Interview : Little Bob

Interview : Little Bob

Little Bob, c’est l’American Dream vu du Havre. Toute sa richesse tiens dans cela et dans son micro et c’est seulement ce qu’on lui demande d’offrir.
Du rêve. Du rêve à s’en faire enlever les yeux pour ne plus voir la triste réalité en face. A l’heure ou l’on parle quota de qualité française, Bob continue depuis 30 ans sur son fringuant coursier historique de chanter en anglais des titres américains. Avec « The Gift » c’est le cadeau du ciel d’un quinquagénaire toujours vert.

Qu’est ce qui te fait encore courir après 30 ans de carrière ?

Little Bob « D’abord, c’est pas une carrière mais une aventure. Ce sont des mots prosaïques et simples. J’aime ça. J’aime profondément la musique. J’adore mettre le pied dans le mini-bus, retrouver mes potes pour tracer la route. J’aime le moment ou je dois écrire une chanson, de la voir grandir en répétition avec les garçons, les enregistrer et les regarder s’épanouir sur scène. C’est une sacrée aventure dont je mesure la chance chaque jours. »

Avec les difficultés relatives à ce métier ?

Little Bob « Oui mais elles sont présentes depuis le début. Il ne faut pas se leurrer. Ce n’est pas un truc anonyme. Faut te donner à fond. Tu as des hauts et des bas. Par exemple la difficulté actuellement je la contourne en produisant moi-même mes disques pour ensuite trouver un label qui distribue. »

Pour rester indépendant ?

Little Bob « Je l’ai toujours été tout en étant chez des Majors. Même chez RCA qui est devenu MBG. J’ai été chez EMI aussi. Je faisais les disques que j’aimais et personne ne m’a jamais rien dit. J’ai toujours fais les disques que j’assume. Les trucs bien comme les conneries. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, c’est plus raide. Pour ce nouvel album j’aurais pu signer dans une boite plus importante mais ils voulaient m’imposer des choix artistiques. J’ai dis non malgré une avance en argent trois fois supérieur, plus de pourcentage et plus de promo. C’est intéressant d’avoir tout ça parce qu’il faut se battre pour faire connaître sa musique mais ma liberté vaut largement plus cher que tout. Je me débrouille, je casse ma tirelire, j’ai pas encore fait de hold-up, j’emprunte. »

On sent que tu l’aimes cette musique que tu défends ?

Little Bob « C’est un truc bien spécial que j’ai voulu faire. Ajouter à mes compos perso sur un second CD : 7 titres qui m’ont « élevé » au rock. Des chansons de gens qui m’ont donné envies de chanter au départ quand j’étais môme. Y en a eu pleins d’autres hein (rire)
J’aurais du vraiment tout mettre je devais faire 10 double albums !(rire)
Là ce sont des gens qui m’ont inoculés cette passion au début des années 60. Cela va de Little Richard à Bob Dylan en passant par Les Animals et le blues de Willie Dixon. J’attends toujours celui qui va me dire quelle est la ressemblance entre les titres choisis dans l’album de reprise et mon premier album en 76. »

Ton nouvel album s’appelle « The Gift » : le cadeau en français ?

Little Bob « Dedans, j’y ai mis des textes qui ne sont pas roses mais j’essaye de garder un coté positif. J’ai un amis qui est metteur en scène et photographe qui m’a amené une photo d’un manège de moto avec écris en haut « rock n’roll » en lettre de lumière. Plutôt que de mettre ma gueule que tout le monde connaît j’ai voulu mettre en avant ce cadeau de ma vie qu’est le rock ! C’est le cadeau du diable au croisement de la route du blues. »

Ta musique est un rock canaille ?

Little Bob « Exactement. »

Comme dans tout bon album de rock, il y a des titres qui sont des prénoms de filles, ces filles qui sont souvent des panthères sauvages ?

Little Bob « Tous les groupes qui se montent ne sont jamais crées que pour plaire aux filles. Quand j’ai débuté je me suis dis « T’es jamais qu’un petit gros, un petit gros myope par dessus le marché ». Quand tu montes sur scène tu sais que tu peux accrocher les gens et surtout les filles (rire). Maintenant cela fait 18 ans que je vis avec ma douce. J’en ai une tous les soirs mais c’est toujours la même. »

Alors apparemment nous connaissons tous les deux un garçon qui s’appelle Chuck E Weiss et qui est un monstre musical assez anonyme ?

Little Bob « J’ai chanté avec lui. J’ai fais le boeuf avec lui à Los Angeles. Quand j’écoute ses disques, c’est un vrai bonheur. Qu’il fasse du rock, du blues, c’est carrément grave. Là on est en plein dans la musique. Quand j’ai joué avec lui, il y avait Tom Waits à 10 mètres de moi. J’ai même eu un peu le traquezir. Tiens si tu veux écouter le meilleur groupe depuis 5-6 ans va écouter Imperial Crowns. »

Beaucoup des papes du rock n’roll sont mort ou sont en voie de se faire canoniser, reconnais tu dans la nouvelle génération des descendants capables de t’émouvoir ?

Little Bob « Je me reconnais pas du tout dans la mouvance franco-française. Je les respectes. Mais comme Sanseverino ou pire que ça comme Benabar tout ça, c’est de la chanson mais ils leur manque de la bouteille pour arriver au niveau de Brel, Brassens, Férré, Ferrat ou Barbara. Je pourrais me connaître dans des groupes comme Noir Dés ou La Mano. Manu Chao a fait nos premières parties au début et Noir Désir parce qu’au départ ils étaient imprégnés de groupes de rock. Y a des groupes qui dégagent comme les Wamaps, Luke ou Parabelum. Moi j’ai mes racines bien planqué dans le blues mais en même temps, j’écris aujourd’hui. Je n’ai encore jamais pris de machine dans mes enregistrements. Pour l’instant, je n’ai pas envie, je préfère mes super musiciens. En même temps si j’en sentais la nécessité je le ferais, je ne me mets pas d’obstacle. En vieillissant, j’ai tendance à faire des tournées un peu plus acoustiques avec quelques balades mais il y aura toujours du rock, du blues et du boogies. »

As tu été déçu par l’Amérique que tu chantes le jour ou tu t’es rendu là bas ?

Little Bob « Il y a des deux. Voir Chuck ou d’autre groupes à tomber par terre jouer dans des brasseries, ça c’était le bon coté de l’Amérique. Quand j’écoute la musique qui vient de là bas, je n’ai pas de problème. De l’autre coté il y a la politique des USA qui est terrifiante, la soif de l’argent, etc. Mais la musique que j’aime n’a pas été inventé par Bush. Faut passer par dessus ça. Je suis toujours content de voir un film de Jim Jarmush ou de voir jouer les italo-américains tels que Pacino ou De Niro. L’Amérique, c’est un bordel. »

Tu n’as pas l’air d’être l’ami des compromis, cela t’a-t’il joué des tours ?

Little Bob « Le premier des tours c’est que je chante en anglais car je préfère entendre ma musique sonner de cette manière. Je suis une espèce de zombie. Le contraire de la recherche commercial. »

Les quotas de la chanson française doivent te pourrir la vie ?

Little Bob « Depuis le début ! depuis le deuxième album. En 1977 : il y avait l’explosion du punk et du rock française : de Téléphone à Bijoux, de mon coté, j’avais frôlé le disque d’or mais le public que j’avais créé, s’est tiré pour écouter leurs chansons à eux. Les ventes s’en sont ressentis pour beaucoup. Certains mecs me disaient de chanter en français quand on voyait le succès immédiat des groupes mais j’ai continué de faire sonner ma zique comme je l’aime quitte à perdre plus qu’à gagner. »

Fais-tu de la musique comme un anglo-saxon ou alors penses Tu être une sorte d’image pieuse du rock n’roll made in France.

Little Bob « Je fais ma musique comme un bluesman. Il y a sûrement un coté black dedans mais mon coté latin est très fort. Il y a toujours un coté mélodieux du fait de vivre en France et d’être Italien. »

Tu es d’ailleurs un exilé ?

Little Bob « Je suis né en Italie. Je suis arrivé au Havre à 12 ans et demi. Je peux te dire que ça été un choc. Je suis débarqué au mois de mars, au environ de paques. Là bas il faisait beau et je jouait au foot et je suis arrivé dans un endroit que je voyais de mes yeux de gosses d’une tristesse infinie. Les usines, le pavé mouillé. Après je m’y suis fais. Le vent balaye les mauvaises odeurs. Maintenant le Havre me plait. Il m’a pas mal inspiré pour écrire des chansons. »

Greil Marcus que tu dois connaître a une vision universitaire de la musique et du rock, assez éloigné de la rue ou doit vivre cette musique, comprends tu sa façon d’apprécier très rigoureuse ?

Little Bob « Tu t’imagines que je préfère quand cela vient de la rue. Mes écrivains préférés américains ce sont Fanté, Buckowski et Hubert Selby Jr. »

C’est important la scène pour Little Bob ?

Little Bob « Je suis sur des charbons ardents avant de monter sur scène ou avant qu’un disque sorte sauf que lorsque je monte sur scène ça brûle et je suis immédiatement au courant de la réaction du publique. Faire de la musique, c’est un truc qui se partage, ce n’est pas nombrilique. »

Qu’est ce que cela te fait de voir Johnny auto-proclamé rocker ?

Little Bob « Je m’en fous. Il fait sa ratatouille, il touche le populo, mais les vrais fans de musiques savent que chez moi c’est du vrai ! Que je ne trahis pas cette musique. »

Pierre DERENSY