Bacon : 1 - Picasso : 0

Bacon : 1 - Picasso : 0

Ces jours-ci se tient au Musée Picasso, dans le Marais parisien, une confrontation artistique très pertinente sous forme d’exposition thématique en binôme, entre Pablo Picasso et Francis Bacon. Deux monstres, tourmentés, de la peinture qui s’affrontent en couleurs et en douleurs au nom de la beauté du geste parfait, saisissant.
Etant depuis toujours un inconditionnel de Bacon, l’affiche globale et le concept intellectuel de la mise en parallèle des deux œuvres a eu le don d’exciter ma curiosité au plus haut point. Récit d’une double vision dont Bacon est le héros triomphateur.

Dimanche, après midi, Paris inondée de lumière. Arrivés trop tard pour profiter du jardin du musée, nous devons nous contenter de la seule joute post mortem de ces deux illustres génies du siècle, faux frères complémentaires de l’Histoire de l’Art mondial. Il nous faudra tout de même patienter une demi-heure pour pénétrer dans l’arène picturale des deux protagonistes. Une attente pleine d’espoir et d’anxiété qui nous entraîne dans le tourbillon de la création artistique, entre noir et rouge. Entre désespoir et Catharsis au goût d’absolu.

La plupart des touristes et contempteurs présents n’ont, hélas, pas mon profil puisqu’ils sont venus pour manger, dévorer, consommer du Picasso, la valeur sûre de l’expo, celle qui attire le public. Celui-ci ignore tout de Bacon, ne connaît rien de son parcours, de sa folie, du capharnaüm de ses ateliers, rien de ses études, de ses autoportraits et de ses visions fin de siècle.

Le peintre anglais effraie, on prend ses étalages de viandes, de sexes, ses portraits flous et ses dématérialisations pour de simples provocations perverses. On ne comprend pas à quel point Bacon est un moderne et un passage obligé pour toute compréhension du monde et de ses sens cachés.

Pourtant l’exposition donne une claque dans la figure aux idées reçues, Picasso ne tient pas le crachoir très longtemps face à la force, l’énergie et la maîtrise de Bacon. Ses diptyques, ses triptyques sont des cathédrales complexes et magnifiques qui ne laissent personne indifférent. Ni les connaisseurs, ni les visiteurs d’un jour vierge de tout référent baconien. C’est la victoire sans bavure de l’outsider contre le tenant du titre.

Bacon écrase Picasso qui ne fait que planter, avec talent certes, un décor, une ambiance et ne finit qu’à servir de faire valoir à l’exposition des tourments géniaux, des récréations figuratives de Francis Bacon.

Les collages de Picasso, ses femmes profilées, ses décompositions manquent cruellement de majesté face à la légende baconienne. Certains triptyques ainsi exposés demandent qu’on s’asseye en silence pendant une demi heure pour en capter toute la magie et les perspectives audacieuses, admirables.

La contemplation devient ainsi presque religieuse, on n’a qu’une seule envie, faire vider la salle des badauds ignares et des touristes incultes pour se recueillir avec admiration devant ces monuments tout puissants.

Gilles Deleuze parlait de « logique de la sensation » chez Bacon. L’acte de peindre, le combat que mène Bacon contre/avec la peinture, la vie est un des plus beaux spectacles humains et métaphysique qui soit donné d’observer.

Osez vous poser en face d’un Bacon et laissez-vous emporter, confrontez-vous au chaos. Mettez-vous dans la même cosmogonie qu’un Bacon et vous comprendrez l’enthousiasme de mes visions.

Une exposition à voir à deux pour confronter les regards, pour débattre et jubiler au nom de l’Art. Un grand bravo aux organisateurs.

Le Musée Picasso
Un excellent site sur Francis Bacon (English)

Le Musée Picasso
Un excellent site sur Francis Bacon (English)