Interview : Jean-François Patricola

Interview : Jean-François Patricola

Jean-François Patricola n’aime ni la lumière, ni les diners mondains, ni les guéguerres intestines du milieu littéraire parisien. Ce romancier, poète, essayiste, traducteur en italien et revuiste se retrouve pourtant parmi les auteurs dont on va beaucoup parler lors de cette rentrée 2005 placée sous le signe du retour romanesque de Michel Houellebecq.

Dans la foulée de "La possibilité d’une île" (Fayard), Patricola publie un essai "Houellebecq et la provocation permanente" (Ecriture) qui risque de montrer l’auteur des particules sous un jour nouveau. Un travail original, méticuleux, sérieux et digne d’un amoureux des lettres. Entretien.

1. Bonjour Jean-François Patricola, vous avez une grosse actualité pour la rentrée 2005. Vous publiez un essai intitulé « Houellebecq ou la provocation permanente » (Ecriture) et un roman « Les dresseurs d’ombres » (A contrario). On vous connaît comme auteur de plusieurs recueils de poèmes, d’un roman poétique et de nombreuses traductions d’italien et de sicilien (poésie, théâtre, opéra), également comme revuiste. Comment êtes-vous venu à vous intéresser à Houellebecq et à écrire un essai ?

Publier un roman et un essai en septembre est en effet considéré comme une grosse actualité par le milieu éditorialiste et journalistique. Cependant, je ne considère pas cela comme une « grosse actualité ». D’autres projets ont été repoussés à des dates ultérieures, notamment à janvier 2006 (une biographie sur Jules Roy, une anthologie de la Sicile et un essai sur Maurice Blanchot). Peut-être que si leur parution avait été maintenue à septembre comme prévu initialement, on aurait pu parler alors de grosse actualité. Mais je comprends ce que vous entendez par là. L’actualité pour ce septembre 2005, c’est Michel Houellebecq. Lui et personne d’autre ! Aussi, parler de Michel Houellebecq, écrire sur Michel Houellebecq, c’est faire partie intégrante de l’actualité ! Ne boudons pas ce plaisir.

Va donc pour grosse actualité ! Comment me suis-je intéressé au phénomène ? J’ai écrit, en 1998, une nouvelle très cynique sur Michel Houellebecq et Bernard Pivot à la suite de l’émission télévisée de ce dernier. Puis, plus rien. J’ai été, comme beaucoup, un peu surpris et inquiet face au succès de Houellebecq. Inquiet surtout parce que le succès s’accompagnait de louanges et de dithyrambes jamais égalés à ce jour : l’auteur était loué et comparé aux plus grands : Proust, Céline, Dostoïevski, Flaubert, etc... Pourquoi pas ? Mais lorsque je l’écoutais ou le voyais à la télévision, j’avais du mal à penser qu’un ectoplasme mou, incapable de s’exprimer, d’infirmer ou de confirmer ces louanges, bredouillant et inaudible, puisse être ce génial écrivain que la France et le monde attendaient tant ! J’ai voulu croire à un moment au syndrome Patrick Modiano. Et puis lorsque il y a eu ce 11 septembre 2001, désormais célèbre et que Michel Houellebecq tombait les masques, je me suis dit qu’il était un produit de la société du spectacle ! Un vrai ! Le premier ! On adaptait les règles qui régissent le monde à la littérature et c’est Houellebecq qui en était le cobaye et le cheval de Troie ! Ensuite, ce sont les arcanes de l’édition. Un projet amène un autre projet, entre avortements et naissances, on m’a offert cette possibilité de m’exprimer sur lui et le spectacle attenant. J’ai répondu favorablement, séduit par le défi.

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2. Si votre essai s’articule autour de la polémique houellebecquienne, on peut dire qu’il ne s’agit en aucun cas d’un règlement de compte dans le petit milieu littéraire, quel était votre concept de départ ?

En aucun cas, il ne s’agit de règlement de compte. En revanche, il s’agit d’un règlement de conte ! Cela oui ! Car, je tiens à apporter une vision moins idyllique au conte qu’on nous a servi à propos de Michel Houellebecq : ce pauvre Droopy, sorti de nulle part, maladif, chétif, presque Calimero, dépressif, sans ami, vivant comme un pauvre hère et qui, par son seul talent, sa force du poignet, et son acuité sensationnelle, sans l’aide aucune d’une quelconque fée, a conquis le monde. La seule fée dans cette histoire, c’est Raphaël Sorin ! J’ai voulu décortiquer les polémiques nombreuses autour de Houellebecq, montrer qu’il n’a rien d’un agneau, que la fée est une marâtre, que ses références sont tronquées, qu’il manipule les journalistes en les gavant de références scientistes, que son écriture n’est pas novatrice ni celle d’un génie, et qu’au contraire il ne maîtrise pas tout dans l’écriture, les niveaux de narration par exemple, qu’il a su profiter de la naïveté du milieu germanopratin pour devenir incontournable, qu’il sait enfin s’entourer d’amis précieux qui voleront à son secours dès qu’il essuiera des attaques.

Ce fut le cas de Dominique Noguez, de Sollers ou de Fernando Arrabal qui se fend d’un livre en hommage à son ami mais qui ne se prive pas pour dire dans tout Paris que Houellebecq est un zazou qui vit au fond d’une cave en Espagne, une lampe rivée au front et qu’il est tellement abruti qu’il n’a pas pu écrire la fin de ce roman tant attendu depuis quatre ans !

3. Pourquoi faut-il lire cet essai, qu’allez-vous nous apprendre ou nous révéler que nous ne sachions déjà sur Houellebecq ?

L’intérêt de cet essai est double. Il repose sur une analyse littéraire et sur une étude sociologique du monde du spectacle. Il aborde les référents littéraires de Michel Houellebecq, ses univers de création et son parcours de revuiste, des années « Idiot international » façon sauce Jean-Edern, autre histrion qui avait compris le premier que faire parler de soi c’est vendre, aux années « Perpendiculaires ». Rien n’est le fruit du hasard. Il enlève une attachée de presse, la compagne de Maurice Nadeau, son premier éditeur qui lui a fait confiance, et de cette Sabine, comme tant d’autres, il saura tirer le meilleur partie pour fonder un empire. Houellebecq c’est plus « extension du domaine de la flûte » et « particules alimentaires » que Salammbô et Karamazov ! Le spectacle, tel un monstre hideux, a besoin de victimes et d’icônes ! Houellebecq est celui qui incarnera les deux ! Entre vilenies et mensonges, l’homme n’a peur de rien pour atteindre les sommets. Mais tous les empires meurent...

4. vous qui possédez la double nationalité franco-italienne, lisez la presse italienne et écrivez dans le Républicain Lorrain des chroniques et articles sur l’Italie, comment l’œuvre de Houellebecq est-elle perçue en Italie car on sait que ses livres ont beaucoup de succès à l’étranger ?

La provocation qui accompagne très souvent la sortie d’un de ses livres n’a pas fait recette en Italie surtout sur l’énorme scandale de « l’islam est la religion la plus con » Et pour cause, les Italiens étaient amplement servis avec Oriana Fallaci, journaliste bien connue des services médiatiques et qui allait encore plus loin en appelant à la croisade ! De plus, quelques années auparavant avaient sévi ceux que l’on a nommés les Cannibales autrement plus incisifs et provocateurs. Les Italiens ont suivi Houellebecq comme les Français suivent un gros succès éditorial en Italie et qui est ensuite traduit dans leur langue.

Houellebecq n’est pas l’équivalent de Camilleri ou de Tabucchi ni même d’Erri de Luca ! De plus, la Thaïlande et les pays frontaliers demeurent pour les Italiens les lieux où le romantique Sandokan sévit ! Les Italiens aiment le fait politique, c’est certain, l’homo-politicus même s’ils sont les premiers à railler la fonction et l’individu, même s’ils aiment la décadence en ce milieu : souvenez-nous de la député Cicciolina (ex star du porno) ! Cela nous montre qu’en matière de provocation à la petite semaine, ils leur en faut davantage, contrairement aux Français qui restent timorés et soucieux d’une certaine éthique. Regardez aussi les « vallette » dépoitraillées sur les plateaux télévisés ; ne serait-ce que pour présenter des émissions de variétés ou de football ! Ce n’est donc pas le mode : « une queue fourrage un con » qui va faire fonctionner la machine éditoriale en Italie : il y a Manara ou les fumetti pour cela ! De plus, la figure de l’intellectuel et de l’écrivain, voire du poète, est encore sacrée en Italie : tous ceux qui prétendent à ce statut ont des chroniques propres, hebdomadaires, et parlent de tout sur tous les aspects de la vie quotidienne et particulièrement en matière de politique. C’est le cas d’Umberto Eco notamment.

En France, il n’y a que BHL dans le Point qui agit de même ; et encore c’est tellement loin de la vie de tous les jours, toujours trop livresque et m’as-tu vu... Un ectoplasme mou comme Houellebecq intrigue au début, mais ne peut répondre à ces attentes-là ! L’aspect politique n’a pas pris une dimension similaire à l’Allemagne avec les enfants des enfants d’Auschwitz. Sinon le succès est indéniable si l’on s’en remet aux ventes. Mais il faut signaler à ce propos que succès il y a aussi à cause de la facilité à traduire Houellebecq dont l’écriture est simple ! Pensez-vous traduire Proust en moldave ou en espéranto avec le même succès ?

5. Lorsqu’on est spécialiste de Blanchot, de Jules Roy, trouve-t-on réellement intérêt au travail de Houellebecq ou jouent-ils dans la même catégorie ?

Je ne suis pas spécialiste de Blanchot. Qui pourrait l’être d’ailleurs ? Je connais bien son œuvre, j’y ai consacré six années universitaires, je continue à m’y dédier puisque je compte parmi les membres du comité d’organisation ayant en charge le colloque international Levinas-Blanchot qui se tiendra en 2007, mais je ne suis pas un spécialiste de Blanchot. Toutefois, puisque j’ai travaillé sur les figures féminines et la Loi dans son œuvre, son approche m’a aidé dans le travail sur Houellebecq. Quant à Jules Roy, c’est aussi la même chose, nous avons correspondu, j’ai passé une semaine chez lui en sa compagnie à Vézelay, je l’ai questionné, je possède de nombreux documents mais je ne me positionne pas en tant que spécialiste ! Jouent-ils tous dans la même catégorie ? Vous aimez la provocation ! Jules Roy était un homme de devoir et de courage, un fort en gueule qui se mettait à dos tout le monde, un tendre aussi, un engagé qui allait au bout de ses convictions : il a pris parti pour l’Indochine contre la France en pleine guerre d’indépendance !

Bref, tout le contraire d’un Houellebecq. Une seule accroche toutefois : il était un bâtard comme il aimait à se définir et à le revendiquer, et Houellebecq abandonné des siens, placé chez sa grand-mère. L’un en a fait une raison d’aimer l’homme, l’autre un motif de haine du même homme. Et Blanchot ? ne comparons pas la puissance poétique, le questionnement philosophique avec la lâcheté et les clichés !

6. Quel a été le grand enseignement de votre travail sur Houellebecq ?

C’est un jeu ludique : il faut décrypter le texte à l’aune des frasques de Houellebecq et vice versa puisqu’à chacune de ses sorties les courbes des ventes grimpent ! C’est également une enquête dans le brouillard, il faut dévider la pelote, chercher la sortie dans un improbable labyrinthe sans l’aide d’Ariane, car dès lors que l’on a à faire à un auteur médiatique tout et son contraire est dit, et même cela personne ne veut l’avouer. J’ai également trouvé des analyses et des thèmes intéressants que nul n’a abordés jusqu’alors et que j’espère développer ultérieurement. Sinon, le face à face avec l’œuvre de l’autre est similaire au face à face de Moby Dick et du capitaine Achab !

7. Arrivez-vous à comprendre son succès public ou est-il totalement disproportionné ? On a souvent parlé à son propos d’écriture de fin de siècle, qu’en pensez-vous ?

Houellebecq est à la littérature ce que la Star Academy est à la chanson : un produit commercial, savamment distillé, rendu incontournable ! Jugez plutôt : il n’y aura pas de rentrée littéraire en septembre sinon l’événement Houellebecq. Quelques médias sont autorisés à approcher le monstre sacré que Barnum, alias Raphaël Sorin, a tiré de sa cave où il vit en reclus. Vous saupoudrez le tout avec de la provocation, des rumeurs véhiculées par les proches, quelques sujets qui feront polémique, vous orchestrez le monstre pour qu’il dérape, se présente aviné ou abruti de médicaments, ou alors bronzé et flambant neuf comme pour marquer une renaissance et vous avez le produit que tous achèteront sous peine de passer pour des has been devant la machine à café à la rentrée. Ecriture de fin de siècle ? On a beaucoup comparé Houellebecq à Huysmans, Proust ou Céline. Par rapport à cela je préfère croire que c’était de la provocation pour faire parler de soi, vendre ses papiers, s’emparer d’une alvéole libre... Car comment peut-on comparer Houellebecq qui ne maîtrise pas la narration (à moins que certains passages de Plateforme aient été écrits par d’autres plumes), à ces écrivains ? Maintenant, si nous considérons notre siècle et notre civilisation comme décadentes à l’aune de Spengler, alors oui il est le miroir de notre époque : écriture simple et simpliste, pleine de clichés, quelques analyses type fiches Marie-Claire, des recettes type Men Health et vous obtenez une « écriture » fin de siècle...

8. Parlez-nous de votre roman, Les Dresseurs d’ombres (A contrario) qui paraît en Septembre. Il semble que l’on trouve là la véritable voix de Patricola.

L’essai consacré à Houellebecq est également ma voix, mais il est vrai que le sujet « essai ou pamphlet » est plus encadré, que les directives et les contraintes éditoriales sont plus prégnantes que pour une pure création comme c’est le cas pour les Dresseurs d’ombres. Disons que je poursuis mon travail dans l’univers que j’aime grâce à Matthieu Baumier, le directeur littéraire qui me fait confiance : je privilégie donc la mise en abîme, le roman à écussons, les histoires enchâssées, le baroque et le poétique. Il s’agit, comme pour Salam Shalom (A contrario) qui se lit sur trois niveaux, le dernier étant une initiation sur des rites de charbonniers, d’un recueil de nouvelles liées entre elles par un fil conducteur : un narrateur qui mène une enquête sur un mystérieux vieillard et témoigne dans un journal de bord. L’intrigue se situe dans la Moselle post-industrielle, la Vallée de la Fensch, rendue célèbre par Bernard Lavilliers. Des artistes en résidence se retrouvent une fois par semaine en cénacle sur le mode des soirées de Medan et lisent leurs travaux hebdomadaires. Découvertes des lieux et des hommes qui les ont constitués, chasse aux ombres et aux fantômes du passé, quête de soi, interrogation du milieu artistique contemporain, de l’homme : tout est fait pour que le lecteur bascule d’un chapitre sur l’autre, dans les différents personnages et qu’au final il devienne à son tour un dresseur d’ombre : le dresseur de ses propres ombres. Je m’attache aussi toujours à travailler la langue poétique en ces temps où elle n’est plus de mise. Ce n’est pas une profession de foi, c’est une nécessité pour moi.

9. Quels sont vos projets littéraires après la Rentrée littéraire 2005 ?

Les Belles Lettres m’ont confié la direction d’une anthologie dédiée à la Sicile. Toujours sur la Sicile, je dois toiletter ma traduction du sicilien relative aux chants, volume 2 : « séparation et déclaration », après « amour et jalousie ». Si l’envie est là, dans la foulée, j’enchaîne avec la traduction du volume 3 : chants de mafieux et de prisonniers. Plus près, je retourne chez Jules Roy en novembre à Vézelay pour derusher la cinquantaine d’heures d’entretiens que j’ai de lui et accéder à certaines archives pour finir la biographie (A contrario). Mais 2006 sera dédiée à l’organisation du colloque Levinas-Blanchot, à la rédaction d’une intervention et à la mise en place d’un numéro de revue qui sera consacré aux deux penseurs. Dans cette aspiration-là, je souhaite achever mon essai sur Blanchot à partir de mes travaux de doctorat et me mettre en quête d’un éditeur intéressé par ce travail. Voilà pour ce qui regarde le connu, quant à la terra incognita....

10. Par quoi voulez-vous terminer cet entretien cher Jean-François Patricola ?

Par une bonne pipe !... Enfin, avec cette lutte anti-tabac et tous les filtres sur le net, je vais me contenter de mon bâton de réglisse. Merci à vous Frédéric.

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Jean-François Patricola sur le Net

Jean-François Patricola, "Houellebecq ou la provocation permanente", Ecriture, 2005

Jean-François Patricola, "Houellebecq ou la provocation permanente", Ecriture, 2005