Interviews historiques de Tristan Edern Vaquette

Interviews historiques de Tristan Edern Vaquette

Par un terrible, vilain, mesquin et affreux coup du sort informatique, les interviews mythiques que nous avions réalisés ces dernières années de Tristan-Edern Vaquette avaient disparues de nos archives. Mais c’était sans compter l’Indispensable lui-même qui en avait gardé précieusement des copies et qui a eu l’extrême obligence de nous les renvoyer par porteur. Voici donc pour la plèbe des internautes lambda, et les autres plus érudits, l’intégralité de ces entretiens historiques à plus d’un titre, car nous considérons Tristan-Edern Vaquette comme un artiste majeur de ce siècle. Qu’on se le dise !

Interview I (2001)

1. Savez-vous que de vilains impertinents affirment que T-E Vaquette est un pseudo ?

Qu’est-c’ ça peut t’ foutre ? T’es journaliste ? Observez avec quel plaisir, quelle délectation, quel bonheur même, mais aussi, mais surtout, avec quelle dose de pusillanimité, de médiocrité d’âme (et cela est inné, que vous soyez d’accord ou non), de servilité, de bassesse obséquieuse, de manque d’exigence, de paresse, de bêtise, avec quelle absence d’esprit d’analyse, de doute, de dignité, d’intelligence, de volonté, de désir, d’ambition, de courage, de colère, de révolte, d’estime de soi, de sève, de vie, les journalistes révèlent le vrai nom de Joey Starr à la première occasion venue (coups et blessures, viol, concours du plus joli pit-bull de Saint-Denis...), comme pour dire : bien sûr, il est connu, lui, il (se) tape plein de gonzesses, lui, il parle vraiment aux gens, de façon peut-être contestable, mais infiniment moins servile que moi (c’est le journaliste qui s’exprime ainsi, bien sûr), et pourtant, ce n’est pas un extra-terrestre, la preuve, lui aussi, il a un vrai nom, comme moi, et, par ce glissement « riemannien » de la vérité (au sens de l’approximation riemannienne du calcul intégral - eh oui ! Vaquette est normalien), de petits mensonges en lâchetés communes, il en déduit, rasséréné : IL EST COMME MOI, puis, l’alcool bon marché (essayez d’acheter du Haut-Brion avec une paye de pigiste) aidant, IL EST MOI, JE SUIS JOEY STARR. Alors, le journaliste aviné sort dans la rue, prend sa voiture, fonce à Saint-Denis, et là, existant, enfin, comme un homme, pour la première fois de sa vie, hurle dans la nuit, ivre de joie : « Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? », avant de croiser quelques skinheads ou quelques branleurs de banlieue, moins blancs mais tout aussi accortes, qui finalement, lui mettent la fièvre, pendant des heures, à coups de pompes, à coups de barres.

2. Quel message avez-vous pour les malheureux êtres humains qui n’ont pas encore vu un de vos spectacles ?

Crevez tous. C’est le titre du prochain spectacle, que je les invite (c’est un trope bien sûr) à venir voir (bientôt). Ils pourront ainsi, noyés parmi des milliers de petites pisseuses en rut hurlant sans fin mon nom dans la moiteur épaisse d’un Bercy de province, m’acclamer tandis que j’exsuderai ma haine universelle et misanthrope en un vomi festif (enfin, j’espère).

3. La réflexion la plus drôle qu’on vous ai faite sur votre look ?

A Londres : « Oh ! But why are you so blue ? »

4. Provoquer c’est ce qui vous amuse le plus ?

Si provoquer, c’est sodomiser violemment avec une barre à clous, une vieille dame, même indigne, tandis qu’elle regarde en pleurant son caniche nain dévoré par mon pitbull : non (quoique ...) Si c’est briser des certitudes, semer le doute, provoquer une réaction, peut-être même une réflexion, alors oui, sûrement. Sans doute en ce sens il n’y a pas d’art sans provocation, sans désir de briser, une forme, une certitude, une idée. Voilà, en une phrase, Vaquette, toujours définitif, vient de mettre au chômage la quasi-totalité de ses navrants collègues.

5. Votre meilleur bon mot ?

Mort aux Juifs (M’en fout, si y’en a un qui rit, c’est un Arabe).

6. La chanson que vous auriez aimé écrire ?

Ami-camarade eterviewer, as-tu d’autres questions aussi intelligentes ? Oui, 19. Allez va ! S’il te faut une réponse, absolument, et une seule, et qu’on exclut cruellement toutes les chansons que j’ai moi-même déjà écrites, car elles me plaisent mes chansons à moi, et si j’avais voulu en écrire d’autres, je les aurais sûrement écrites, disons « Reconnaissance », de Lacenaire : « Je suis fâché de vous avoir connu. »

7. Ne devrait-on militer pour que vous soyez d’utilité publique ?

Si, bien sûr. Alors, universelle dégoûtation qui m’habite, je pourrai, peut-être encore seul contre tous, me cracher - enfin ! - légitimement à la gueule, car finalement, il n’y a qu’un ennemi, c’est le pouvoir (mais nous y reviendrons question 18), d’où qu’il vienne (D’autant qu’avec une telle formulation, si je n’arrive pas à écouler mes CDs, t-shirts et autres livres à la Librairie anarchiste, 145 rue Amelot, Paris 11ème, le monde économique est inique, du moins fort peu diplomatique.)

8. Parlez-moi de Jean-Louis Costes ?

Évidemment un artiste majeur tant par les formes qu’il a su inventer, que par la profondeur avec laquelle il a poussé ses thèmes. Cela me fait penser à un extrait de mon spectacle « J’veux être Grand et Beau » : « Ne parlant que de lui, partiel et partial, mais surtout, surtout, jusqu’au-boutiste, il [i.e. : l’artiste] devient universel, ne parlant que de l’Homme ; exhibant sur la place publique, impudique et extrême, l’immonde pornographie d’une âme livrée à nue, l’artiste dévoile une part d’humanité commune à tous les hommes. » Bon tout ça c’est du bla-bla, découvrez par vous même un CD, par exemple « NTM, FN », disponible sur http://www.costes.org

9. Le plus beau compliment qu’une femme ait dit à votre endroit ?

Tu baises mieux que mon mari (Mme Siffredi).

10. Parlez-moi de votre livre ?

Il s’appelle « Je gagne toujours à la fin ». C’est l’histoire d’un personnage, de moi (Vaquette), qui naît avec la grâce du « non », et qui devient bien vite grâce à cela le plus grand héros de la résistance française (le roman se passe pendant la seconde guerre mondiale). Bien sûr, à la libération, fidèle à lui-même, il va connaître quelques soucis infiniment plus terribles que lorsqu’il luttait contre les nazis. Voilà. C’est un roman d’aventure, donc, je l’espère comme ça, et aussi plus que ça (car, contrairement aux formes plus courtes dont j’avais l’habitude - chansons, spectacles - celle-ci offre un espace merveilleux dont il faut profiter) : un roman politique réellement subversif (qui parle d’aujourd’hui, bien sûr, qui « balance », comme tout le monde dit, mais comme personne ne fait), mais aussi un roman sur moi, mon rapport à l’autre, la fidélité, le jeu, le Courage, la Liberté, le bonheur ... et puis aussi, un roman très formel, disons littéraire, j’entends surtout pas académique, mais étonnant, inventif, audacieux, moderne aussi, d’aujourd’hui, rock’n’roll si vous vous voulez.
Que dire de plus qui ne soit pas vanité et insignifiance ? Ah si ! Lisez-le. Disons que dans le pur néant qu’est la littérature contemporaine française, figée, conformiste, prétentieuse mais sans aucune ambition, déconnectée de son temps, de toute réalité sociale, vieille, vieille encore, vieille surtout, où lorsqu’un livre sort - enfin ! - avec une (et une seule) idée (je parle de Houellbecq), tous (moi le premier) s’extasient, où un peu de couilles salutaires sont écrites avec un balai de chiottes (je pense à Despentes), j’espère survoler cette infinie morne plaine par mon fond, ma forme, ma modernité, ma plume et mon humour ravageur, tel un OVNI fascinant dans le ciel nébuleux de la pensée française - tout cela pour dire qu’hors du ghetto underground, il est sûrement impubliable en France (comme était indiffusable mon spectacle « J’veux être Grand et Beau », qui pourtant sera repris dans vingt ans - qui veux parier ? - par les mêmes navrants collègues qui jouaient Dario Fo, et qui m’ont frappé dans les rues d’Avignon alors que je leur signalais, avec mon tact coutumier, l’imposture d’aimer les anarchistes seulement lorsqu’ils sont morts) à moins, bien sûr, d’aller sucer un quelconque Ardisson télévisuel ou littéraire (Au fait, tu pourrais me redonner le numéro de Thierry, STP, je l’ai perdu ?)

11. Alors comme cela vous aimez l’Auvergne ?

Ami-camarade eterviewer, Otto (Diktart) vous l’a déjà signalé alors que vous faisiez une référence fantaisiste à son automobile, vérifiez vos sources. L’IndispensablE ne connaît de la France que sa Vicomté de Gribeauval, en Vendée, non loin de Fontenay-le-Comte, là où, jadis, en ses Fraunhofer vains, Louis XV l’adouba, là où il vit reclus entouré de ses bonnes philippines, et de ses fidèles chouans qui chantent encore, marchant pieds nus, comme il y a deux siècles : « Nous irons voler des sabots aux bleus [i.e. : les républicains, pas les joueurs de foot, bien sûr], tant pis s’ils sont deux contre un, ça nous fera quatre sabots chacun. »

12. N’est-ce pas trop pénible d’avoir autant de succès avec les femmes ?

Non. Lorsqu’un critique, un journaliste, un professionnel de la profession (ou tout autre invité) vient vous voir en concert, en spectacle, vous êtes certain qu’il n’est guidé que par des motivations pratiques, souvent carriéristes et/ou mercantiles. Lorsque qu’un spectateur se déplace, parfois de très loin, bloque sa soirée, ramène ses copains, paye sa place, et revient encore le lendemain, alors que rien ne l’y oblige, que rien même ne l’y incite (je ne passe pas à la télé, n’ai aucun soutien de la presse à veau, de « Cool Top jeune » à « Télérama-Libération-Nova », pas plus que de budget promotionnel d’ailleurs), c’est qu’il existe une réelle estime pour votre travail, en tous cas, une palpable motivation. J’ai la chance (?) d’avoir aujourd’hui à mes spectacles pas mal de public, et quasiment aucun professionnel : je trouve cela très flatteur, en tous cas, objectivement, une jauge extrêmement valorisante, rassurante aussi, pour qui vit nécessairement dans le doute. Voilà, j’ai répondu à la question (si, si).

13. Que pensez-vous des mégalos et des narcissiques ?

Un des chapitres de mon roman s’appelle : « Alors, Vaquette, mégalomane, ou strictement ambitieux ? » Un autre : « Il est un crime impardonnable. » Le crime impardonnable, c’est le manque d’ambition, à ne pas confondre (comme tous) avec la mégalomanie qui est, strictement, la surestimation de ses capacités. Allez ! un extrait de mon spectacle « J’veux être Grand et Beau » :
« La caissière à Leclerc dit : « Qu’est-c’que j’en ai à foutre de Balzac ou d’Einstein ; y z’auraient pas existé, ma vie elle s’rait la même ! » - Non ! Vois-tu, charmante enfant, l’homme est un animal social. Aussi, si au cours de l’histoire de l’humanité souffrante, quelques individus, trop rares, n’avaient, chaque jour, cherché à s’évader du néant qu’est ta vie conforme, sans beauté, sans grandeur, nous en serions réduits, toi comme moi, à n’être que des singes, grognant, mangeant, dormant, et copulant parfois. Or, vois-tu, même toi, tu n’es pas tout à fait un singe, et, en niant la Valeur, tu nies l’essence de l’Homme, bien sûr, mais aussi sa réalité. [...] C’est tellement facile de dire « Rien n’est », seulement parce qu’on n’est rien, « Tout se vaut », seulement parce qu’on ne vaut rien. »
Oui, je crois en l’ambition, car c’est elle qui fait et a fait l’Homme dans sa grandeur, très loin des hommes, dans leur triste réalité. Je crois aussi un certain « narcissisme » salutaire, car c’est en s’aimant, en s’estimant suffisamment, qu’on continue quand tous s’arrêtent, par paresse, par lâcheté (en vous disant, bien sûr, que c’est vous qui avez tort de poursuivre), car comment voulez-vous trouver une théorie, un vaccin, une forme artistique, un théorème nouveau, si vous cherchez là où tous, par manque de courage, d’ambition, et d’imagination aussi, cherchent et ont déjà cherché jusqu’à ne plus rien laisser justement à découvrir, simplement parce que d’autres avant eux, moins lâches, plus imaginatifs, ont trouvé quelque chose là, sur ce qui fut un terrain vierge, hors de toute règle ?
En revanche, si la mégalo, le narcissisme dont vous parlez, ne servent à rien (Vanité, la clef est probablement là) qu’à s’exhiber dans la dernière boîte de nuit à la mode en glosant de l’underground (Vaquette ? moi aussi, j’adore ! on rentre ensemble ?), alors, que ces gens crèvent écrasés par un avion terroriste sous les décombres des « Bains Douches », tant c’est justement une insulte à l’homme de gâcher des vertus, si tant est que ces gens en possèdent la moindre, qui méritent un sort autrement plus joli.

14. Pasqua ou Staline ?

Quant à choisir un assassin, je préfère encore Lacenaire - lui au moins était seul, et s’offrait le luxe d’écrire des livres, des chansons (Et s’il faut vraiment choisir, mais il me semble que Staline est mort, non ? je prends Pasqua : m’en fous, j’suis pas bougnoule, j’ai des papiers, et j’habite plus en banlieue.)

15. Ce qui vous fait hurler de rire à part vous-même ?

« Hitler=SS » de Vuillemin, Svinkels, Jacques Livchine, « Un amour perdu » d’Evil Skin, le dernier John Waters, le test du saucisson de Costes, l’entarteur, les dessins de Martin et de Faujour ... manifestement un mélange (subtil) de sens (de contestation si vous préférez) et de mauvais goût - de provo, disiez-vous ?

16. La question que vous avez envie de me poser ?

Deux questions, comme à tous les journalistes. Pourquoi vous ne faites pas quelque chose d’intéressant de votre vie qui justifierait que l’on vous interviewe (Encore que le journalisme moderne est une telle pourriture - je cite, de mémoire, Léon Bloy, Balzac ou Vaquette - qu’il s’intéresse plus souvent à une Loana, une Lara Fabian ou un Beidbeger, qu’à un artiste tant soit peu talentueux) ? Si vous en êtes incapable, pourquoi n’acceptez vous pas humblement et sereinement cette réalité, au lieu d’avoir pour seul rêve, à l’instar de la plèbe orchidoclaste (Du grec, « klaô », briser, et « orkidhion », couille) de vous exhiber à la télé, convaincu, à tort, que beaucoup de notoriété peut remplacer un peu de gloire ?

17. Faut-il brûler Saint-Tropez ?

Non. Que quelques trisomiques vulgaires et riches exhibent leur apocryphe succès ainsi que leurs nombreux bourrelets aux bras de quelques pétasses qui singent les putes de porn en affichant fièrement leur silicone 105 D avant de faire la planche marmoréenne au lit en couinant poliment, pour la forme, tant leur érotisme mercantile se limite bien souvent au contact d’une (grosse) liasse de 500 euros - Ah ! j’ai joui - cela me chaut peu, ne m’inspire aucune envie, aucune pitié, pas même un sourire. Je crachais il y a quelques lignes sur le Loft et la variété grand public pour grande surface alimentaire. Cela est injuste, non, peut-être pas, disons démagogique, et hors propos. Plus, l’indigence intellectuel et culturelle patente (à défaut d’être assumée) d’une Loana ou d’une Lara Fabian, ne peut que mettre en valeur ceux qui, comme moi, comme quelques autres, finalement rares, ont la prétention d’apporter un peu d’épaisseur, d’ambition et de sens à leur propos. Cela fait longtemps que je suis persuadé que là ne sont pas mes « ennemis de classe » (et prenez le mot classe dans le sens qu’il vous plaira), qu’il faut bien mieux les chercher à Télérama, à Nova, aux Inrocks ou à Libération, dans le monde merveilleux de la « demi-culture », comme on dit « demi-mondaine », chez les Pivot, les Sollers, la Tordue, Jacques Weber ou les petits cons de la Fémis (j’en oublie tant, bien sûr), toute cette faune qui sera bien vite oubliée (Qui connaît encore, qui lit surtout, Paul Bourget, couvert d’honneur, de gloire, de prix et de succès littéraires il y tout juste un siècle ?), et qui pourtant accrédite aujourd’hui, dans une imposture gigantesque et pratiquement incontestée, l’idée que la culture, la pertinence, l’impertinence aussi, le courage, le talent, que sais-je encore ? c’est eux, et qui, trustant ainsi le soutien médiatique de la « presse de qualité », les subventions, les espaces de diffusion ... nous empêchent pratiquement d’exister, disons du moins, nous laisse à peine survivre.
Cela me dépasse bien sûr, et allez demander à Gaspar Noé, à Jean-Pierre Mocky, ou à Pierre Falardeau, quel est le budget de leurs films, comment ils trouvent l’argent, et dans combien de salles ils sont diffusés, demandez à un spectateur si il a déjà vu Costes ou Vaquette dans une maison de la culture, un théâtre subventionné, si même on trouve leurs disques à la Fnac (Quant au roman de Vaquette, relisons ensemble la réponse à la dixième question), mais probablement est-ce simplement car tous ces gens n’ont pas de talent, non ? avant, bien sûr, d’ici quelques années, peu j’espère, comme toujours, d’être accusés d’être de gros enculés de récupérés (je parle pour Vaquette surtout) nageant avec des femmes, pas mêmes intelligentes, dans une piscine de champagne, à Saint-Tropez (qu’il ne faut pas brûler, donc). Allez va ! je ne résiste pas au plaisir de vous livrer les premières lignes du « manifeste » que j’avais écrit pour « Un Printemps Bizarre » (LE festival de tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, conteste une norme, qu’elle soit culturelle, politique, ou sociale, que j’avais créé il y a quelques années, pour essayer, une fois de plus, de faire avancer le smilblick) :
« Un Printemps Bizarre » est né d’un constat. La création artistique est aujourd’hui en France sommée de choisir entre deux facettes d’une même réalité, d’un même système : « l’entertainment » dont l’ambition exsangue se réduit à distraire un public le plus large possible, et un art institutionnalisé, officiel, tout aussi conformiste, aussi peu dérangeant, à l’attention quasi exclusive d’une bourgeoisie culturelle (Qui assiste encore à un opéra, à l’exposition d’un peintre contemporain, à un concert de musique moderne, à une pièce de théâtre même ? Qui lit encore la « littérature primable » lorsqu’elle n’est pas primée ?) A l’une, pour vivre, le marché et la publicité, à l’autre, les subventions et le soutien de la critique. Entre les deux, exister devient une gageure, nous l’appellerons censure...

18. Quelle est votre mission sur la terre ?

Je vais répondre, n’aie crainte ami-camarade eterviewer, mais avant, je me permets un citation, de Montherlant, pour relativiser tout cela : « Il n’y a pas besoin de laisser une œuvre. Il n’y a pas besoin d’avoir été un grand esprit ni un grand cœur ; encore moins d’avoir agi (ce qu’ils appellent « agi »). Il n’y a pas besoin de sauver l’humanité, qui paraîtra un jour idéal aussi désuet que les autres, ni une idée, car il n’y a pas d’idée qui vaille d’être sauvée, ni son âme, car l’âme n’a pas à être sauvée. J’accomplirais ces nobles tâches qu’elles me laisseraient torturé de désespoir, cruellement certain que j’ai perdu ma vie et que j’ai été joué. Je suis obsédé par la folie qu’est l’effort des hommes. Il n’y a qu’un but, qui est d’être heureux. Noblement ou pas noblement. Avec ou sans l’admiration des hommes. Avec ou sans l’assentiment des hommes. J’aurai toujours le mien, et ne l’aurai que dans cette attitude là, entendez bien : l’assentiment de ma raison ». Et puis, malgré tout, une citation de Jean-Edern Hallier, pour relativiser ma relativisation, bien sûr : « La classe, c’est de faire modestement, mais avec un orgueil inouï, ce pour quoi l’on est fait. »
Ceci étant dit, voici ma réponse : délégitimer. Tout. Tous les pouvoirs j’entends, à commencer par ceux qui directement vous agressent. Celui qu’un flic, qu’un militaire, qu’un juge, a ou peut avoir sur vous, bien sûr, mais aussi celui que la morale, que toutes les morales ont sur tous, et puis aussi, celui que l’amoral, le cynique (« Le cynisme, c’est la lucidité, plus l’abandon de la morale, comme l’arrivisme, c’est l’ambition sans la morale » - Vaquette), voudrait avoir sur tous, dans la réalité économique, ou dans sa relation aux autres, à l’autre, et puis encore, celui des certitudes dominantes, de tous les mensonges incontestables et admis qui font une société à un époque, et qui seront bien vite remplacés par d’autres (mensonges), par les mêmes (personnes), et si ce n’est pas eux, c’est donc leurs frères, ou leurs enfants, enfin (mais la liste peut-elle être exhaustive ?) celui des lâchetés, car individuelles ou collectives, elles ont encore un pouvoir sur nous, sur moi en tous cas, elles sont un pouvoir.
Heureusement, dans cette dure lutte, comme tout bon missionnaire prêt à massacrer quelques autochtones, j’ai des armes. Le rire d’abord, bien sûr. Comment mieux délégitimer qu’en se moquant ? C’est la longue tradition de la caricature française qui a contribué grandement a affaiblir le pouvoir politique. C’est pour cela que le rire n’est légitime que s’il s’attaque à des pouvoirs forts, et qu’ainsi « Hitler=SS » de Vuillemin, ou « Vive Le Pen » de Vaquette, en s’attaquant, aujourd’hui, et cette précision est évidemment fondamentale tant les formes du pouvoir sont fluctuantes dans le temps, au dogme de la religion droit-de-l’hommienne et anti-raciste, sont infiniment plus pertinents que la caricature qui prend (avec un demi-siècle ? un siècle ? de retard) les hommes politiques ou les curés comme cible. Deuxième arme : le doute, mère de la réflexion, tant les certitudes a priori (les préjugés) sont l’assise de tout pouvoir (Va tenter de discuter avec un flic, un guichetier à la Sécu, ou un avocat de la Licra ...). Et puis aussi : l’exemplarité, l’exigence (qui délégitime la médiocrité, témoin Le Monde Diplomatique qui fait perdre tout crédit de « journal sérieux » au Monde), mon « look » aussi, qui délégitime l’uniforme triste de gens dans la rue (J’voudrais bien m’habiller bizarre, mais c’est pas possible - si ! c’est possible.) ...

19. Le projet qui vous tient le plus à cœur ?

Continuer à bâtir ma vie avec la même ambition et la même humilité. Oui ! l’humilité ce n’est pas d’être médiocre en répétant « Tout se vaut, pour qui tu te prends ? » (Je me répète, non ?), c’est de chaque jour tenter d’être meilleur, c’est de rester fidèle à mon ambition de jeunesse qui me faisait répondre à la question des familles « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » : « Balzac », j’entends, j’entendais déjà, être aussi pertinent, talentueux, lucide, brillant, pas en être une pâle copie (une copie, même à l’identique, est nécessairement pâle) - d’ailleurs nous parlions question dix de mon roman, « Splendeur et misères des courtisanes » est une référence parfaite, à la fois roman d’aventure, roman politique, roman d’amour, roman social bien sûr. Conserver l’envie de continuer surtout, et pouvoir dans dix ans me regarder avec la même fierté qu’aujourd’hui - « Oui, moi, moi, J’veux être Grand et Beau ».
Bon d’accord, je mens. A l’instar du premier branleur de banlieue venu rêvant d’un mic’ sans fil et de Nike sans lacets, mon ambition est simple, vulgaire aussi : tirer les gonzesses, et gagner du pognon - voilà, c’est dit.

20. Un message pour vos fans ?

Mes excuses déjà. Oui, je suis à la bourre sur tout. Je n’ose plus donner de date, mais j’espère bientôt ( ? ? ?) : la mise en ligne d’un site web digne de ce nom (http://www.vaquette.org), et la sortie du roman, en ligne dans un premier temps, avant, d’une façon ou d’une autre, une parution papier. Et puis, encore un peu plus tard, le nouveau spectacle, « Crevez tous » (Enfin !) Je signale aussi que le CD live du dernier spectacle est sorti et que je le conseille extrêmement vivement (Si, si, il est vraiment bien.) Voilà, « je lâche pas l’affaire », comme on dit, fais donc de même, ami-camarade fan.


Interview II (2003)

1. Vous publiez le 5 septembre 2003 au Diable Vauvert votre premier roman "Je gagne toujours à la fin" qui risque fort de vous attirer succès et jalousies. Revanche ou continuité logique pour votre talent de légende ?

Les deux mon capitaine. Après plus de dix ans à crapahuter dans l’underground le plus hard-core, il serait bien malhonnête de ne pas avouer qu’un peu de reconnaissance du "vrai" système (encore que mon éditeur soit passablement décalé, à défaut d’être underground ou alternatif) est une revanche et que cela n’est pas absolument désagréable. Une continuité logique ? Oui, aussi, puisqu’en France, pays lent et réactionnaire par excellence (ou plus précisément, par manque d’excellence - pur jeu de mot maître Capello, non ?), il semble qu’il faille croupir dix ans au fond d’un ghetto pour devenir brutalement respectable aux yeux des professionnels de la profession, et conséquemment récupérable (Ah ! il a payé ! il a tenu malgré tout !
Dix ans ! c’est que ça doit être bien ce qu’il fait...). Mais je suis probablement méchant et malhonnête, la preuve, Jenifer, elle, elle y est arrivée tout de suite, et Loana a même écrit un livre. C’est vrai, pardon.

2. En quoi êtes-vous un écrivain majeur de ce siècle ?

Plaît-il ? Plus sérieusement, dans le néant qu’est la littérature française contemporaine, ce n’est pas atrocement difficile de surnager. Très sincèrement, il me chaut assez peu un peu de savoir si Léon Bloy ou Sade sont les plus grands auteurs respectivement des 19 et 18ème siècles. Par contre, je peux vous dire que ce sont des auteurs à lire, absolument, que l’on aime ou que l’on aime pas, parce que, quoiqu’il en soit, ils amènent quelque chose de réellement différent de ce que font les autres, et à mon sens, c’est le plus beau compliment, à défaut d’être le seul, qu’on puisse faire à un "artiste".

Mon roman, ça ne ressemble absolument à rien de ce qui se publie ou s’est publié en France, c’est à la fois rigolo, engagé, délirant, bref, du San-Antonio punk, et puis aussi, les deux en même temps, c’est très littéraire, formel, presque avant-garde (mais ça ne veut surtout pas dire chiant, oh que non !) et puis passablement intello aussi, porteur d’un fond consistant disons, ce qui ne signifie là non plus pas prétentieux, prise de tête et déconnecté de la réalité. Puisqu’il faut toujours tout ranger dans des boîtes, disons que c’est quelque part entre Vuillemin et Guy Debord, Dantec et la littérature... Avec en plus un style, une musique. Finalement, oui, vous avez bien raison, l’IndispensablE est incontestablement un écrivain majeur de ce siècle naissant.

3. Lorsque vous aurez un empire littéraire, qu’en ferez-vous ?

Je viens de regarder ce soir sur le web, précisément sur www.berurier-x-noir.org (le site des Bérurier Noir), un "Ciel mon mardi" d’il y a quinze ans consacré au "rock alternatif" (disons au punk français pour nos amis-camarades incultes) - mes racines. Il y avait sur le plateau Gros François, Gogol Ier, et les Bérus. Que sont-ils devenus ? François Hadji-Lazaro rêvait avec son label "Boucherie production" de bouffer le système et de racheter CBS : son label s’est fait racheter par une major, et il poursuit sa petite carrière en ayant signé chez ladite major - un comble, semble-t-il (je dis semble-t-il, parce que, lorsque on a vécu 10 ans dans l’auto-production comme moi, on a du mal à en vouloir à ceux qui l’ont fait aussi et qui voudraient que cela cesse enfin : je laisse les cours de morale à ceux qui ne feront jamais rien de leur vie, rien d’autre que cela, faire la morale aux autres). Gogol a mal tourné, passons. Les Bérus ont arrêté au faîte de leur gloire, et reste en partie grâce à cela un groupe mythique. Le grand absent de l’émission, c’était Didier Wampas, qui lui, est toujours là, chez un label indépendant après être passé en major, mais sans jamais avoir changé sa route. Il est à mon sens le plus grand auteur de chansons françaises vivant, et, après 20 ans de carrière, il a enfin un tube qui passe en radio (et il se trouve des petits et laids pour l’accuser d’être récupéré - qu’ils crèvent).

La morale de tout ça (et accessoirement la réponse à votre question) ? une phrase de Didier Wampas justement : "J’aime bien chanter de plus en plus des choses que je comprends, c’est p’têt’ comme ça que j’s’rai heureux, sans argent dans mon dos, car si j’ai la force de faire les choses auxquelles je crois vraiment, même les étoiles à mes côtés se battront jusqu’au bout, mais si je suis lâche et paresseux, j’aurai beau crier m’agiter, si je suis lâche et paresseux, personne ne pourra rien pour moi".

Le site légendaire de Tristan-Edern Vaquette

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