Elvis 1973

Elvis 1973

Mon état de santé n’est pas au mieux. Ma carrière n’est pas au top. Nous sommes le 14 janvier 1973, je dois peser au bas mot plus de 100 kilos et je sue comme un porc sous le soleil. L’hypertension que l’on m’a diagnostiqué, un abcès au colon et la cortisone me rendent plus fort dans tous les sens du terme. J’ai lu en première page de « l’Hawaii Evening » que j’effectuais une sorte de thalassothérapie pour montrer au monde que le King n’était pas mort. Ouais les mecs riez toujours, je suis mal en point mais vivant. Je joue toute ma saison sur un soir. Comme au Casino. Va pas falloir m’effondrer comme il y a quelques semaines à Las Vegas !

Mes médecins m’implorent de raccourcir mes tournées. J’en étais à 160 concerts par an. Selon eux il me faudrait en couper 100 pour améliorer enfin ma santé physique et mentale, sinon je cours à la catastrophe. Et bien allons- y ! Si vous me rabotez de là autant tout de suite me couper les jambes. Et encore, même là, le vieux lion rugira encore et pourrait vous montrer qu’il est unique.

J’ai un atout : ma voix, c’est bien la seule chose qui tienne ! je l’améliore même. Mon band n’a jamais été aussi bon. Ma femme m’a quitté et je suis enfin libre. La salope ira se faire voir chez les grecs. Le colonel, ce pervers qui me sert de manager, m’a demandé de quelle manière j’allais faire mon entrée. « Hé tout simple » je lui ai répondu, « on va s’acheter les droits de ce nouveau film pas mal là, heu : 2001 : A Space Odyssey pompée à Strauss ». On peut pas faire mieux pour une résurrection. Je vais leur montrer à toute cette génération qui croit tenir la lumière au creux de leurs mains que le roi c’est moi !

Je suis de l’atome en fusion. Une pile nucléaire montée sur talonnettes.

Mon tour de chant est rodé. Je suis le meilleur. Je fais encore mouiller les femmes et les hommes me respectent depuis que je suis gros. J’ai perdu de mon allure altière mais gagné de la sympathie. Ils me savent loin d’eux mais j’ai au moins un point commun.

Elvis va remuer les tombes et faire exploser les caveaux. Même avec des boulets de chairs je ne suis pas prisonnier de mon corps, je suis le meilleur. Il me faut rapidement installer « Burning Love » mon dernier tube rock pour me mettre l’assistance dans la poche à paillette.

Je n’ai qu’un souhait remettre du sourire sur le monde entier via Satellite. On ne peut pas faire plus fort : un concert en mondio-vision. Une étoile qui utilise la gravité pour briller au 4 coins de la terre. Un billion d’auditeurs.

Il reste une heure avant l’entrée en scène. Tout est réglé. Tout est ok. Je ne connais plus le goût du trac. Elles est où ma bouteille d’alcool ? Cela doit être la troisième. Quand on aime on ne compte pas. Je suis ivre mais serein. Je viens de rendre ma carte d’agent de la brigade des stupéfiants que Nixon m’avait octroyé. Je n’en ai plus besoin, au dessus du président des Etats-Unis il y a Dieu et Dieu est avec moi. Je suis au nord, au sud, à l’est à l’ouest. Je dois être partout. C’est la gloire ou rien. Plutôt crever.

« On va mélanger le rythm’n’blues et la variété familiale » ai-je annoncé à la conférence de presse d’avant concert. Un cocktail foudroyant entre anciens et récent. « Je ne fais pas ça pour l’argent ». Pour leur prouver à ces sceptiques j’ai même proposé d’offrir les bénéfices du concert à un organisme qui combat le Cancer. Un énième come-back rémunérateur. Je peux créer une banque mondiale avec ce que j’ai entassé, malgré les rumeurs de mes ruines diverses il m’en reste toujours assez pour acheter le Honduras.

J’ai sélectionné quelques reprises qu’aiment les jeunes. Pour enfoncer le clou sur mon ceinturon ou trône « King » en lettre d’or. J’enlève la cape, je rajoute un collier de fleur coloré de l’île ou je me trouve. Je prend le « Something » d’Harrison pour dévoiler que des 4 crétins il est bien le leader mais reste en deçà de moi. J’ai aussi décidé d’écraser ce chanteur français dans une reprise vodoo de « What Now My Love » plus vendeur que « Let It Be Me », pour les versions originales et le nom de l’artiste veuillez consulter mon impresario.

Vous allez rire, je m’attaque au mafieux rital avec « My Way », d’ailleurs là je n’ai pas eu le nez creux, c’était une chanson qui m’appartenait avant d’exister. On m’a dit qu’elle venait aussi de France, ce pays n’est pas si barbare qu’il en a l’air. Ensuite pour que la machine garde son souffle, il me faut un bon vieux rock des familles, mon choix s’est arrêté sur « Johnny Be Goode ». Dès la fin de la chanson je reprends les commandes de l’avion avec du lourd. J’enchaine « Blue Suede Shoes », « I’m So Lonesome I could Cry » et « I can’t Stop Loving You ». J’atteinds le clou du spectacle et je demande aux fans en furie de reprendre avec moi « Fever ».

Je sers des mains, j’embrasse et m’essuie sur les robes des dames aux premières rangs. Je fixe la mère et emballe la fille. Dans 5 minutes l’Asie se réveillera avec moi. J’ai scandalisé ma nation dans les années 50, aujourd’hui je le ranimerais all over the world. Géant mais crépusculaire. Jamais démodé. Je n’ai pas connu la peur de finir usé. Toujours au top. toujours premier.

Certains dans mon entourages les vautours qui cherchent encore à me ponctionner qui une voiture, qui une villa, se sont inquiétés et m’ont demandé si je ne désirais pas faire un break au milieu du set. Mais non, Elvis n’a qu’un souffle. Une seule prise. Je fixe et sépare. Les gouttes doivent perler sur mon front pour me sentir rivière.

Vous savez tous que je suis friand d’esotérisme. Un merveilleux mage m’a prédit ma fin bientôt et surtout les répercutions de tous ces shows sur l’inconscient collectif. Il m’a parlé d’une grande tige sans charisme qui se prendrait pour moi à Vegas. Il m’a dit que je ferais mieux d’être mort plutôt que de voir ça.

J’ai encore quelques mois de répits pour montrer ce que j’ai dans le coffre. Avant de rentre à Graceland et m’enfermer définitivement. Je me sais limite mais faites-moi confiance : après moi le déluge. Pour le jeu de scène je n’ai plus mes jambes de 20 ans mais le karaté va m’aider à inventer un nouveau style.

J’ai en tête le final avec « Suspicious Minds » et « Can’t Help Falling In Love », sans oublier de saluer mes musiciens et mes choristes. Je sais d’où je viens, je sais que je suis l’astre solaire mais j’ai besoin d’eux pour devenir une Nova combustible et m’éteindre ensuite. Les glaçons tintent dans mon verre, ils vibrent du bruit de la foule qui m’attend dehors. On me demande d’y aller. Je vais vous laisser. Je me motive. Je les ferais exulter, vibrer comme jamais. J’en suis sûr.

Je suis Elvis Presley. Je suis le King. A jamais.