Le symbolisme chez Rebecca Horn

Le symbolisme chez Rebecca Horn

L’alchimie est l’art de la transmutation des métaux en vue de l’obtention de l’or. Il s’agit bien évidemment d’une transformation symbolique et l’alchimie est avant tout une science de la sagesse et une quête de l’immortalité.
Empreinte de poésie et de beauté plastique, l’œuvre de Rebecca Horn fait directement référence aux valeurs de cette science philosophique et ses installations sont construites autour d’objets récurrents et symboliques comme les œufs, les ailes de papillon, le mercure, le sel, les plumes, les miroirs... capables d’incarner des abstractions complexes telles que la vie, le temps et l’éternité.

Née en 1944, cette artiste allemande a été très tôt fascinée par les traités d’alchimie et a lu les écrits de Johann Valentin Andreae, considéré comme le fondateur du mouvement ésotérique rose-croix au 17ème siècle.

Après plusieurs mois d’internements à l’hôpital pour tuberculose, et afin de sortir de son isolement, Rebecca Horn se saisit de son propre corps et expérimente une forme de bodypainting en créant des extensions à ses membres : prolongements de ses mains, de ses seins, masques ou ailes, elle transforme son corps et en fait l’instrument de son expression.

Ainsi, coiffée de son masque constitué de lanières et incrusté de nombreux crayons noirs, elle dessine les mouvements incessants de sa tête. Son visage fait des allers-retours de plus en plus rapides contre le papier, traçant des lignes incertaines et incongrues tandis que, déshumanisée, l’artiste prend l’apparence d’un monstre.
Très vite cependant elle remplace le corps par de petites machines, de simples mécaniques capable de reproduire des mouvements à l’infini. Sauf qu’elles s’interrompent toujours : l’artiste s’intéresse précisément à l’épuisement de la machine qu’elle dote de tensions et de caractères humains.

Ainsi les deux ailes de corbeaux qui se font face s’abaissent doucement l’une vers l’autre en se frôlant sans jamais se rencontrer incarnent à la perfection le désir insatisfait. Soudain elles arrêtent leur mouvement, fatiguées de cette joute amoureuse sans fin et frustrante. C’est aussi un renoncement à l’autre et la prise de conscience de son éternelle inaccessibilité. Pourtant la plume est liée à des rituels d’ascension céleste, de clairvoyance et de divination : on peut y voir une injonction à dépasser ce jeu stérile de séduction pour créer de nouveaux rapports moins superficiels et se libérer des pesanteurs de ce monde.

Les mouvements répétitifs et pourtant interrompus qu’elle met en scène scandent nos vies humaines par leur minuscules tressaillements. L’homme pris dans sa propre mécanique inlassable et monotone, prisonnier du temps et de ses limites. Et lorsque Horn immobilise ses machines, elle guide notre regard vers ce qu’elles ont produit lors de leur long et interminable labeur : petites lignes tracées par une tige en fer, éclats d’encre projetés sur un mur.
Nos petites éjaculations quotidiennes.

Quand la machine reprend son mouvement, elle ne fait que suivre ses propres traces, marcher sur ses propres pas. Ainsi la longue tige de fer suspendue au-dessus d’un jardin zen sillonne son ombre inlassablement comme l’ombre d’un cadran solaire. Seuls les battements d’ailes d’un papillon perturbent sa course étrange.

L’un des aspects du symbolisme du papillon est fondé sur ses métamorphoses : la chrysalide est l’œuf qui contient la potentialité de l’être. Le papillon qui en sort est symbole de la résurrection. Associé également au feu par ses battements d’ailes proches des mouvements de la flamme, le papillon fait directement référence au disque solaire.
Pour s’opposer à cette dimension solaire et masculine, la lune, élément nocturne et féminin, est représentée par de multiples miroirs (la plume lui est également dédiée). Parfois, par un jeu subtil de lumières, Horn fait se rencontrer la lune et le soleil : une éclipse s’opère alors sous nos yeux jusqu’à ce que chacun des astres reprenne sa course indépendante. Dans l’œuvre « Les ombres du cœur, émeu », c’est un œuf qui s’interpose entre les deux astres et dont l’ombre mouvante représente la terre et les origines du tout.

Suivant l’analyse astrologique, le soleil est le père céleste et la lune la mère universelle. Mercure, incarné dans l’œuvre de l’artiste par de nombreuses fioles de ce liquide alchimique, se présente comme l’enfant de ces deux éléments premiers. Médiateur, il est aussi un principe passif puisqu’il est soumis au souffre. Dans l’installation Les Amants, du champagne et du mercure se mêlent pour former l’acte amoureux et le résultat n’est qu’une trace noire et stérile sur le mur : la soumission vécue ici est synonyme de frustration.

Ainsi nos équilibres sont précaires, nos vies répétitives. Un principe d’action se dégage alors du travail de Rebecca Horn : bousculer les mécanismes acquis, transformer les métaux quotidiens en or.

L’omniprésence du cercle, tant dans sa forme concrète qu’à travers les mouvements répétitifs et circulaires des machines, incarne cette idée. Eternel recommencement mais aussi succession de cycles qui peuvent permettre à l’homme de s’élever, de s’échapper de sa condition et peut-être un jour de briser cette mécanique aliénante.

Ces symboles alchimiques et cette volonté de bâtir un homme autre sont aussi très présents dans la franc-maçonnerie. Sur le Tableau de Compagnon se trouvent rassemblés tous les symboles du travail maçonnique : ce sont les outils du bâtisseur d’une part (il s’agit de se construire soi-même de façon à pouvoir s’insérer dans le Grand Edifice humain et cosmique) mais aussi les symboles solaires et lunaires, régissant la vie terrestre. La présence des cercles concrétise tout le champ d’action du travail maçonnique.
Après le grand incendie de Londres en 1666, Christopher Wren dressa les plans d’une nouvelle City, dont les nombreux clochers formaient une couronne autour de la cathédrale Saint Paul. Son obsession du cercle lui vint précisément de son appartenance à la franc-maçonnerie. Considéré comme le plus grand architecte anglais, cet homme de science était professeur de mathématique et d’astronomie.

Nommé contrôleur général des travaux du roi après le grand incendie, il eut l’audace d’imaginer le dôme de la cathédrale Saint-Paul, un ouvrage tel qu’on n’en avait jamais vu en Angleterre.
Ce n’est pas par hasard si Rebecca Horn a choisi d’exposer une installation au cœur de la cathédrale. Son architecture peut être vue comme un enchevêtrement de symboles masculins et féminins, disques solaires, encerclements et perspectives à l’infini selon un symbolisme franc-maçon : dans le jeu de miroirs que l’artiste nous propose on retrouve cette tentative d’élévation absolue mais les reflets mouvants que l’on perçoit sont aussi bien ceux du dôme céleste que ceux du public qui les contemple.

Ainsi l’homme tiré par ses élans mystiques finit-il par trouver en lui la transcendance qu’il recherche.

Rebecca Horn
Rétrospective à la Hayward Gallery, Londres
Cathédrale Saint-Paul, Londres
26 mai - 29 août 2005