Une année 2002 sous prozac

Une année 2002 sous prozac

Vivement 2003 ! Qu’on oublie d’autant plus vite 2002, à commencer par cette sinistre pantalonnade du 21 Avril, intervenue après une campagne présidentielle des plus affligeantes où la France a montré son plus médiocre reflet, se refermant sur ses peurs, ses craintes, asphyxiée par le thème de l’insécurité et du communautarisme rampant. Effaçons de notre mémoire ce piètre duel du second tour opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen.

"L’escroc" contre le "facho" comme ils disaient, les imbéciles. Est-il franchement utile de revenir sur ces quinze jours où nous aurons avalé toutes les couleuvres, de l’ostracisme médiatique du Front National à la posture indigne du candidat auto-proclamé de la République en danger, avec des personnages tels que Charles Millon et Jacques Blanc à ses côtés, alors que ces derniers n’ont pas hésité à fricoter avec l’extrême-droite pour garder le contrôle de leur pré-carré régional, conquis à la force de leur opportunisme ? Faut-il se remémorer les divisions lamentables de la gauche, du discours crypto-lepéniste de Chevènement sur nombre de sujets jusqu’aux soubresauts immatures des Verts qui n’ont toujours pas compris que politique se conjuguer avec responsabilité ?

Doit-on se souvenir de la campagne navrante d’un Lionel Jospin fantomatique qui aura pourtant prouvé sa compétence (à défaut d’autre chose) à gouverner notre pays pendant 5 ans, obsédé qu’il était d’affronter celui avec qui il avait dû cohabiter ? A-t-on l’obligation de s’embarrasser avec l’extrême gauche, certes parfois utile dans la rue mais qui s’est enfoncée encore un peu plus dans ses rêves sectaires et populistes d’une France cadenassée par le mythe d’une révolution prolétarienne ? A toutes ces questions, vous devinez ma réponse...
Alors, bien sûr, il ne serait pas convenable de ne point signaler le sursaut civique qui a amené nombre de citoyens à manifester entre le 21 Avril et le 5 Mai pour exprimer leur rejet des idées du Front mais à l’arrivée, qu’est-ce que cela a donné ? Chirac triomphalement réélu avec plus de 82% des voix. Quel succès ! Ensuite, le souffle est vite retombé.
Quant à ceux qui nous ont ordonnés comment voter pour "le sauveur de la France" (sic), qui nous ont aspergés d’analyses plus ou moins vaseuses, qui ont fait leur mea-culpa sur le tard, des guignols aux doigts gantés aux rédacteurs en chef des journaux télévisés, s’il vous plait, encore plus que les abstentionnistes du premier tour, ayez maintenant la décence de la mettre en veilleuse. Merci.
Et après, me direz-vous ? Après, la droite dans toute sa splendeur avec un satisfecit particulier pour Sarkozy.

L’homme est malin, alternant fermeté et pseudo-humanité. De beaux discours s’enchainant sur fond de penchants droitiers. Les grands dossiers comme la retraite et l’emploi restent à traiter, la gouvernance Raffarin est en devenir mais malgré quelques couacs, plus ou moins déprimants, plus ou moins amusants, le plan media est passé. Nous sommes heureux de l’apprendre, d’autant que notre bien-aimé président place tous ses lieutenants, de la basse à la haute administration et se paye en cette fin d’année, des vacances de luxe au Maroc. Enfin, tant que ce n’est pas avec l’argent des fonds secrets, on ne va quand même pas raler.
Quant à la gauche, sonnée depuis cette défaite cuisante, cette gauche nous ayant si injustement privés de notre colère, il suffit de contempler le spectacle qu’elle offre aujourd’hui. Contempler et se taire en roulant des yeux.

Sur le plan international, on préfère également ne plus entendre parler de 2002. L’Afrique continue à se déchirer en de nombreux points chauds sous le regard hypocritement compatissant de l’Occident, Israël s’est mué un peu plus dans l’enlisement guerrier alors que l’intégrisme islamiste menace de ses relents haineux en plaçant ses petits soldats fanatiques prêts à se faire exploser à chaque coin de la planète pour rejoindre un paradis qui se confond avec les antres de l’enfer. La religion prêchant l’intolérance, des malades d’Allah aux fondamentalistes chrétiens en passant par nos cousins juifs ultra-orthodoxes, c’est Dieu qui a la gueule salement amochée et qui nous afflige de ses pires maux sur terre.
Rassurons-nous, la lutte contre le terrorisme rétablit l’équité. Poutine en Tchétchénie, Sharon dans les territoires occupés, ont bien compris la leçon, avec l’approbation bienveillante des Etats-Unis et la passivité confuse de nos dirigeants européens, perdus en plein maelström turc. Au moins, le passage à l’euro, au contraire des prévisions apocalyptiques de nos souverainistes passéistes, se sera-t-il bien déroulé.
Mais ce qui agite le malaise depuis le mois de septembre, c’est ce conflit salement annoncé contre l’Irak.
Obsédé par la figure de Saddam Hussein, poussé par les membres les plus conservateurs de son cabinet et le lobby pétrolier américain, le petit Bush, soutenu par l’agaçant Blair, nous fait part quasiment tous les jours de son envie de remplacer le régime irakien (certes exécrable mais ce n’est pas le seul) par des serviteurs fantoches qui sauraient, au moins, stabiliser les intérêts américains dans la région, en mettant en aparté la monarchie des Saoud. D’une pierre, deux coups, formidable, non ? Pendant ce temps, la Corée du Nord, dernier vestige du stalinisme au monde, réactive son programme nucléaire sous l’oeil embarrassé de Washington qui ne promet sur le dossier que quelques sanctions économiques. Deux poids, deux mesures, formidable,... non ?

2002 et sa route jonchée de victimes ont laissé les intellectuels si perplexes que beaucoup se sont perdus dans des débats tronqués où la pensée aura parfois été délestée au privilège d’un mode de réflexion ne dépassant guère les préjugés personnels.

Oui, tourner la page mais finalement, je me rétracte.
Ne pas oublier la portée de ces événements au risque de vivre une année 2003 surpassant la précédente dans sa médiocrité et ses multiples atrocités...