Mister Bénier et Docteur Bürckel

Mister Bénier et Docteur Bürckel

« Pogrom » est le nom donné aux massacres de Juifs dans la Russie tsariste puis en URSS et, par extension, dans les pays de l’Est européen. « Pogrom » est aussi le titre d’un roman d’Eric Bénier-Bürckel dont la (mauvaise) lecture a déclenché une vive polémique tragiquement injustifiée lors de sa sortie en septembre 2004. « Pogrom » est pourtant nourri des mêmes obsessions sexuelles et philosophiques que les livres précédents de son jeune auteur qui traverse avec une belle pertinence textuelle son âge christique de trente trois ans et dresse un premier bilan de vie sombre et cruel qui ne manque pas d’intérêt (« Un prof bien sous tout rapport » et « Maniac »).

« Progrom » est un travail méticuleux, introspectif autour du sexe, de la Littérature, de la pureté, du désir, du bien, de la pensée, du mal et de la recherche de l’émotion vraie, juste, donc forcément transgressive.

« Pogrom » est le livre d’un trentenaire doué qui teste à chaque interligne son amour des mots et des femmes. Entre thèse et antithèse, la dualité d’un homme désirant se pose et s’oppose, se prouve et s’éprouve. Il s’agit parfois d’une recherche douloureuse, d’une catharsis éprouvante pour tout le monde mais c’est un mal nécessaire. Pogrom est un livre obsessionnel, écrit avec le champ lexical des sécrétions les plus intimes, les envies les plus inavouables qu’elles soient politiques, personnelles, poétiques ou sensuelles.

Le véritable thème du livre c’est celui du monstre, celui que nous sommes tous, celui que nous fuyons et que nous refusons d’affronter. « Pogrom » est un miroir déformant à l’énergie trouble, le jeu métaphorique d’un partisan qui affronte son côté obscur pour trouver une force nouvelle.

Chaque homme peut se reconnaître dans « l’inqualifiable », dans ses lâchetés, dans ses misères, ses fuites, ses perversions et ses désirs d’absolu. Dans cette immense société corrompue, la vilaine est parfois la meilleure des armures. Entre la volonté de construire une œuvre littéraire et celle de profiter du système, de sodomiser à froid les idées reçues, Eric Bénier-Bürckel explore sans faux-semblant toutes les facettes complexes et contradictoires de son jumeau dégénéré, sans le juger, ni le condamner, sans non plus se censurer au nom du politiquement correct.

« Progrom » est incondamnable d’un point de vue textuel. Le portrait sans concession de "l’inqualifiable" n’est d’aucun prosélytisme, n’est pas le prétexte scandaleux pour faire passer de sales idées. C’est un cas d’école, une étude littéraire qui mérite qu’on s’y arrête, qu’on la lise (bien) et qu’on la dissèque à sa juste valeur cette simple "autopsie" d’un monde en perte de repères.

En filigrane, L’auteur, continue de balader son œil cynique sur le petit milieu littéraire parisien dont le Café de Flore est l’épicentre et à se moquer des écrivains à la mode et de leurs défilés d’ego surdimensionnés. Quelques passages sur ce sujet sont ainsi tout à fait jubilatoires vers le ciel ou emplis de jolie neige artificielle.

« Pogrom » est un livre qu’il faut découvrir en dehors du pataquès médiatique qui a voulu traîner dans la boue un livre qui ne le mérite pas. Eric Bénier-Bürckel est des rares écrivains de la nouvelle génération qui peut parfaitement se regarder dans la glace. Qu’on jette donc son fiel sur ceux qui mériteraient d’être davantage chahutés ou regardés avec suspicion que lui. Qu’on se le dise.

Progrom, Eric Bénier-Bürckel, Roman, Flammarion (2004)

Entretien avec EBB datant de 2002

Progrom, Eric Bénier-Bürckel, Roman, Flammarion (2004)

Entretien avec EBB datant de 2002