De l’engagement

De l'engagement

Aujourd’hui l’idéaliste ne fait plus rêver : c’est un imbécile heureux. On se dit plus civilisé, on se sait davantage lucide. On ne rue plus dans les brancards. On sait que rien n’est ni tout blanc, ni tout noir : on a appris à faire deux poids deux mesures. Il y a toujours des nuances, on fait l’apologie du « oui mais ».
Les opinions font peurs car elles sont restrictives, fermées. On aspire à la liberté, la tolérance et l’ouverture.
On a perdu notre force de frappe en gagnant en intelligence policée.
Dans le monde de l’art, il n’y a pas si longtemps, on entendait encore crier : « tout ce qui était avant moi n’était pas de l’art, l’art c’est ... » et à chacun sa propre définition.

C’est avec cette force que sont nées les avant-gardes du XXème siècle. Qui serait aujourd’hui assez fou pour assumer une telle assertion que l’on sait condamnée et partielle ? L’art ne peut pas être défini et à chacun sa liberté...

Au début de tous les mouvements engagés on constate une part de naïveté mais elle est ensuite oubliée au profit de ce qui est apporté de concert à la société. L’idée, l’opinion ne sont brandies que pour rassembler les énergies. Elles s’affinent généralement d’elles-mêmes avec le temps et au fur et à mesure que le mouvement grandit.
Il ne faut plus avoir peur d’affirmer une opinion tranchée bien que l’on sache qu’elle ne peut être vraie à 100%.

A être trop intelligent on va finir par ne plus rien faire car le monde est trop complexe : personne, compte tenue de cette complexité, ne devrait être capable d’avoir une opinion tant il serait nécessaire de connaître tous les tenants et les aboutissants d’un problème, tant il sera nécessaire de comprendre la vie même.
Aucune opinion ne se tient véritablement, aucun argument n’est jamais complètement valable. Doit-on cesser de rêver, de tenter de penser le monde, de faire des projets fous ? Le monde nous échappe sans cesse, cela implique-t-il de cesser d’imaginer le saisir un jour ?

Derrière notre sacro-sainte lucidité se cachent une paresse et un individualisme effrayants : chacun chez soi et les vaches seront bien gardées...
L’absence d’engagement va de pair avec un repli sur soi et la perte de sens de la notion de collectivité. Donner son opinion c’est déjà s’intéresser à ce qu’il se passe autour de soi et faire l’effort de le comprendre. Quitte à se tromper, il faut ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure et être capable de le juger à notre propre échelle.
Avec des idées fortes, de l’enthousiasme, et une grande souplesse d’esprit, on peut encore construire un monde meilleur, ce n’est pas plus fou que de clamer que la terre est ronde. Il faudrait cesser d’avoir peur de nos rêves.