillir ici, afin que l’on fasse le point, un an après la sortie de votre livre "Pogrom" (Flammarion) qui a créé, de manière assez inattendue et à mon avis très injuste, une polémique littéraire retentissante.
Revenons à cette fameuse dédicace du livre "Aux noirs et aux arabes". Votre éditeur Frédéric Beigbeder m’a dit, il y a quelques mois, qu’en fait celle-ci n’était pas prévue au départ.. et donc pas mise exprès pour faire scandale et stigmatiser à contrario les juifs...

Je l’avais d’abord dédié « aux enculés », puis « aux damnés de la terre », ce livre, c’est-à-dire à tous les impuissants de cette planète, mais, étant donné que dans "Maniac", j’avais déjà égratigné les noirs et arabes, j’ai voulu leur faire un petit clin d’œil en leur témoignant mon respect. Ils ne sont ni meilleurs ni moins bons que le reste de l’humanité, cela va de soi, mais ils font, en France et ailleurs, l’objet d’un racisme sévère, tout comme les juifs, dont on connaît le destin tragique. Je n’aime pas cette France d’en haut et d’en bas qui, comme en écho aux temps jadis où elle fustigeait le Juif, se venge de son propre déclin en tapant sur les immigrés, comme si le mal venait de tous les déracinés du monde. Mais c’est à Houellebecq que je pensais surtout, en écrivant cette dédicace, à ses prises de position contre les noirs et les arabes ; pourtant, certains mandarins croient bon d’encenser le moindre mot qui sort de sa bouche, fût-il nauséabond.

2. Pourquoi avoir choisi ce titre "Progrom" qui, lui, est d’emblée apparu louche et provocateur aux yeux des bien-pensants ?

Pogrom, en russe, signifie, Petit Robert à l’appui, destruction totale, avant d’être employé pour désigner les violences meurtrières commises dans les ghettos juifs, puis pour l’oppression de toutes les communautés minoritaires. Ce mot, gros de toute la méchanceté humaine, de son instinct destructeur, me paraissait idéal pour exprimer les passions qui sont à l’origine de ce qu’on appelle le nihilisme.

Pour moi, synonyme de destruction, ce mot barbare résumait parfaitement le contenu de mon roman : autodestruction de l’homme et de la civilisation, destruction du couple, destruction du milieu littéraire parisien, destruction de la phrase, destruction ou déconstruction de la forme romanesque elle-même, et, bien sûr, entre-destruction des peuples animés par la haine, expression typique de l’impuissance et de la peur, bien ancrée, hélas (mais je me suis gardé de tout jugement moral explicite dans Pogrom) dans la psychée humaine en bute avec un monde qu’elle ne contrôle pas. L’inqualifiable, c’est une sorte de personnage conceptuel qui, à mon sens, sert à cristalliser le dernier homme dont parle Nietzsche dans son œuvre, son enlisement dans le médiocre, son appel au suicide, son oui pathétique à la bassesse. Effrayé par sa propre volonté de néant mais aussi par le spectacle d’une humanité en proie à une violence sans cesse retournée contre elle-même, cet Inqualifiable incarne le nihilisme occidental...

3. Le plus blessant dans cette histoire a t’il été qu’on confonde le personnage fictionnel de "L’inqualifiable" avec vous-même ?

Blessant, non, troublant peut-être, d’autant que ceux qui m’ont assimilé à l’Inqualifiable sont critiques, éditeurs ou écrivains : on aurait pu espérer plus de nuance dans leur jugement, comme on l’a sans doute fait un jour pour Crash de Ballard, où le personnage principal porte le même nom que l’auteur, bien qu’il y ait un abîme entre l’un et l’autre. On s’en est même pris à ma coupe de cheveux - je me rase le crâne - en croyant y déceler le signe de mon appartenance au mouvement Boneheads.

Mais ce qui m’a amusé le plus, dois-je dire, c’est la violence de cette réaction, violence que j’annonçais dans Pogrom, par la voix de l’hôtesse, riche compagne de l’Inqualifiable, absolument certaine que son livre allait déchaîner de telles passions : j’avais face à moi une meute de chiens haineux prêts à me déchirer en pièces, et ces chiens, c’étaient, à l’en croire par leur honorable CV, des gens très bien élevés, respectables et cultivés, ayant probablement lu comme moi Sade, Dostoïevski, Lautréamont et Artaud. Peut-être que tous ces braves gens ne se défoulent pas assez dans leur vie privée. Ils l’ont fait sur moi, ça leur a fait du bien, j’aurais aimé qu’ils me remercient au moins pour ça : avoir offert à leurs instincts les plus bas l’occasion de se montrer au grand jour, ce qui me permet d’oser dire que l’Inqualifiable ce n’est pas seulement moi, mais tout ce petit monde aussi...

4. Ce qui m’a touché dans votre livre c’est cette trouvaille scénaristique d’un personnage en quête d’absolu littéraire qui trouve un moyen de financer ses rêves d’Art en séduisant une femme riche, il me semble que c’est un thème très intéressant et même générationnel qui aurait davantage dû toucher le lectorat, surtout les trentenaires comme nous... or on a l’impression que les gens n’ont lu que le côté sulfureux et ne sont pas rentrés dans votre histoire...

Ce thème du jeune mâle exploitant une riche bourgeoise est déjà présent dans "Septentrion" de Calaferte, que j’affectionne tout particulièrement. Ma bourgeoise à moi, dans "Pogrom", que j’appelle l’hôtesse, est une femme dure, hypocondriaque, jalouse, et, bien sûr, malheureuse. Quelle femme ne le serait pas si elle se savait mille fois cocue ?! Mais l’hôtesse, c’est aussi une autre forme du nihilisme, celle de la bien-pensance et de l’ordre répressif. L’affrontement de mes deux héros exprime le choc des différents nihilismes qui poussent sur le terreau de l’angoisse et du ressentiment.

Ce qui m’intéressait, c’était de mettre en scène un tel affrontement, de le pousser jusqu’au bout de sa logique dévastatrice. On a, pour s’épanouir, ou tout simplement pour créer, besoin de pouvoirs castrateurs et auxquels s’opposer. Avec l’hôtesse, qui ne cesse de critiquer le livre qu’écrit l’Inqualifiable, je donnais aussi la voix à mes propres censures : tout ce qu’on a dit de méchant dans la presse sur Pogrom était déjà couché dans mon roman ! Un torchon, un brûlot fleurant le moisi, un abominable ramas d’immondices ! J’accuse tout bonnement cette presse-là, qui manque cruellement d’imagination, d’avoir recopié les plus violentes répliques de ma charmante mégère, peinte à l’image, faut-il le préciser, de bien des nanties croisées dans les salons parisiens et autres foires à pétasses !

5. D’un point de vue extérieur on a l’impression que vous avez "payé" pour d’autres littérateurs qui eux sont de vrais racistes ou antisémites et que vous avez été le bouc émissaire d’intérêts et de règlements de compte qui vous dépassaient complètement ?

Peut-être, mais je ne me faisais pas trop d’illusions non plus sur la réception qu’aurait la critique de mon livre : toutes les époques sont friandes de boucs émissaires, je tendais une perche à la nôtre, avide de lapider tout ce qui ne pense pas comme elle. A vrai dire, je me moque de savoir qui, parmi les plus connus de nos plumitifs, est raciste ou pas, antisémite ou pas, même si je m’inquiète parfois de voir de brillants polémistes se prendre la pensée dans de drôles de vases. On ne peut tout de même pas croire sérieusement que les juifs, les francs-maçons, les scientologues, ou bien les extraterrestres complotent dans notre dos !

Notre temps est encore à la paranoïa... Et il est de nombreux imbéciles, plus ou moins sincères, plus ou moins calculateurs, pour se faire un plaisir de l’alimenter... Il y a d’autres façons de combattre la haine, d’abord en montrant les mécanismes avec sang froid et sans parti pris moral, comme je l’ai fait dans "Pogrom", puis en acceptant de reconnaître que la pureté n’existe pas, ce qui veut dire, et je le déplore autant que quiconque, qu’il y a de fortes chances pour que la peur, l’impuissance et la tristesse ne disparaissent jamais de cette planète. Ce qui me rassure, c’est que le reste de l’univers ne nous en veut pas ! Les hommes sont innocents jusque dans leur abjection, voilà ce que semble dire le ciel purgé de ses idoles quand on le regarde, la nuit, s’épanouir dans sa tranquille indifférence.

6. Dans l’essai "Au secours Houellebecq revient" qui est vient de sortir, Eric Naulleau en remet une couche et reparle de Pogrom, vous donne en exemple parmi ces littérateurs qui ont " de vilaines pensées", qui utilisent la littératures pour de sales idéologies. Il re-cite Rolin qui jugeait que votre style était "sous-emprunté" au modèle célinien...

Oui, j’ai lu le réjouissant petit livre d’Eric Naulleau, un des rares écrivains à avoir eu le courage de s’élever contre la fatwa qui avait été lancée sur moi par Rolin et Comment, en commençant par lire "Pogrom", entièrement, ce que beaucoup de critiques, par paresse, mais aussi par lâcheté, se sont abstenus de faire. J’ai été frappé par la réaction des journalistes du Nouvel Obs qui ont commencé par louer mon livre avec Thomas Régner, pour le fustiger une semaine plus tard avec Joffrin, avouant qu’ils ne l’avaient pas lu ! C’est tout de même amusant de prendre les critiques en flagrant délit de mauvaise foi. Mes vilaines pensées, comme Marcel Moreau aujourd’hui, comme Henry Miller hier, je les ausculte avec autant d’attention que mes bonnes pensées. Il se trouve qu’il n’y a pas que du « bon » en moi, et j’en suis désolé, mais qui peut prétendre, sans être aussitôt pris pour un mythomane, être totalement dépourvu de mauvaises pensées ? A quand des maisons de correction pour les esprits qui ne savent pas se tenir sagement en public ?

Un écrivain n’a rien à voir avec les chantres du Mea Culpa ! Je ne me prends pas pour Céline, encore moins pour Sade, et on n’a pas besoin de me dire que j’écris moins bien qu’eux : je ne l’ignore pas, et je le déclare clairement dans Pogrom, mais je travaille comme un forcené pour que mon style ne ressemble surtout pas à celui des journalistes de Elle et de Paris Match qui a, hélas, fait de nombreux adeptes dans les grandes maisons d’édition parisiennes ! Dans le fond, je préfère être traité de Sous-Céline que de Sous-Rolin, ou, pire encore, de Sous-Nicolas Rey !

7. Même si vous n’êtes pas un mondain qui traîne dans les cocktails littéraires parisiens, avez-vous vu changer les gens autour de vous suite à cette "polémique"... De jeune auteur très prometteur vous êtes devenu médiatiquement soupçonné d’antisémite littéraire et vous avez dû observer des gens changer de trottoir à votre vue, non ?

Est-on vraiment prometteur aujourd’hui quand on écrit des livres comme les miens, noirs, excessifs, violents ? On s’est toujours méfié un peu de moi. Un prof bien sous tout rapport, mon premier roman, publié chez Pétrelle, petite maison d’édition qui n’existe plus, m’avait valu de bien vilaines critiques. Et pourtant, ça reste mon livre préféré, même s’il est mal foutu. Son titre, d’ailleurs, souvent raillé, n’est pas de moi, mais de mon éditeur de l’époque, Alain Chagneau. Moi je l’avais appelé L’air de rien, ce long monologue d’un tueur en série, entrecoupé de scènes de torture et d’interrogations philosophiques, à l’image des romans de Sade. Ça serait bien qu’une maison d’édition le réédite, ce roman. On verrait que je n’ai pas changé mon fusil d’épaule, même si mon style a évolué depuis. On verrait surtout que je n’ai jamais rien fait pour promettre quoi que ce soit aux critiques, ni lune de miel avec le Christ, ni campagne de pub contre le réchauffement de la planète ! En réalité, j’ai toujours écrit mes romans en me disant qu’on allait forcément les jeter aux orties. C’était bon signe pour moi. Déplaire, surtout déplaire, quitte à être interdit de foire aux livres comme cela a été le cas cette année... Alors, nécessairement, j’ai déplu, et plus encore avec "Pogrom" !

Mais chez Flammarion, qui a publié Maniac et Pogrom, on me serre toujours la main, je suis un vilain petit canard, certes, mais pas un connard ! D’autres, comme Oliver Rohe, ancien camarade de jeu, dont je respecte le travail, soucieux de sa nouvelle image de marque, a préféré changer de trottoir. Il faut savoir choisir ses amis si l’on ne veut pas compromettre sa carrière dans le petit milieu des Lettres, ce vaste pays de Candy. Mais je suis encore pote avec Serge Joncourt et Stéphane Million, le beau Florian Zeller que je croise de temps en temps chez mon éditeur ne dédaigne pas de me saluer, des journalistes me soutiennent, et BHL m’a invité pour les vacances dans sa villa de Marrakech !

8. Quel(s) enseignements tirez-vous de cette polémique autour de "POGROM", avez-vous l’impression d’avoir mal fait, de vous êtes trompé d’avoir été trop loin ou juste d’avoir été la victime d’une radicalisation de la bonne pensée ambiante ?

Pogrom, j’ai mis deux ans à l’écrire. J’avais tout le temps de savoir ce que je faisais. J’étais conscient de la laideur que je remuais, lisant avec attention certains livres sulfureux, comme "Les décombres" de Lucien Rebatet, mais l’écriture de mes précédents ouvrages m’avait préparé à ce voyage au bout de l’immonde... Cette polémique a fini toutefois par me conduire chez la police, à la Direction Centrale des Renseignements Généraux très exactement, où j’ai dû platement expliquer que jamais je n’avais eu l’intention de faire l’apologie de la haine raciale ! D’un coup, sous la pression des médias et du gouvernement, j’étais devenu un criminel en puissance, voire un terroriste ! La fiction avait rejoint la réalité. J’ai observé tout ça avec la distance étonnée d’un Meursault, sauf que je n’ai jamais tué personne... Je ne pense pas être allé trop loin du point de vue de la démarche qui a toujours été la mienne : explorer le mal sous toutes ses formes. Je suis allé là où l’urgence d’écrire m’appelait, c’est tout. Si je suis victime, c’est de la bêtise et de l’ignorance de certains, mais je ne veux pas me considérer comme une victime.

Dans le contexte national et international qui est le nôtre, il était normal qu’on s’inquiète des propos que je fais tenir à certains de mes personnages, je me suis expliqué là-dessus, libre à chacun de croire ou de ne pas croire à ma bonne foi. Si j’ai pu, quelquefois, sur un ton provocateur, critiquer Israël en dehors de mes livres, ce n’était pas un peuple que je visais, mais une politique. Comme beaucoup, je souhaite que les Juifs et les Palestiniens résolvent pacifiquement et équitablement leurs problèmes.

9. Quel sera le thème de votre prochain roman ?

"Un Prof bien sous tout rapport", "Maniac" et "Pogrom" forment un triptyque sur le Mal et la Terreur. Je travaille aujourd’hui sur l’Amour... Il y a bien des zones d’ombre à parcourir de ce côté de l’âme humaine aussi... Mais je me désintéresse de plus en plus des thèmes à proprement parler... C’est le style qui m’intéresse, le style « qui est à lui tout seul une manière de voir les choses », comme l’a très bien écrit Flaubert...

10. Je vous laisse le mot de la fin cher Eric...

Mes respects à Pierre Jourde, à Baptiste Liger et au Transhumain... Merci à vous de m’avoir accueilli, cher Frédéric.

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