Cinéma : LAST DAYS par Derensy et Vignale

Cinéma : LAST DAYS par Derensy et Vignale

Pour voir « Last Days » il faut : premièrement aimer le style narratif de Gus Van Sant, deuxièmement avoir un intérêt pour le contemplatif actif (l’œil est toujours capté par une image) et enfin s’attacher un temps soit peu (même si ce n’est pas le principal propos du film) sur la vie d’une rock star déphasée. Car sinon, sinon vous vous emmerderez sec !

Comme je suis plutôt et entièrement dans la première catégorie de spectateur, sachez que ce film est incroyablement divertissant. Bien sûr c’est Kurt Cobain, bien sûr Mickaël Pitt est incroyable en bête humaine au bord de la mort, bien sûr il faut en prendre et en laisser, mais outre cet aspect et le point du vue multiplié des protagonistes (déjà vu dans "Eléphant") ce qui est troublant c’est la justesse et l’amour que dégage ce réalisateur pour son film et son sujet.

Victime d’une société où il se sent rejeté, le fameux Blake (et non pas Kurt) se réfugie dans la douillette et rude nature afin de faire corps avec les éléments. Et c’est là que réside l’intrigue : dans le minimalisme faisons quelque chose de grand. Rions ensemble de la fin tragique de chacun et plus particulièrement d’un homme qui avait tout pour lui : beau gosse, doué (la scène de la Véranda où le chanteur s’amuse à créer avec ses instruments est magnifique), adulé mais tellement seul.

Voyons donc d’un regard sadique la non-existence d’un être traumatisé par la drogue et par son entourage. Replié sur lui-même au milieu d’adorateurs et profiteurs, assistons à la chasse d’un ours blanc stone et frappé d’un sceau cataleptique.

Ce qui est intéressant au milieu de ces non-dits c’est l’utilisation de l’image par Gus : tout se joue sur la profondeur de champ. Rien ne se passe au premier plan, la nature est ouverte et accueillante, rien ne se crée au second plan non plus, mais là bas, tout là-bas, dans le fin fond de l’arrière-plan dans la crasse d’une fourmilière impersonnelle (le manoir ou Blake réside) un insecte minuscule s’autodétruit.

Le jeu du « qui est qui » n’est pas indispensable, par contre la sensation bizarre qu’il y a manipulation de bout en bout du film est capitale. Le retour à la terre se ferait donc par la mort... la mort par infinie-solitude, notre amour de jeunesse qui s’échappe, la fin d’une époque. Grandiose.

« Last days » : Tuer le mythe et faire de la Poésie qui bouge par Frédéric Vignale

« Last Days » n’est pas un film qui a le désir de plaire, de fédérer ou de flatter la horde de fans énamourés et nostalgiques de feu Kurt Kobain du groupe grunge Nirvana. « Last Days » est une œuvre forte, intelligente, un pari de mise en scène ambitieux autant qu’audacieux qui offre au grand public une parfaite vision moderne d’un cinéma d’auteur, un travail sur l’image et le son profondément respectable et qu’il convient de défendre et encourager ici. Assister à une projection où certaines personnes quittent la salle est, souvent, d’un augure joyeux.

Gus Van Sant ne cède à aucune facilité, à aucun voyeurisme, à aucune accroche comme aurait pu le laisser présupposer son sujet porteur, médiatique, scabreux et éminemment sensationnel.

« Last Days » est un huis clos pathétique, désespéré dans un château ouvert au courant d’air, perdu en pleine nature humide et froide. Ses occupants sont des seconds rôles qui pioncent et qui baisent pendant que la Vieille Bâtisse de Castle Rock est hantée par un personnage dégingandé, illuminé, sale et schizophrène. Un grand blond aux cheveux longs et fins qui traîne sa désespérance dans une langueur monotone de poète maudit en fin de parcours.

Le clone de Kurt Kobain pourrait être le chantre piteux d’une campagne anti-drogue, celui qu’on n’a pas envie de devenir en touchant à la dope ; un homme abandonné par le sens commun et dont les derniers neurones se baladent dans une belle anarchie maladive.

Une dégénérescence du mental qui, certes, donne encore quelques mélodies et paroles d’une rare beauté et d’une vibrante émotion mais dont les descentes sont glauques et insupportables à vivre.

Dans « Last Days » pas de star glorifiée mais un génie du mal être sacrifié sur l’autel de la Coke, du Lsd et du Poppers. Un ange déchu comme on n’a pas envie de le voir, un enfant perdu, les yeux hagards injectés de mauvaise substance qui atrophie peu à peu le talent.

Le portrait est saisissant, perte de l’identité sexuelle, aphasie, dépression, perte des repères, Gus Van Sant filme à l’intérieur de la sensation du spleen, caméra épaule, en focale large sans juger ni moquer, ni trahir l’esprit. Certaines scènes sont d’un esthétisme sans faille, d’autres sont parfaitement houellebecquiennes, sordides comme un paquet de pâtes qu’on mange à la va-vite dans une cuisine dégueulasse.

Toutes les fins sont des tragédies humaines, celle-là a le mérite de casser le mythe en y mettant la Poésie là où il faut. Le suicide d’une Rock Star c’est avant tout la mort d’un homme, la violence fatale comme seule échappatoire à la folie qui gagne du terrain, au trépas qui approche comme une punition divine inexorable.

Travail admirable de montage, bande son émouvante et belle, casting sobre et mélancolie plurielle, « Last Days » est un film pour cinéphile averti. Un document qu’il faudrait montrer dans toutes les écoles.

La version rock and roll des derniers jours du Christ mérite qu’on s’y arrête pour accéder au Nirvana de l’Art sur pellicule. Un chef d’œuvre à la codification juste et pleine de signifiés.

Une œuvre qui peut rebuter de prime abord, mais qui vaut largement le prix du ticket et l’achat du DVD à venir. A voir et revoir unplunged.