Un héros américain

Un héros américain

Dear George,

D’abord tu m’excuseras de rédiger cette modeste missive en français mais je préfère m’exprimer dans ma langue maternelle.
Sais-tu que tu es devenu un grand monsieur ? En décidant de commuer les 167 condamnations à mort de l’Etat dont tu étais gouverneur (ton mandat arrivant à terme et ayant décidé de ne pas rempiler malgré ton affection toute particulière pour la population de l’Illinois) en peines de prison à vie, tu as fait preuve d’un sacré courage. Déjà, quelques jours auparavant, tu avais gracié quatre hommes qui attendaient leur exécution prochaine. C’était un signe précurseur du bras d’honneur que tu allais infliger à la peine capitale ce samedi 11 janvier 2003. Une date qui restera dans les annales pour tous les abolitionnistes américains.

Souvent, on reproche à celles et ceux qui se battent contre cette pratique d’un autre âge, d’être d’autant plus violemment virulents contre les Etats-Unis. Ces derniers ne semblent pas avoir compris que nous refusons de mettre sur la même échelle une dictature et une démocratie (nous sommes, il est vrai, encore moins indulgents avec les USA car ce pays se prévaut d’être le chantre de la liberté voire de la défense des valeurs universelles dans le monde). Si ta nation refuse de donner l’exemple sur ce point, comment cela serait-il possible pour des régimes qui bafouent quotidiennement les droits de l’homme ?

Pour les abolitionnistes de Madrid, de Rio, de Houston, de Washington ou de Paris, l’Amérique a valeur d’exemple. C’est parce que nous respectons toute une partie de la culture américaine que nous pointons d’abord du doigt l’existence toujours lisible du châtiment suprême dans nombre d’Etats et au niveau fédéral.
De plus, une seule erreur dans la galopante machine judiciaire équivaut à se retrouver coupable du même crime que celui dont on accuse l’assassin. A ce titre, il suffit de suivre tes propos. Je te cite : "Notre système de la peine capitale est hanté par le démon de l’erreur" ou bien encore "C’est l’erreur qui détermine la culpabilité, l’erreur qui détermine ceux qui doivent mourir parmi les les coupables". C’est toi qui dis ceci et pourtant... Pourtant, longtemps, tu as été un fervent partisan de la peine de mort, tu n’as jamais été un républicain franchement modéré et à la fin des années 70, tu as voté pour son rétablissement.
Mais l’expérience, George, l’expérience qui t’a poussé en janvier 2000 à décréter un moratoire sur les exécutions dans ton Etat (ce qui fut majoritairement approuvé par tes administré(e)s), suite aux scandales de treize condamnés qui devaient passer à l’injection léthale sous peu et dont nous avons découvert qu’ils étaient innocents grâce à des tests ADN.

Tu as douté, la commission chargée de ré-étudier l’application du châtiment dans l’Illinois s’est concertée.
En Avril 2002, ses conclusions tranchaient dans le vif : "le système est injuste et largement aléatoire". Comment vivre avec ces morts sur la conscience ? Alors, tu t’es résigné à admettre que toutes ces années, tu avais fait fausse route. Etonnant et salutaire retournement d’opinion.
Il faut noter que les étudiants de l’Université de Northwestern t’ont bien aidé à rechercher les dispositions d’une justice moins inégalitaire et il convient de les remercier.

Ah, si seulement Rick Perry, gouverneur du Texas et pâle copie de W., pouvait en prendre de la graine, lui qui avait refusé en juillet 2001 de laisser passer un projet qui devait interdire les exécutions pour les prisonniers souffrant de déficiences mentales !
Heureusement, depuis, la Cour Suprême a jugé ces méthodes-ci contraires à la Constitution.
A ce propos, suite à ta décision, la Maison Blanche a réagi, dans le mauvais sens bien entendu, en rappelant sa position favorable à la peine capitale pour les crimes les plus odieux. Bush en sait quelque chose, lui qui a présidé à plus de 150 exécutions lorqu’il était gouverneur du Texas, ricanant même parfois d’une manière tout à fait imbécile au sort qu’allaient subir ces condamné(e)s à mort.
Est-il utile d’évoquer la position de ton successeur (démocrate) qui estime que tu as commis une "grave erreur" ou celle des pro-death penalty qui considèrent qu’étant mêlé à une sombre affaire de corruption, tu n’as fait là qu’un "coup politique" ?

A tous ceux-ci, leur répondre par tes mots : "Même si elle peut apparaitre efficace et juste à certains, dans la pratique, la peine de mort est essentiellement infligée aux faibles, aux pauvres, aux ignorants et contre les minorités raciales".
Merci George pour avoir porté le coup de grâce final au châtiment suprême dans l’Illinois et n’oublie pas, n’oublie surtout pas : "Death is certain, life is not".

Sincerly yours,

Tristan