Interview : Alain Delhotal, le Maire qui a dit "Non"

Interview : Alain Delhotal, le Maire qui a dit "Non"

Le maire qui a dit « non » au gouvernement, au nom de la laïcité, s’explique ! Alain Delhotal (Maire de Gauche) de Xirocourt, en Lorraine, et membre du comité directeur de l’association des maires de France), est l’un des seuls maires qui a dit non au gouvernement, suite à la directive de mise en berne des drapeaux pour le décès du pape. Retranscription de l’interview radiophonique, diffusée dans l’émission plutôt deux fois qu’une « Spéciale Laïcité et Tolérance ».

« la parole d’un ministre, n’est pas la loi ! »

Tout d’abord, quelle a été la motivation de votre choix ?

C’est très simple : j’ai demandé au préfet quelle était la motivation du ministre, on m’a répondu que c’était eu égard à la qualité de chef d’Etat du pape... Or, en seize ans de mandat, on ne m’a jamais dit de mettre les drapeaux en berne pour aucun chef d’Etat étranger, donc par conséquent la raison donnée par le ministre n’était pas une bonne raison, il s’agissait bien de mettre les drapeaux en berne pour le pape ès qualité, et donc je considère que la République ne peut pas porter le deuil du pape.

En effet, vous citez quelques exemples de chefs d’Etats amis, pour lesquels il n’y a pas eu de mise en berne de drapeaux...

- Oui parce que le ministre dans les jours qui ont suivis immédiatement a dit : « mais il s’agit d’une tradition, d’une coutume pour les chefs d’états proches de la France » je crois que c’était les paroles du ministre. J’en cite trois ou quatre : - Hassan II, roi du Maroc commandeur des croyants, on peut avoir l’opinion que l’on veut sur le personnage et sur sa politique, il n’empêche que c’était un chef d’Etat très proche de la France, de plus commandeur des croyants ce qui est l’équivalent du pape dans son propre pays...pas de drapeaux en bernes. - Itzhak Rabbin en Israël, pays proche de la France...pas de drapeaux en bernes. Bon je passerais sur Yasser Arafat. Le plus emblématique me semble être -Léopold Sédar Senghor : est-ce qu’il y a un chef d’état étranger plus français que Léopold Sédar Senghor ? Je ne crois pas et l’on n’a pas mis les drapeaux en bernes.

Alors effectivement, j’en reviens à vos motivations. Peut-on dire que les trois critères de la laïcité sont finalement, que la république garantit la liberté de conscience au citoyen, la liberté de culte mais aussi qu’elle n’en reconnaît aucun ? Est-ce que cette définition a motivé votre action ainsi que celle des quelques rares hommes politiques à avoir fait le même choix que vous ?

Oui absolument. D’abord il faut rappeler qu’en Europe, il n’y a que deux pays qui sont constitutionnellement laïcs : la France et le Portugal. Ce n’est pas neutre : ça veut dire que tous les autres pays européens ont des références religieuses ou confessionnelles dans leur constitution, quand leurs chefs d’états ne sont pas en même temps chefs religieux, comme c’est le cas en Angleterre. Le second point, c’est qu’en France on est dans un pays laïc ; cela signifie que c’est la République qui garantit au citoyen de pouvoir pratiquer la religion qu’il veut, de pouvoir n’en pratiquer aucune s’il en a envie, mais ne donne aucune consigne ; bien évidemment il n’y a aucune religion d’Etat, la république ne s’implique pas dans les affaires religieuses qui sont considérées comme des affaires strictement privées.

Alors justement, sur cette règle, à l’heure actuelle on peut s’interroger puisqu’à de nombreuses occasions, ce principe de ne reconnaître aucun culte est transgressé, on peut penser aux drapeaux en berne, mais on peut penser aux financements des rénovations d’églises, on peut penser aussi au statut d’exception de votre région, la Lorraine, où le clergé reçoit des subsides de l’état. Est-ce que finalement la mise en berne des drapeaux, ce n’est pas la face visible de l’iceberg qui cache bien des choses qui sont déjà établies et reconnues ?

Oui vous avez raison, mais là, vous abordez un grand nombre de sujets qui sont différents parce qu’ils ont des origines historiques différentes. Ils ont des explications, on ne peut pas méconnaître le passé et l’histoire. Pour ce qui est, par exemple, de la situation de l’Alsace et de la Lorraine, ce sont les effets du concordat. Maintenant, je suis de ceux qui pensent que, après toutes ces années, il serait de bon ton, pour ne pas dire justice, de revoir le concordat et de remettre un petit peu les choses à plat, mais cela semble extrêmement compliqué.

Pour ce qui est des églises, la loi de 1905, qui est de mon point de vue improprement appelée « loi de séparation des églises et de l’Etat », a certes séparé les églises de l’état, c’est-à-dire la chose religieuse étant de la sphère privée, et la chose politique, étant de la sphère publique. Ceci étant, elle n’a pas séparé les biens, c’est-à-dire que les communes notamment, restent propriétaires des églises, ce qui n’est pas sans poser de nombreux problèmes. Je suis membre de la commission de la dotation globale de fonctionnement de Meurthe et Moselle, et nous avons de gros soucis sur l’avenir d’églises dans certaines communes, parce qu’elles se dégradent et elle ne servent plus beaucoup, et il est de plus en plus difficile d’en justifier l’entretien.

Ce sont des faits historiques, là encore, certains pensent qu’on aurait mieux fait de séparer vraiment les choses, et que l’église assume l’entretien de ses bâtiments.

Justement Mr le maire, je veux en revenir à votre commune : certains administrés croyants, ont-ils eu des réactions négatives ?

Je vais être très franc avec vous. J’ai eu de nombreux messages de soutien (....) Deux de mes administrées, pratiquantes croyantes, militantes catholiques extrêmement actives dans ce milieu là, sont toutes les deux de mon avis, et lorsqu’on a eu d’autres débats sur la laïcité il y a quelques années, dans d’autres domaines, (je pense par exemple au financement public de la statue de la vierge de Sion, auquel je m’étais opposé), elles étaient de mon avis parce que ce sont des personnes qui savent que la laïcité est la meilleure garantie de pouvoir pratiquer sa religion en toute liberté et en toute quiétude.

Alors, ai-je eu des manifestations hostiles ? Oui : j’ai eu une lettre, visiblement émanant d’une catholique « ultra », une lettre anonyme, dont les propos étaient tout à fait éloquents. J’ai eu aussi, quelques messages de critiques, mais les messages étaient signés, et je me suis mis en rapport avec les personnes, on a ensuite discuté. J’ai, à l’issue d’un conseil municipal de vendredi (08 Avril), au cours duquel on a voté le budget, donné la parole au public comme je le fais toujours avec plaisir, et là j’ai eu des manifestations, dont une assez vindicative, mais il s’agissait plutôt de manifestations d’hostilités au maire qui ont enfourché ce motif-là, comme ils en auraient enfourché un autre. Il y avait aussi dans la salle, quelqu’un qui a été choqué, parce que très attaché à la tradition, et dans l’esprit duquel la tradition et la culture française ne peuvent pas êtres dissociés de la tradition chrétienne.

Justement Mr le maire, question suivante, complètement liée à celle-là : que diriez-vous aujourd’hui, en tant que maire, à un jeune musulman qui s’interroge sur la laïcité : les églises reçoivent des aides de l’état et que pour les mosquées, c’est toujours plus difficile, de la même façon pour la religion musulmane, le voile n’est pas acceptée à l’école, mais pourtant on met les drapeaux en bernes à l’école pour la mort du pape ; Donc que diriez-vous à un jeune musulman qui s’interroge quand au principe de laïcité, et quand à la justice de son application concrète ?

Et bien justement, c’est la difficulté à répondre à ce type de question qui a motivé aussi, ma réaction assez vive, assez rapide et assez violente. La République ne peut pas se mettre dans ce type de situation, parce que justement qu’est-ce qu’on va répondre à ces questions ?

Si on accepte que les drapeaux soient en bernes pour le pape, et bien quand le Dalaï Lama, ou autre L’Ayatollah, vont mourir, on va mettre les drapeaux en berne ! On ne peut pas avoir deux poids, deux mesures, et vous avez parfaitement raison d’évoquer le cas d’un musulman.

Maintenant, si j’avais un musulman qui me posait la question par rapport à la laïcité, (on sait bien que l’islam et la laïcité ne font pas forcément bon ménage, pas plus que ne le faisait d’ailleurs les catholiques avec les projets de laïcité, au tout début du siècle passé), je lui dirais d’aller voir en Turquie, qui est un pays à dominance musulmane et aussi un pays laïc, et je connais assez bien ce pays : les citoyens ont vraiment le sens de la laïcité, ils savent vraiment ce que c’est : ils sont laïques. Ils savent qu’il y a d’un côté la religion qui est de la sphère privée et qui est évidemment majoritaire dans ce pays, et de l’autre côté la politique et sont deux choses fondamentalement différentes qui ont été instaurées par Mustapha Kemal au début du siècle dernier.

Mr le maire, en l’occurrence, vous mentionnez clairement la différence entre l’homme politique et l’engagement religieux.
Mr Raffarin a rendu un hommage extrêmement élogieux au défunt pape dans « La Croix » ; Selon votre interprétation de la laïcité, existe-t-il un devoir de réserve des ministres en fonction, ou des hommes au service de l’état en général ?

Alors oui, je pense qu’il y a un devoir de réserve mais je suis très clair : le premier ministre est un homme comme tout le monde, il a des croyances, il a des convictions, ça ne me choque pas du tout qu’il les exprime dans un journal comme « La Croix », je trouve cela au contraire, plutôt intellectuellement honnête, parce que dans ma commune j’ai toujours dit aux gens ce que je votais et ce que je pensais, (là pour la constitution je vais bientôt leur écrire pour leur dire ce que j’en pense).

En effet, je pense qu’un élu doit dire aux électeurs ce qu’il a dans le ventre et ce qu’il a dans la tête, ensuite c’est à eux de faire le tri. Si Mr Raffarin venait à la télévision publique notamment, s’exprimer dans le même sens, j’en serais extrêmement choqué, mais qu’il exprime son opinion probablement de croyant dans un journal catholique, cela ne me choque pas, comme cela ne me choque pas que Mr et Mme Chirac se rendent à la messe. Mais ce qui choque beaucoup par contre, c’est que Mr de Villepin demande aux préfets de s’y rendre en uniforme, cela est profondément choquant et ce n’est pas acceptable !

Et alors justement, cette demande a fait beaucoup de bruit et que les autorités françaises ont expliqué par ce qui a déjà été fait dans le passé. Par contre la demande aux préfets de se rendre aux offices funéraires en la mémoire du pape, n’est-ce pas finalement ce qui pose le plus question ?

Ça en surajoute ... Dimanche, quand j’ai reçu le message, je voulais encore croire à une bavure, à un cafouillage du gouvernement Raffarin. Dimanche on a reçu le message pour mettre les drapeaux en bernes, mardi le ministre demandait aux préfets d’assister aux messes et mercredi il nous demandait de nouveau de mettre les drapeaux en bernes pour le jour de l’enterrement. Donc il était clair que ce n’était pas un cafouillage, c’était une stratégie délibérée. Je crois que cette stratégie n’est pas à dissocier du débat actuel sur la constitution européenne, sur laquelle le pape a pesé très fort, par l’intermédiaire de Mr Giscard D’Estaing, pour y faire apparaître les notions chrétiennes qui fort heureusement n’ont pas été retenues.

Tout cela est un ensemble et je crois que ce n’est pas non plus à dissocier du spectre qu’on nous brandit, de l’entrée de la Turquie (dans la communauté européenne), de la peur de l’islam ... Je crois qu’il y a une volonté délibéré, qu’il y a une stratégie. De plus, Il se trouve que le gouvernement se trouve constitué de gens qui sont plutôt de cette mouvance chrétienne, et il n’a pas fallu beaucoup les pousser pour qu’ils transgressent quelque chose qui du point de vue de la république, est sacré. Ces deux choses sont extrêmement choquantes, les drapeaux en bernes et les préfets à la messe en uniformes, ça c’est vraiment choquant !

Une question plus générale, sur l’homme politique et ses croyances. Un certain nombre d’intellectuels considèrent qu’un homme politique doit mettre de côté sa religion et/ou sa philosophie, lorsqu’il entre dans sa fonction, lorsqu’il entre dans le lieu où il exerce sa fonction, que ce soit de juge ou de maire.

Est-ce ce que vous mettez une frontière entre cette philosophie personnelle, qu’elle soit athée ou religieuse, et la fonction d’état, la fonction représentative des citoyens, telle un maire par exemple ?

Ecoutez, c’est de l’hypocrisie de dire cela ! Comment voulez-vous qu’un être humain rentre dans un bureau et mette de coté sa pensée profonde ? Ce n’est pas possible, et en plus ce serait malhonnête, par rapport à sa pensée profonde. Prenons l’exemple d’un chrétien, je suppose qu’il exerce son mandat en fonction des préceptes de la religion qu’il observe. Etre en concordance avec ses idées, ça me parait plutôt honnête. Par contre, le devoir absolu d’un maire, c’est considérer toute personne qui entre dans son bureau sur un pied d’égalité. C’est fondamental ! Que l’administré soit musulman, juif ou catholique, noir ou blanc, qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas, qu’on ait eu avec lui des problèmes ou pas, on doit considérer les gens sur un pied d’égalité (et il sait très bien, quand il a à faire à un maire qui pratique de cette manière là ou pas !). Maintenant, cela rejoint un tout petit peu la question précédente : je ne suis pas choqué que les maires disent ce qu’ils pensent, y compris sur le plan religieux.

Finalement c’est plutôt une preuve de transparence pour vous ?

Ah oui, oui je le pense. Et je vous dis, je pense que c’est hypocrite de faire croire aux gens...

Qu’on peut mettre de côté ses croyances.
Mais alors justement, il peut arriver aussi qu’il y ait des conflits d’intérêts entre le principe laïc et les différentes lois existantes en vigueur d’une part, et certains principes religieux ? Et c’est là, que peuvent se poser des questions de conscience délicates pour un élu ou un homme de fonction publique.

Et c’est pour la raison pour laquelle on est dans une démocratie dans laquelle sont élus des députés et un parlement qui fait ses lois ; Je rappelle que dans cette affaire de drapeaux, je n’ai pas transgressé la loi, j’ai refusé d’appliquer les directives d’un ministre, or que je sache, la parole d’un ministre ce n’est pas la loi ! C’est tout ce qui fait la différence justement. Dans une démocratie, les lois sont discutées par des gens qui sont de droite, de gauche, et qui sont de toutes confession, et il en ressort quelque chose qui est consensuel.

Pour la mort de Rainier, très proche de celle du pape, avez-vous eu des consignes de mises en bernes des drapeaux pour ce décès ?

- Je suis plus surpris parce que, au téléphone, la préfecture que j’avais interrogé, m’a dit qu’il fallait mettre les drapeaux en berne, mais je n’ai pas eu de note.

En revanche pour le décès du pape vous aviez reçu une consigne.

Pour le décès du pape, on a non seulement reçu une consigne, mais on a été averti par la procédure d’urgence, qui est réservée aux catastrophes naturelles (je suis maire d’une commune qui subit des inondations très régulièrement, et qui dispose évidemment d’une procédure d’alerte), et le préfet a utilisé la procédure d’alerte pour le pape.

Et pour Rainier rien ?

Et alors pour Rainier rien. J’avais un peu l’impression que le gouvernement ne voulait pas trop faire dans le ridicule, quand même parce que, le prince de Monaco, il y a quand même beaucoup à dire...

Je vous remercie beaucoup monsieur le maire et de cette explication de votre choix. Une dernière question , puisque vous êtes également membre de l’association des maires de France ; Que ressort-il de cette question, au niveau de vos collègues ?

Vous savez je suis membre du comité directeur de l’association des maires de France depuis 1992, alors je peux vous dire que l’association des maires de France est très très largement majoritaire à droite, très largement dominée par ce que l’on appelait jadis le RPR, et bien évidemment j’ai bien l’intention de faire une intervention, mais je doute fort que le comité directeur se réunisse en cette période et que cette question soit mise à l’ordre du jour.

Ecoutez cette interview sur le site de l’émission "Plutôt 2 fois qu’1 !
Remerciements à Mr Roland Schlachter.

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