Les joyeuses colonies de Vacances

Les joyeuses colonies de Vacances

Je venais d’avoir 18 ans. A ce moment-là j’étais un jeune animateur débutant de centre de Vacances dans le Sud de la France. De la même manière que les anciens cancres font de bons professeurs, ceux qui n’ont jamais été colons sont des animateurs hors pairs. C’était mon cas, bien que n’ayant jamais été moi-même envoyé par mes parents dans un de ces camps de divertissements obligés pour préados, j’avais ce job d’été dans la peau - dorée au soleil d’août un peu venteux, mon enthousiasme. Mon dynamisme et mon physique de minet brun aux cheveux longs faisaient de moi l’animateur à la mode, celui que les gamins adoraient et suivaient dans tous
ces délires que j’improviserais au fur et à mesure.

Ainsi je pouvais décréter et affirmer sans être contredit que sous ma casquette se cachait un troisième œil, que mon doigt avait le pouvoir d’ouvrir les portes des supermarchés, que j’étais un fils caché que le Président de la République avait eu avec une italienne un peu chaude, et j’en passe et des meilleures, tout devenait magie pour des enfants qui, souvent, venaient de famille dans le plus grand dénuement matériel ou affectif. Du coup tout était jeu et invention permanente, ce qui m’allait très bien.

Les petits mecs m’aimaient bien et les filles me chouchoutaient à longueurs de journées. J’étais inondé de déclarations enflammées, d’attentions particulières et de petits mots doux dont le plus fameux était sans doute « je te quitte du stylo, mais pas du cœur Fred ».

Le public était pourtant socialement varié. Il y a avaient des enfants de milieux convenables mais certains autres avaient deux slips de rechange pour tenir tout le séjour, d’autres encore ne mangeaient pas à leur faim à la maison, et du coup s’empiffraient les premiers jours et étaient tenaillés par des crises de foie épouvantables ensuite.

Le microcosme de la colonie de vacances est un endroit, d’expérimentations et d’observations, parfait pour qui sait voir, écouter, disséquer et analyser. Je vivais chaque seconde de ces aventures avec délectation et jubilation, curieux de tout. Cet espace me donnait un pouvoir psychologique sur les enfants et les adultes que je n’imaginais pas. Une sorte d’emprise psychique qu’il me plaisait à utiliser et doser.

Le Directeur étant pour le moins défaillant pour cette session, je décidais donc je prendre en main la colo, une soixantaine personnes, en tout, les responsabilités ne me faisaient pas peur ; j’étais, en fait, complètement inconscient, c’est un miracle que dans ces conditions précaires, il n’y eu aucun accident majeur. Pendant les trois semaines du séjour, tous les repères changent, en quelques heures vous devenez le substitut d’un père, d’une mère, d’un oncle, d’un frère ou d’un professeur. Les gamins d’attachent très vite à vous et cela donne des situations pittoresques, cocasses ou dangereuses si on n’y prend garde.

Le groupe d’enfants était assez hétéroclite, une jeune fille d’une famille bourgeoise habillée en total look « scout de France » avait débarqué à la Gare et avait atterri dans notre groupe. Ses cheveux tressés tombaient jusqu’à ses fesses. Elle était un peu ronde, portrait un appareil dentaire et avait, avec tout le monde, une attitude dédaigneuse, hautaine et prétentieuse.

Elle n’était pas du même monde que les autres colons. Elle vivait à Vienne en Autriche, faisait ses études dans un collège français et jouissait d’une éducation de haute tenue. Quelques jours plus tard les autres filles, la plupart issues de banlieues défavorisées étaient complètement fascinées par cette pimbêche insupportable.

Une petite métisse black charmante est vite devenue sa dame de compagnie, l’accompagnant partout et coiffant tous les matins et soir la chevelure de cet ersatz grossier de princesse autrichienne en herbe.
Parmi les colons, il y avait même un prénommé Claude François qui souffraient bien évidemment des quolibets permanents de ses camarades à cause de cette étrange appellation. Rajoutez à cela, pour son malheur une tache grise de naissance à l’avant de sa chevelure brune qui faisait dire à chaque personne qui le voyait pour le première fois « dis donc gamin t’as un truc blanc dans les cheveux, vas te nettoyer ! ».

Des jumelles blondes faisaient partie de mon groupe. A douze ans elles avaient la taille de filles de Huit ans, elles avaient des becs de lièvre, des lunettes de myopes, et comble de l’horreur ces pauvres gamines avaient une voix particulière due la déformation de leur palais, ainsi qu’une atrophie partielle de plusieurs de leurs doigts. Pourtant contrairement à ce que je pouvais penser, elles subissaient peu ou pas de sarcasmes de la part des autres colons.

Il faut dire qu’elles étaient particulièrement matures pour leur âge et très intelligentes de surcroît, assez pour rabaisser le caquet à n’importe quel môme un peu lourdingue ou un peu moqueur. J’étais complètement scié par l’aplomb et la confiance en elles de ces deux clones en jupons. Les observer mener les autres au doigt et à l’œil et profiter avec subtilité de leurs handicaps était un spectacle incroyablement instructif pour moi.

Le point culminant de cette aventure approche. Avec mon équipe composée d’une dizaine de garçons et filles d’une douzaine d’année, j’étais parti pour des jeux en forêt. Il faisait une chaleur à crever et nous avions dû marcher beaucoup pour mener à bien nos activités programmées par la Direction de la colo.

J’avais dans mon sac à dos, une grande bouteille d’eau et un goûter à base de chocolat qui était dans un état lamentable au sortir de son logis écrasé par le reste de mes affaires et cuit par le soleil.
N’ayant pas beaucoup de place dans ce transport précaire, je n’avais qu’un litre à partager avec le groupe et j’imaginais déjà le moment du partage avec une certaine appréhension.
La réalité était telle que je l’avais pressenti, le goûter très collant avait assoiffé et sali la meute d’enfants dont j’avais la charge pendant cet après-midi là.

Je devais donc faire une grosse restriction d’eau. Chaque élément du groupe devait passer devant moi et je versais un peu dans sa bouche pour un premier passage et puis dans ses mains pour un deuxième passage anti-saleté.

La plupart des colons étaient passés deux fois par ce rituel quand pour quasiment terminer mon partage, les jumelles blondes s’avancèrent vers moi pour se laver à leur tour.

Et c’est là que j’eus cette pensée absolument terrible, cruelle mais que je n’ai pas pu m’empêcher de générer dans mon fort intérieur.

« Ouf il me reste les petites jumelles, au moins je ferais des économies de doigts avec elle et j’aurais assez d’eau pour les autres ». C-R-U-E-L vous dis-je !