Interview : Bruno Aubry

Interview : Bruno Aubry

Le Mague s’était déjà fait l’écho de la sortie de
l’excellent "Les parrains de la côte", aux éditions
l’Ecailler du suD, qui fait le point de 100 ans de
caïdat en Provence. Un phénomène qui n’a jamais cessé
de fasciner, d’abord les générations montantes
d’apprentis délinquants en quête de voyoucratie,les
plumitifs en quête de polar ensuite. De la fiction à
la réalité, une interview de l’auteur, Bruno Aubry -
par ailleurs chargé de la communication de la ville
d’Aix - s’imposait.

Serge Scotto : Je crois savoir que vous êtes un passionné méticuleux qui amoncelle chez lui des tonnes d’archives ?

Bruno Aubry : Passionné, certainement. Méticuleux, je ne sais pas. Organisé sans doute. Mais il est vrai que la documentation, les archives... en un mot la mémoire c’est ce qui permet de situer un événement dans un contexte social et sociétal et c’est donc ce qui lui donne sa dimension humaine. C’est aussi ce qui fait le lien entre le passé et le présent, entre l’historien et le journaliste.

Alors oui, je suis résolument « accro » des archives, sur papier depuis toujours et pour toujours et sur puces maintenant. Car sans mémoire, rien de ce qui se passe aujourd’hui n’a de sens. S’il existe des nostalgiques du nazisme c’est que la mémoire se fait oublier.
On s’éloigne peut être des parrains, mais pas tant que ça si l’on se rappelle la campagne de la présidentielle de 2002 sur l’insécurité. Les mutations sociologiques de la délinquance et du banditisme n’y sont peut être pas totalement étrangtère...

SC : D’où vous vient cette fascination des voyous ?

BA : Fascination n’est peut être pas le mot. Il s’agit en réalité d’un certain appétit pour l’analyse des ressorts des hommes d’influence et de la fascination, en revanche, que le pouvoir et l’argent exercent sur certaines personnes, qu’elles soient nées dans la rue, comme beaucoup de nos parrains souvent issus de milieux modestes, ou dans les beaux quartiers. Ils incarnent une part d’ombre qui sommeille en chacun de nous. N’est-ce pas captivant ? Et si j’en juge par les ventes qui se portent plutôt bien, je ne dois pas être le seul à m’y intéresser...
Ils partagent aussi des qualités, et des défauts bien sûr, mais ce que je retiendrai, en tant qu’observateur et sans juger, c’est leur sens de la répartie, leur humour, leur fierté et leur orgueil.

Dans les tribunaux cela donne lieu, pour peu que le président ait lui-même le sens de l’humour, à des échanges dignes d’Audiard. C’est un bonheur pour qui a la chance d’assister à ces procès quand un « parrain », même en difficulté, met un ultime point d’honneur à faire rire le prétoire.

SC : Au fond, ces personnages vous sont-ils véritablement sympathiques ou êtes vous seulement sensible, peut-être, à ce que l’on pourrait appeler un certain glamour ?

BA : Les personnages eux-mêmes, je ne sais pas au fond s’ils me sont sympathiques. Professionnellement, ils m’intéressent et humainement je crois effectivement que j’ai plaisir à boire un verre avec eux. Je ne sais pas en revanche si je leur confierais mes économies...
Mais en tous cas, leurs vies qui sont de véritables romans, même si je n’ai pas personnellement envie de les vivre, me sont sympathiques. Ce sont des récits d’aventure dans lesquels, même si la violence est une constante, celle-ci côtoie une certaine part d’humanité qui m’intrigue. Guérini a reçu la Croix de guerre des mains de De Gaulle pour ses faits de résistance, Monge avait ouvert des épiceries sociales, les Perletto ont aidé les Restos du cœur et Zampa cambriolait pour trouver les fonds nécessaires à soigner sa sœur atteinte de la polio...

SC : Le banditisme sort-il définitivement de ce folklore ?

BA : Bien sûr que le banditisme ne doit pas être considéré comme un folklore. C’est grave. Il fait des morts et des victimes tous les jours. Il condamne des innocents et doit être condamné.
Que l’on soit clair, mon propos n’est pas de cautionner. Et pas de juger. J’ai simplement voulu retracer la vie des « ces gens là » comme d’autres auraient pu faire la biographie du marquis de Sade ou de Landru. Leur vies sont des romans. Je les raconte. Je ne cherche pas à faire de révélations, de sentiment ou de morale. Des faits et de la narration. Un point c’est tout.

SC : Peut-on nommer le caïd de demain dans LE MAGUE sans se faire tirer dessus ?

BA : A vous de voir. Mais aussi à vous de savoir. Un parrain, devient souvent parrain à titre posthume. Jean Bazal décrivait bien avec mépris ce jeune Marseillais affublé d’un nom à consonance belge qui s’agitait autour du Vieux Port comme un piètre voyou sans envergure et qui n’avait rien du parrain Zampa. On sait aujourd’hui ce qu’il est advenu. A chaque fois qu’un parrain disparaît, la presse pleure la mort du dernier parrain. C’était déjà le cas en 1967 avec l’assassinat d’Antoine Guérini... Alors bien malin qui peut nommer le nouveau ou le futur parrain.

SC : Vous avez approché quelques protagonistes de ce livre ?

BA : Oui bien sûr, car je crois que sans cela je n’aurais eu ni l’idée, ni l’envie de l’écrire. Pour autant, je ne les connais pas tous. Loin de là. Pour nos héros du début du siècle cela aurait été difficile. Et c’est pour cela que ce livre est avant tout un récit fondé sur le recoupement de documents, de souvenirs et d’expériences et que je n’ai pas voulu le déséquilibrer en cherchant à rencontrer l’un ou l’autre à partir du moment où il n’était pas possible de tous les rencontrer.

SC : S’il ne fallait raconter qu’une anecdote, pour donner à goûter la saveur de ces parrains de la côte ?

BA : En parlant de saveur je parlerais du Combinatie et du détournement de 36 tonnes de parmesan par le duo de l’entre-deux guerres, Carbone te Spririto, auxquels les Italiens de France privés de leur fromage préféré pour cause d’embargo, vouent une reconnaissance éternelle. Il y en a beaucoup d’autres... mais c’est au lecteur de les découvrir.

SC : Et s’il ne fallait en citer qu’un ?

BA : En tant que Varois, j’ai une certaine tendresse pour Jean-Louis Fargette qui voulait racheter le France pour en faire une boîte de nui au large de Beyrouth, qui a monté de pizzerias et créé une marque de jeans à sa griffe « JLF » pendant son exil en Italie et qui est à l’origine de la grandeur et de la décadence de Maurice Arreckx, le parrain du Var, ancien sénateur maire de Toulon et dont la devise résume une époque et une région : « La justice pour tous, les faveurs pour mes amis ». Fargette était de ceux-là...

SC : Le livre rencontre un certain succès, attendu je dois dire, et je crois qu’il y a déjà de l’adaptation dans l’air ?

BA : A voir sur vos petits écrans sans doute puisqu’une adaptation pour la télévision m’a effectivement été proposée. Il est sans doute trop tôt pour en dire plus mais je dois dire que l’idée me séduit.

SC : Pour en savoir plus, quelle question aurais-je dû vous poser une lampe braquée dans vos yeux, si j’étais un meilleur flic ?

BA : Si je réponds je serai trop long et censuré, alors à chacun son boulot...

Lire la critique de FV à propos de ce livre

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