Interview : Romain Humeau

Interview : Romain Humeau

Romain Humeau est une nature. De la même manière que l’on pouvait le dire en qualifiant certains acteurs qui prenaient la lumière comme Lino Ventura ou Jean Gabin, Humeau a du chien et ne se lasse pas d’aboyer. Lui c’est donc dans la musique qu’il sème à tous vents ses colères, ses contradictions et son appétit de la vie. Voix tourmentée d’Eiffel, ce garçon se permet pendant l’année sabbatique offerte à tous les membre du groupe de sortir un album solo et d’enchaîner sur une tournée.

Quel est le motif acceptable pour figer l’éternité de l’instant comme le dit le titre de ton album ?

Romain Humeau : « Je ne prétends pas fixer le temps pour quoi que ce soit. La relation du laps de temps peut aussi bien être considérée comme une éternité ou un moment éphémère. Il doit y avoir plusieurs motifs acceptables comme l’amour qui reste quelque chose d’essentiel pour donner un sens à sa vie et garder une certaine énergie. »

Se retrouver avec la beauté du diable, en solo, c’est révélateur d’une émancipation obligatoire ?

Romain Humeau : « Non. La beauté du diable est un morceau que j’aurais pu jouer avec Eiffel. J’utilise un langage plus sensuel, voir plus amoureux ou érotique sur ce disque là. S’il doit y avoir un engagement personnel il se situerait plus dans la proximité. Ce sont des chansons d’attraction - répulsion, de bien et mal. Dans la société qui est très manichéenne il faut choisir entre le 0 et le 1 de façon binaire et j’ai l’impression que l’être humain ne se retrouve pas dans ce choix, c’est ce qui fait toute sa beauté et sa fragilité. »

Est-ce le choix d’une positive attitude douce qui t’a fait composer de cette manière ?

Romain Humeau : « (rire) Non je ne m’appelle pas encore Raffarin-Lorie ! Je trouve quand même qu’il y a beaucoup de choses noires d’écrites sur cet album. Je ne pourrais pas jouer au con-con beni oui-oui, il faut parfois s’engager dans certains tunnels pour envisager les choses de manière positive. »

Vous vous étiez donné une année sabbatique toi et l’ensemble du groupe et plutôt que de glander : hop monsieur décide d’enregistrer un album solo ?

Romain Humeau : « Cela faisait 7 ans qu’avec Eiffel nous étions à fond, à un certain moment nous avons senti le besoin pour continuer ensemble de faire une pause. Franchement ce n’est pas réfléchi à outrance, je ne me lance pas dans une carrière perso avec des plans sur la comète. Dans cette pause j’ai décidé d’y aller cool et de prendre du plaisir, il était hors de question de ne pas enregistrer pendant cette période, comme j’écris tout le temps cela aurait été frustrant de me restreindre. Par contre j’ai voulu le faire sérieusement avec des amis en y mettant tout mon cœur. C’était un petit oasis au milieu de la folie Eiffel. »

L’album expérimente de nouvelles voies, c’était plus facile de le faire seul qu’accompagné ?

Romain Humeau : « Il y a quelque chose de plus facile c’est de pouvoir changer d’instrumentation à tout moment. La différence de ton qui est palpable sur ce disque tu ne peux pas l’envisager avec un groupe de rock car tu as une instrumentation qui est figée, sans possibilité de sortir du carcan. Ce n’est juste pas la même manière d’être libre. »
Sixteen Horsepower a joué un rôle déterminant dans ton nouveau projet ?

Romain Humeau : « Même si je sais que cela ne s’entend pas plus que ça sur mon disque j’étais vachement dans ce groupe au moment d’enregistrer. »

Tu aimes toujours autant les guitares mais l’électricité fait place à quelques moments acoustiques où le violon et le calme remplacent la batterie et la fureur comme sur le titre « Toi » ?

Romain Humeau : « Je n’ai pas que de la fureur et de l’agressivité à refourguer (rire). J’en ai mais pas que ça ! « Toi » était une chanson pour Jane Birkin à la base. Malheureusement le mec, assez connu, qui devait faire le duo avec elle n’en a pas voulu alors je l’ai repris à mon compte en continuant de la chanter au féminin. Cette chanson m’a servi pour mettre ma pudeur à la poubelle. »

Tu fais appel à quelques moments de programmation ?

Romain Humeau : « Pour moi les machines sont synonymes de discipline. Pour contrebalancer le coté vindicatif j’ai trouvé pas mal d’employer des machines tout en gardant en parallèle quelque chose de très vivant comme le sextuor qui est l’antithèse les instruments électroniques. »

Quand je lis les paroles de « Je m’en irai toujours » je me dis qu’elles ne pouvaient être assumées que par l’auteur et non par un groupe ?

Romain Humeau : « Inconsciemment j’ai du mettre plus de moi-même sur cet album, il est un peu plus risqué, plus nu que ceux d’Eiffel, mais en même temps les « je » dans mes chansons c’est souvent un jeu naturel. »

Tu mets souvent en relation l’amour et la mort ?

Romain Humeau : « Je doute de tout ce que je peux dire mais j’ai l’impression, que l’on soit croyant ou non, que la mort reste un soucis pour l’être humain. La différence entre l’homme et l’animal c’est qu’il a conscience de sa fin. Je n’ai pas peur de la mort, ni de crever, par contre j’aurais peur du vide et du manque d’amour. Il y a cette impression d’infinie solitude qui existe en chacun d’entre nous et la passion est là pour combler ce vide. »

Le chanteur doit-il être un symbole christique, car tu fais souvent référence au sacrifice ?

Romain Humeau : « Je ne crois pas en dieu mais cela me fait marrer à 33 ans de mettre 13 morceaux sur l’album... c’était potache. Je trouve que notre société est bien trop éprise de religion judéo-chrétienne avec la culpabilité qui plombe tous nos actes. J’aime aussi beaucoup l’idée du blasphème. »

Es-tu un combattant moderne de la tiédeur ?

Romain Humeau : « En France on est toujours dans la demi-mesure. Je déteste ça. Je préfère me faire défoncer dans une chronique où quelqu’un dira qu’il déteste ce que je fais plutôt que de rester dans le fade.... Même si je préfère être adoré. (rire) »
« L’éternité de l’instant » la chanson qui donne le titre à l’album, tu l’as écrite d’une seule traite après un concert, cette fulgurance est accompagnée de 6 mois de travail et plus de 2 heures d’enregistrement ?

Romain Humeau : « Il n’y a pas 6 mois de travail, j’ai du mettre 3 mois à le composer... j’y suis allé tranquille, j’ai fait des breaks ce qui fait qu’à la fin tu as effectivement presque une demi-année pour pouvoir sortir le disque. Par contre c’était l’enfer de devoir choisir 13 titres, c’est pour cette raison là qu’il y a une ghost track... c’est aussi pour contrer le copy-control : quand tu mets une chanson au bout de 70 minutes tu ne peux pas installer ce procédé. »

Dans ton journal disponible sur ton site internet tu prends position contre le dispositif anti-copie ?

Romain Humeau : « Je n’ai pas toutes les solutions. C’est très difficile de savoir pourquoi tu te bats mais à la base les raisons qui font que les disques se vendent moins c’est qu’ils sont trop chers car ils ne sont pas considérés comme un produit culturel. Malheureusement les artistes qui tombent suite aux téléchargements intempestifs ce ne sont pas les gros artistes mais les petits. Donc je suis pour le téléchargement car cela permet de découvrir la musique mais contre car au bout d’un moment tu ne pourras avoir sur le marché que des grosses merdes. »

Tu dis aussi que finalement faire du rock c’est commercial même quand on ne le souhaite pas ?

Romain Humeau : « Je n’ai pas de problème avec le commerce. Ce qui me dérange c’est lorsqu’il est suivi de « A Outrance ». J’essaye de refourguer mes disques pour que je puisse continuer à vivre de ma musique jusqu’à 80 balais. Je ne cherche pas à cartonner... ça ne me pose aucun soucis de gagner mes 8000 francs par mois. Par contre, je suis dépité par les échanges commerciaux entre les maisons de disques et les médias. En gros c’est l’artiste qui a le plus de thune qui peut acheter des espaces commerciaux afin de se montrer.. on part sur un Big-Brother musical désolant. Dans ce discours je ne cherche pas à devenir le patron du MEDEF rock, je souhaite juste poursuivre tranquillement ma route en toute liberté. Je ne suis pas le seul en colère, il suffit de demander à Murat ou Yann Tiersen... »

Tu avais, au temps de la tournée du « ¼ d’heure des ahuris », mélangé des dates de concerts très rock puis passé à des sets acoustiques avec des cordes. Pour ton propre album comptes tu faire de même ?

Romain Humeau : « Je débute la tournée d’une manière très rock mais s’il se passe quelque chose de nouveau ce ne sera pas avec des cordes mais d’autres instruments, on peut imaginer d’autres trucs : j’aimerais me retrouver en concert avec une pianiste et moi à la voix... ou encore avec un DJ ou un gars à la scie musicale, bref : changer d’atmosphère. »

Tu aimes beaucoup te retrouver là où personne ne t’attend ?

Romain Humeau : « Oui. C’est ma dualité. Mon bordel permanent. Ca me dessert aussi. Je sais très bien qu’il y a des gens qui me prennent pour un bourrin, un punk qui fait du bruit, tandis que d’autres pensent que ce que je fais c’est plutôt un sport de lettré... Personnellement j’aime bien quelque chose de charnel qui fait du bruit mais aussi de moments plus poétiques, la chose instinctive d’un coté et réfléchie de l’autre. »

Contrairement à d’autres groupes, tu t’éloignes, tu mets tes distances avec la descendance et la place à prendre depuis que Noir-Désir est en stand-by ?

Romain Humeau : « La pause avec Eiffel a été salutaire suite à ce qui s’est passé. On ne veut absolument pas faire partie de ce merdier de relève. Par contre j’assume tout à fait l’influence Noir-Dés’ comme Bowie, Pixies ou Brel et Gainsbourg. »

Qu’en est-il de ton projet sur Boris Vian, c’est quelque chose qui te tient à cœur depuis longtemps ?

Romain Humeau : « J’aimerais que cela se fasse sans être forcément le seul. J’aimerais réunir des gens pour que l’on fasse un album qui mettrait en musique des textes de cet auteur qui n’ont jamais encore été mis en musique à l’heure actuelle. »

Je sais aussi que tu prépares déjà ton second album solo que tu enregistrerais en 1 semaine, c’est pour aller plus vite que Jean-Louis Murat ?

Romain Humeau : « Juste faire un album guitare-voix plus peut être un piano et le balancer sur le net. »

As-tu des projets également avec le KO Social dont tu es un membre actif ?

Romain Humeau : « On va essayer de monter un concert avec des artistes connus et inconnus qui auront tous 20 minutes quel que soit leur notoriété, entrecoupées de porte-paroles d’associations qui pourront exposer leurs revendications sans que cela soit des pamphlets débiles du genre « Sarco salaud ». »

Penses-tu que retourner avec Eiffel maintenant que tu as goûté à la liberté ce sera aisé ?

Romain Humeau : « Je n’ai pas plus ni moins de liberté, ce sont deux libertés différentes. J’ai très envie de retourner avec le groupe en studio, j’ai aussi envie de poursuivre ma carrière solo, bref j’ai envie de plein de choses. »