Talent furieux

Talent furieux

Il doit y avoir de ces écrivains trois fois par siècle, mais pas plus, car la société, le monde des Lettres et le système global ont du mal à enfanter un tel génie de l’intuition littéraire, un tel captateur ou inventeur de vies imaginaires, de destins minuscules à la gouaille si jubilatoire et décapante. Tant de verve énerve le bourgeois écrivant, le commentateur classique du milieu des grandes phrases, le journaliste branché qui ne jure que par Florian Zeller ou Beigbeder.

Il y a fort à parier que vous ne connaissez pas encore Jean-Marc Agrati et que, en l’occurence, vous passez à côté d’un des grands littérateurs de notre époque.

Les livres d’Agrati devraient se vendre mieux que ceux de Houellebecq et pourtant, ce n’est pas encore le cas. Injustice ! Là est la véritable indécence.

C’est dans la nouvelle qu’Agrati se sent le mieux et pour cause, il maîtrise mieux que personne ce genre encore à part qui a si mauvaise presse en Europe, malgré qu’il a vu naître et s’exercer les plumes les plus importantes de l’histoire des mots.

Lisez trois phrases de n’importe quel texte d’Agrati et vous êtes dedans. En quelques signes, le décor est posé, l’ambiance est en place. Implacables, impressionnants, captivants.

Agrati écrit, parle, analyse, toise, décrit, enchante dans la même foulée syntaxique, lexicale et magistrale. Il nous raconte un monde qui ne peut exister que par son œil et qui, pourtant, est si proche. Rien que ses titres donnent du sens (« Les lois n’avancent pas », « Barbaques poussives », « On touchait du doigt les écoulements », « un éléphant fou furieux », « Les limites de mon royaume »).

Agrati ne ressemble à rien de connu. C’est un génie furieux, proprement inclassable et déconcertant, sorte de gros félin à l’œil vif.

Nous sommes dans une délicieuse outrance fin de siècle, dans un univers dégénératif et poétique. « Je n’aime pas quand tu n’éjacules pas, elle a dit / J’y peux rien, j’ai la tête ailleurs... c’est mes recherches./Elle a secoué la tête d’un air désolé/ Je ne suis plus toute fraîche ».

Un éléphant furieux faussement gauche et bourru dans un monde de porcelaine, voici Jean-Marc Agrati qui se balade dans le monde des faux-semblants.

Même si chaque phrase appelle aussitôt une image mentale, les nouvelles d’Agrati sont intraduisibles dans un autre langage que celui de son écriture propre. Le cinéma en ferait un pâté indigeste qui trahirait son auteur et le théâtre ne trouverait pas le bon ton. Agrati se lit dans la nudité et la simplicité de son texte, dans ce minimalisme taillé aux petits oignons, l’écrivain est un orfèvre du style à la mécanique parfaitement huilée, iconoclaste et précieuse.

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Un éléphant fou furieux, Nouvelles Jean-Marc Agrati (2005), LA DRAGONNE

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