Le scalpel et le pinceau

Le scalpel et le pinceau

Peindre, c’est accoucher et mourir, se vider de son sang, dans l’oubli des autres, au nom d’un idéal qui devrait dépasser la petitesse du monde mais qui finit par isoler les véritables génies du reste de l’inhumanité. La peinture est un don de soi qui peut amener jusqu’à la déchéance ou la folie. La visite des ateliers n’est autre que la chronique d’une mort annoncée.

Ollivier Pourriol explore ces couloirs par le biais de l’imagination, de la philosophie, de la rhétorique, de la littérature et de la confession intime. Cadavres exquis, morceaux choisis d’un écrivain très prometteur qui n’en est encore qu’à ses gammes, mais ô combien respectables et audacieuses. Un auteur à suivre de très près.

Par un habile prétexte narratif, O.P. met face à face deux antagonistes qui vont discourir sans trop s’en rendre compte sur les états de vie et de mort en milieu artistique, et la générosité de leurs analyses mêlées fera avancer le débat universel. « Il est impossible de finir lorsqu’on a tout son temps » dit l’un d’eux. « La mort se tient à notre gauche, et sentir sa présence permet de faire des choix réels et profonds, de vivre pour de bon. »

L’auteur met en scène, de manière admirable, l’ultime confrontation de ces deux hommes. Un peintre et un docteur complémentaires construisent, ensemble, une temporalité riche, érudite et passionnelle.

La création est une agonie lente, douloureuse et ingrate. L’existence n’est qu’une lutte perpétuelle pour trouver sa place, survivre et parfois, si on a quelque talent, laisser des traces infimes et éphémères dans la mémoire collective.

Créer n’est pas procréer, l’art est un moyen de sublimer un désir, un remède à la stérilité, à l’impossibilité de se démultiplier.

L’écrivain explore la création sous toutes ses formes, il met en page les thèses et les antithèses et construit un récit scrupuleux avec beaucoup de maîtrise et de tact.

« Le peinture au couteau » est un roman allégorique, délicieusement suranné, au mot juste et aux trouvailles savoureuses. « La vie est un cadeau qui s’empoisonne progressivement, ce qui laisse le temps de s’y habituer. (...) Nos goûts s’affinent en nous dénaturant. L’Art fleurit au crépuscule des civilisations. »

Ollivier Pourriol est un auteur qui admire les arts et qui sait mieux que personne rendre hommage à l’Histoire, au temps, au monde des idées, d’une plume élégante, raffinée et concise.

Pourriol est un disciple congénital, un admirateur patenté mais qui a, lui aussi, ce pouvoir rare de créer du beau à son tour, sans oublier de rendre des hommages à ses pairs. Il est à l’écoute des circonvolutions de ses semblables, qu’il regarde sans juger et dont il imagine, réinvente les dialogues énigmatiques et les échanges les plus philosophiques et pertinents qui soient.

Aussi, cette omniprésence du champ lexical de la couleur, sous toutes ses teintes, ses formes héroïques. Dans ses mélanges de térébenthine, dans ses complémentarités, dans ses images et métaphores, ces errances en filigrane...

Travail chirurgical précis, ce livre est l’immense champ opératoire d’un débat passionnant autour de l’Art et de ses intentions plurielles. Une toile ouverte. A posséder absolument dans sa bibliothèque des harmonies colorées.

Le Peintre et le Couteau, Ollivier Pourriol, Grasset, 277 pages, 17 euros

Le Peintre et le Couteau, Ollivier Pourriol, Grasset, 277 pages, 17 euros