Interview : Gaston-Paul Effa

Interview : Gaston-Paul Effa

Gaston-Paul Effa est un écrivain et professeur de philosophie d’origine camerounaise qui vous touchera par sa sagesse, son humilité et la pertinence de ses mots si vous le rencontrez par le livre ou dans la vraie vie...
La musicalité de ses romans, son parfum, ses hommages constants aux voix, aux matières et aux couleurs de l’Afrique sont un délice...Il a publié "Tout ce bleu" en 1996, "Mâ" en 1998, pour lequel il a obtenu le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire et le Prix Erckmann-Chatrian en 98. Les éditions Pierron ont publié "Couleurs des temps" en 1999, et Gallimard (2000), "Le cri que tu pousses ne réveillera personne". Il a sorti aussi "Cheval-Roi" aux éditions du Rocher,(2001). A découvrir d’urgence !

1. Lorsque l’on arrive en France à l’adolescence et que l’on vient du Cameroun est-on déçu par rapport à l’image du pays des lumières que l’on a que par la télévision et les livres ?

Il est évident que le monde des livres est peut-être plus vrai que le monde réel. La France des livres ne sera donc jamais la France vécue.

2. J’avais lu "Mâ" qui était déjà magnifique, il y a quelques années et depuis que de chemin parcouru ! Ca y est vous êtes désormais un écrivain installé et votre talent est reconnu par les professionnels de la profession ?

Je me méfie des écrivains installés. C’est le meilleur moyen d’être en rupture avec la littérature, la vraie, celle qui essaye de tirer l’humain au clair.

3. Peut-on dire qu’une de vos particularités fondamentales est d’être en quête d’une certaine vérité ancienne ?

Nous n’inventons rien, nous approfondissons, revisitons. Comme dit un midrach : à la naissance d’un enfant, un ange le frappe au visage, et lui fait oublier toute la félicité du sein maternel. Vivre consiste à rechercher ce paradis perdu.

4. Est-ce une bonne nouvelle que le ministre de l’éducation nationale soit un philosophe ?

La philosophie est une optique, un éclairage du monde. Qu’un ministre soit un philosophe nous permettra peut-être de saisir la chance que nous n’avons pas, de mieux voir.

5. Comment vous sentez-vous en Lorraine, région qui a si mauvaise presse et que la plupart des gens imaginent encore colonisée par les allemands ?

Pour moi, la Lorraine participe du mystique aliment de mes jours. je ne peux écrire que parce que je me sens naître de cette terre. J’ai la chance d’habiter le Saulnois, terre difficile, terre d’écriture.

6. Parlez-moi de Pierre-Marie Beaude et de ses enseignements..

Par sa grammaire lente, l’écriture de Pierre-Marie Beaude ne cesse de m’ouvrir la langue. J’ai eu le plaisir d’assister à ses cours et de l’inviter dans mes classes. Sa présence est une véritable lampe secouée dans la nuit.

7. Chaque fois que je vous croise dans les salons littéraires, vous arborez un sourire et une gentillesse extrême, vous semblez inondé de bonheur, d’où vous vient cette belle harmonie ?

J’essaie de vivre sans faire autre chose que vivre... C’est peut-être simplement cela le bonheur...

8. Quels sont les clichés insupportables qui circulent sur l’Afrique et qu’il convient de combattre par l’art ou la parole ?

L’Afrique a le malheur d’incarner aujourd’hui tous les clichés qui ont circulé dans le monde. Point n’est besoin de les détailler, vous les devinez fort bien.

9. La nuit africaine est magique dans vos mots, la nature est une de vos muses semble t’il ?

Je veux être le chantre des petites choses. Je me nourris de vies minuscules et établis un rapport direct avec l’élémentaire. C’est peut-être cela la sensualité.

10. Comment se porte la littérature francophone au Cameroun par exemple, quels sont les auteurs qui touchent le coeur des africains ?

Tout auteur touche le coeur des Africains. Faut-il rappeler que, bien que ne pouvant s’acheter des livres, les Africains font une orgie de lecture, relisant plusieurs fois les rares livres qu’ils possèdent.

11. "Et Dieu dans tout cela ?" comme dirait Pivot qui vous a rendu un bel hommage il n’y a pas si longtemps.

Dieu est d’abord dans l’autre que je regarde dans les yeux.

12. Ecrire sur l’Afrique c’est prolonger par le livre une tradition de l’oralité qui vous fascine et qui fait partie de votre histoire ?

L’écriture est avant tout travail de l’oreille musicale. Chaque phrase creuse l’oreille.

13. Que signifie le mot "rencontre" pour vous ?

La rencontre est un voyage au bout de l’autre.

14. Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 et quel est votre regard sur ces attentats ?

Je donnais un cours de philosophie, comme je le fais tous les jours. Le 11 septembre, c’est tous les jours où l’on retire la vie à un innocent.

15. Pourriez-vous un jour imaginer abandonner le professorat afin de vous consacrer pleinement à l’Ecriture ou vous préférez transmettre le savoir et garder un pied dans la réalité ?

Ma vie littéraire et ma vie professionnelle se confondent. L’une enrichit l’autre et inversement.

16. Croyez-vous objectivement que tous les lieux portent en eux une histoire collective, un passé et que les êtres "sensibles" peuvent percevoir ces énigmes et ces mystères ?

Il va de soi que les lieux savent de nous plus que nous ne savons d’eux.

17. Que pensez-vous des méglo et des narcissiques vous qui êtes l’humilité personnifiée ?

Le temps finit par nous rappeler à la simplicité.

18. Cinq mots africains qui résument ce que vous êtes ?

Je n’ai pas immédiatement de mots africains, mais pour me définir, je suis : celui qui rentre dans la nuit, les yeux ouverts.

19. L’écriture vous protège, vous sauve, vous libére ?

L’écriture est le seul espace de liberté qui nous reste...

20. Quelle est la phrase ou l’idée que vous aimeriez laisser de vous dans l’imaginaire artistique ?

Toute phrase que l’on veut laisser dans l’imaginaire serait restrictive. Rien n’est aussi simple.