Interview : Benjamin Biolay

Interview : Benjamin Biolay

Parfois l’injustice frappe aussi les éléments de valeur. Benjamin Biolay fait partie de ces victimes. Adulé par certains pour son génie mélodique et ses compositions recherchées, il est aussi le souffre-douleur d’une partie d’un public qui ne l’aime pas ou plus sûrement ne le comprend pas.
Le temps fera son œuvre pour découvrir ou redécouvrir (trop tard ? ) ce fantastique compositeur qui peut allégrement passer d’une production imposante d’Isabelle Boulay à un disque intimiste en compagnie de Tania de Montaigne. Rencontre à Lille sans langue de bois pour parler d’un garçon qui s’appelle B-B.

Qui était Benjamin Biolay à l’Origine ?

Benjamin Biolay : « Un petit cul terreux ! »

Un garçon ordinaire ?

Benjamin Biolay : « Oui... je n’ai pas beaucoup bougé du reste (rire). Un mec introverti, pas super content de sa destiné telle qu’elle semblait établie. Pas par rébellion mais plutôt du style « merde qu’est ce que je fous là », je me posais la question de savoir comment j’allais bien pouvoir faire ce que j’avais envie de faire sans forcément suivre le programme obligé ! Quelqu’un d’assez tête brûlée sans jamais être star du lycée... je n’étais pas ce genre de mec. »

La musique t’a sauvé ?

Benjamin Biolay : « Complètement ! Je ne me voyais pas tourneur-fraiseur dans une usine. Je n’avais que deux possibilités dans ma tête : sportif ou musicien. Il fallait absolument que ce soit l’un ou l’autre sinon j’aurais vécu un enfer. »

C’est la consécration alors de pouvoir écrire dans Basket-News ?

Benjamin Biolay : « Ca me fait marrer que l’on m’ait proposé ça. Le basket c’est ma passion depuis le début des années 90 avec l’émergence de la NBA en France. Une fois j’ai participé à un quizz sur le basket en compagnie de sportifs et de personnalités et j’ai éclaté tout le monde y compris des joueurs, et de là un journaliste de Basket-News qui était dans la salle m’a proposé d’écrire une chronique. Je suis vraiment hyper content. »

Tu avais fait « Home » pour l’écouter en voyage ?

Benjamin Biolay : « C’était l’idée effectivement de faire un truc pour la caisse, un disque un peu folk... En partant en vacance avec Chiara, on écoutait des titres d’artistes divers de là je me disais à chaque fois qu’une chanson allait trop bien avec la route que ce serait intéressant d’essayer de coller une musique et un texte à un endroit particulier qui symbolise la route des vacances. »

Dans cette optique : « A l’Origine » serait destiné à quelle action et à quel moment ?

Benjamin Biolay : « Je ne l’ai pas du tout pensé celui là ! Je suis rentré en studio avec strictement rien dans les poches à part plein de fantasmes et d’envies dans un endroit que j’aime avec plein de gens que j’adore comme Dominique Blanc-Franquart et Bénédicte Schmitt... Comme je suis nomade et que je peux écrire chez moi comme partout, je me suis dit que si dans 10 jours aucune chanson ne sortait de ma tête j’arrêtais tout car il est inutile de louer un studio pour rien. Je me suis enfermé dans une pièce et au bout de quelques jours j’avais déjà des chansons... la méthode était marrante, elle m’évitait de tomber dans la redondance. J’ai vraiment adoré l’enregistrer cet album. »

Tes deux premiers albums étaient très thématisés ?

Benjamin Biolay : « Vachement trop ! »

Avec celui ci tu t’imposes plus comme un artiste qui sort un album très « chanson » c’est à dire qu’il n’y a pas forcément un fil conducteur mais un vrai plaisir de mettre des titres homogènes sur un disque ?

Benjamin Biolay : « De la même manière que ce que l’on faisait dans les années 60. Une collection de sujets pour pouvoir en tirer un disque. De temps en temps tu as deux chansons qui peuvent se répondre mais c’était moins sclérosant et beaucoup plus épanouissant pour moi. »

On peut dire, mais on pouvait le dire aussi pour les autres, que « A l’Origine » est un album charnière ?

Benjamin Biolay : « Celui là particulièrement ! Il est arrivé après plein de trucs que j’avais fais qui n’étaient pas publiés. »

L’album de ta sœur très électrifié, t’a t’il influencé pour monter un album personnel plus rock ?

Benjamin Biolay : « Non... C’est moi aussi qui ai poussé Coralie vers cette voie là... le directeur de chez Virgin me demandait d’envoyer chier ma sœur pour pouvoir me consacrer à mon propre album dans cette veine (rire). Je lui répondais « Chaque chose en son temps je vais te le pondre mais pas maintenant ».

Tu t’imposes de manière différente avec celui-là : peut-on dire que tu deviens un « vrai » chanteur ?

Benjamin Biolay : « Je savais qu’il me fallait chanter sans être trop en retrait. C’est un concept à la con mais Keren Ann et moi nous nous étions mis dans le même état d’esprit c’est à dire que chanter c’est vulgaire ! Quand nous avons commencé à travailler ensemble on a arrêter de chanter illico pour fredonner. C’était totalement idiot. Donc là j’ai essayé d’être normal. De ne pas faire trop sonner ma voix mais d’être dans le ton juste. En écoutant les pistes de Coralie justement je me suis rendu compte que ce n’était pas si vulgaire que ça de vouloir pousser la chansonnette. »

On sent que tu prends du plaisir sur presque tous les titres ?

Benjamin Biolay : « Ecoute c’est tout bonnement éclatant d’avoir enregistré ce disque ! Il n’y a pas eu un jour où je me suis fait chier. Pas un où j’y suis allé avec les semelles de plombs. Même si j’avais que 2 heures de sommeil dans la vue j’étais heureux. »

Justement : être heureux complique t’il la tâche pour faire de bons disques ?

Benjamin Biolay : « J’étais heureux quand je revoyais ma femme et ma petite fille à la maison mais j’étais quand même tourmenté professionnellement ou artistiquement. Je n’étais pas tout à fait au top de la plénitude. Si je suis vraiment très heureux c’est la dernière de mes envies de faire une chanson. »

Paradoxalement tes paroles sont de plus en plus torturées comme sur « Mon amour m’a baisé » ?

Benjamin Biolay : « C’est quelque chose qui m’est arrivé il y a longtemps ! (rire) je n’en avais jamais fait de chanson mais là c’est sortie naturellement. Je trouvais qu’amour et baisé sont des mots qu’on accole souvent et qui méritaient que je m’y attarde. »

« L’histoire d’un Garçon » peut être compris de plusieurs manières mais finalement n’est ce pas une chanson de coming-out sur le fait qu’on t’a toujours pris pour ce que tu n’est pas ?

Benjamin Biolay : « C’est vraiment l’histoire de mon père. C’est la seule qui ne parle pas de moi du reste. »

As-tu lu le livre de Nick Hornby sur le même titre ?

Benjamin Biolay : « Bien sûr, le titre vient de là. Cela ne parle pas de la même chose mais je voulais utiliser cette appellation de roman qui est pour moi excellent. Le film est naze... la BO est bien ! »

« Ma Chair est Tendre » c’était un moyen de régler tes comptes avec une vieille personne de la chanson française qui t’a souvent bâché après « Jardin d’Hiver » ?

Benjamin Biolay : « C’est un tout petit tacle... et un peu par derrière. »

Carton Jaune alors ?

Benjamin Biolay : « Ouais ! (rire) Je voulais dire « je t’encule vieux et arrête de m’insulter partout sinon ça va pêter ». Parce que je pouvais aller bien plus loin. Je pouvais faire une chanson sur lui aussi... même si il n’y a que 3 personnes qui l’entendent je m’en fous.... Mais là c’était pour lui dire de la fermer... depuis d’ailleurs il ne me fait plus chier. »

Il faut dire que son attitude était limite ?

Benjamin Biolay : « La mienne aussi... c’est de bonne guerre. Mais évidement qu’il est limite pépère. Si tu savais comme il est limite...Je ne suis pas le seul, Hallyday veut l’éclater par exemple. Dans le Journal du Dimanche il a dit que ce que je faisais était du mauvais jazz... tu peux pas dire ça... tu peux dire plein de conneries mais pas ça... »

Tu as demandé à Michel Becquet de venir jouer avec toi sur « Dans Mon Dos », c’est quelqu’un qui n’est pas forcément du même univers que toi, comment s’est passée la cohabitation ?

Benjamin Biolay : « C’est un musicien que j’admire. En même temps moi j’étais tromboniste dans ma jeunesse. Quand je l’ai appelé il est venu aussitôt. »

Un vrai plaisir comme avec Françoise Hardy ?

Benjamin Biolay : « La différence c’est que Françoise et moi on s’appelle très souvent alors qu’avec Becquet on s’était un peu perdu de vue. Mais c’était aussi émouvant l’un que l’autre. Françoise a le don de laisser sa légende de côté pour être la plus charmante possible, sympathique et naturelle. »

En voyant certains making-off d’albums où tu as collaboré tu insistes sur le fait de ne pas savoir écrire la musique de façon traditionnelle, est ce que ce fut plutôt un atout pour l’inspiration ou un frein à de vraies envolées mélodiques ?

Benjamin Biolay : « Je n’ai pas appris à écrire la musique. Je dois me plier en 4 pour que ce soit bien écrit. Je ne suis pas super à l’aise avec ça. Là tu vois c’est un moment où j’en chie vraiment beaucoup. Il me faut attendre le lendemain pour entendre le résultat avant d’être satisfait. »

La chose qui a vraiment changer aussi sur « A l’Origine » c’est que tu as quitté ICP à Bruxelles, c’était un besoin de casser les choses établies ?

Benjamin Biolay : « Non simplement ils étaient tout le temps over-bookés. Comme moi je rentre en studio un peu comme une envie de pisser je pouvais pas attendre 6 mois qu’Erwin soit libre. En plus j’ai une petite fille maintenant et aller à Bruxelles c’est me séparer d’elle. »

Quel est l’artiste que tu aimerais produire et inscrire sur ton tableau de chasse ?

Benjamin Biolay : « Il faudrait que ce soit lui qui ai envie que ce soit moi qui le produise. Je ne sollicite jamais personne. »

Serais-tu partant pour faire un disque entier rien que pour Chiara Mastroiani ?

Benjamin Biolay : « Si elle en a envie oui. Je ne vais pas aller l’enfermer dans le studio. Il faut que cela reste naturel. A chaque fois que l’on a chanté ensemble cela s’est fait de manière non planifiée, il faut que cela continue de cette manière. »

Est-ce difficile d’avoir parfois plus d’écho dans la presse people pour des faits perso que dans la presse musicale pour ton travail ?

Benjamin Biolay : « Ca va mieux (rire). Le jour même où tu es dans ces torchons tu as envie de démonter le siège social du journal... En fait c’est un peu désespérant... »

Cette presse qui te dessert d’une certaine manière t’a t’elle amené un public nouveau ?

Benjamin Biolay : « Jamais ! A ma connaissance personne n’est venu vers moi dans ce sens-là... »

Comptes-tu défendre le nouveau Benjamin Biolay sur scène à la rentrée ?

Benjamin Biolay : « Si je peux j’en serai ravi ! Pour être tout à fait honnête avec toi il faudrait que je vende un peu plus de disques pour que les producteurs financent une tournée. J’en vends pas mal mais comme je ne pourrais pas tourner tout seul avec ma gratte il faut de l’argent. C’est le fait qui me rend un peu amère en ce moment de ne pas pouvoir tourner et défendre mon disque. Si tout va bien : peut-être au printemps. Si l’album décolle un peu et qu’un single marche...Il faudrait un peu plus de passages radio. »

Taratata est presque le seul endroit où j’ai pu te voir ?

Benjamin Biolay : « Pour faire de la musique cela devient problématique. Après tu peux faire des émissions à la con mais ce n’est pas mon genre. »

Aurais-tu envie de te plonger dans les musiques de film ?

Benjamin Biolay : « L’image n’est pas contraignante mais c’est un art particulier très minimaliste et comme tu vois sur mes disques j’aime prendre de la place. »

N’est-ce pas frustrant d’avoir plus de succès comme producteur que comme chanteur ?

Benjamin Biolay : « Non ! d’aucune manière. »

Ce sont deux jobs bien distincts ?

Benjamin Biolay : « Je ne crois pas : c’est le même métier. Mon « truc » existe quand même... je suis connu pour moi aussi... j’ai conscience que les trucs qui ont marché en tant que producteur sont des chanteurs exceptionnels ce qui n’est pas vraiment mon cas... »

Ce n’est pas de la fausse modestie ce discours ?

Benjamin Biolay : « Non, je me rend bien compte de la différence. »

Tu es conscient qu’il y a maintenant dans le milieu un « savoir-faire » Benjamin Biolay ?

Benjamin Biolay : « Ok mais tout revient à la vente d’albums et je n’arrive pas aux espérances de ma maison de disque. Quand tu es chez EMI qu’il y a Keren, Cali, Mickey 3D, M et qu’ils ont un album qui marche ils se consacrent pleinement à ces artistes. Moi mon disque vivote. Sur le monde je suis à 100 000 exemplaires ce qui n’est pas dégoûtant alors je ne vais pas me plaindre plus longtemps. »

Vers quels projets vas-tu aller dans les mois qui viennent ?

Benjamin Biolay : « Aucune idée... Juste l’envie d’avoir envie. »

Un DVD à la rentrée ?

Benjamin Biolay : « C’est ridicule les DVD... »

C’est à la mode ?

Benjamin Biolay : « Justement c’est ce que je te dis : c’est ridicule ! Pour en faire un il faudrait qu’il ait un sens avec des choses intéressantes à mettre dedans. »

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