Interview : Sandrine Kiberlain

Interview : Sandrine Kiberlain

Sandrine Kiberlain n’a besoin de personne pour rire de son état de chanteuse. Rien que dans le titre : « Manquerait plus que ça... » tout est dit. Ce serait donc un énième album d’actrice voulant marquer la postérité du banal dans une production sans intérêts ? Eh bien non, c’est au contraire d’un duo Obispo-Adjani (on redoute le pire) un très bel opus de variété où la Souchon family associée aux textes légers de Kiberlain fait merveille. Sachant s’entourer de bons professionnels, « la Godiche » (ce sont ses propres termes) marque un début de carrière musicale qui, on l’espère, prendra le même chemin que ses belles prestations de comédienne.

Je présume que je ne suis pas le premier à vous le dire mais vous avez vraiment un beau filet de voix ?

Sandrine Kiberlain : « C’est très gentil. Merci beaucoup. »

Vous chantez depuis longtemps ?

Sandrine Kiberlain : « Depuis longtemps oui mais dans le but de faire un album non. Là il faut se concentrer un peu. »

Vous vous étiez entraînée à écrire des chansons sur l’album de Camille Bazbaz, est-ce à ce moment là que vous avez voulu pousser le bouchon plus loin ?

Sandrine Kiberlain : « En fait le premier texte que j’ai écrit c’était pour Johnny Hallyday. Il fut mon détonateur. Quand il a accepté de chanter mes mots cela m’a donné une belle et grande confiance en moi car ce n’était pas couru d’avance que cela devienne une chanson, à partir de ce moment je me suis dis que j’avais peut être la possibilité de faire ça pour moi aussi. C’était un crédit dans mon écriture... »

Qu’est-ce qui fait qu’on passe de chanter sous sa douche à rentrer dans un studio : du courage, de l’inconscience ou de l’envie ?

Sandrine Kiberlain : « Je dirais les trois (rires). De l’inconscience au départ qui s’évanouit très vite car il faut savoir maîtriser les choses, ne pas se planter. Sur l’envie et le courage je dois dire oui aussi car j’ai une très belle place d’actrice qui me va très bien et tout d’un coup avec ce désir obsessionnel de chanter j’ai du mettre de côté ce qui est de l’ordre du cinéma. Ce n’est pas parce que j’étais blasée de mon métier mais plutôt car je tenais absolument à m’immerger à fond dans ce nouveau projet. C’est l’envie qui pousse tout, qui fait que cela devienne indispensable voir vital de faire ça. »

Etait-ce un rêve de petite fille ?

Sandrine Kiberlain : « Sûrement, maintenant les rêves j’ai tendance à les oublier. Mais comment dire : je pense que toutes les filles ont un jour souhaité chanter, d’être Françoise Hardy ou une chanteuse qu’on aime. Avec le temps qui passe on oublie ce désir car cela paraît très inaccessible, trop loin de son univers. Pour ma part je n’étais pas musicienne, mes parents écoutaient beaucoup de musique mais cela me paraissait plus évident de devenir actrice que de devenir chanteuse. En l’occurrence c’était peut être mon rêve le plus fou de chanter. »

Ce rêve devenu réalité a t’il fait de vous une femme encore plus épanouie ?

Sandrine Kiberlain : « Oui. Tous les matins en me levant je me dis que c’est génial d’avoir pu toucher à cet univers si désiré. »

Quel a été le cahier des charges pour que vous disiez « banco » au projet ?

Sandrine Kiberlain : « Cela s’est fait au fur et à mesure. En fonction des rencontres. C’est comme un puzzle qui s’imbrique correctement : vous écrivez vos textes, vous rencontrez Camille Bazbaz sur un film et sa musique vous correspond bien, après en rêvant d’Alain Souchon vous lui envoyez un texte sans trop y croire et soudain il vous répond pourquoi pas... Les choses se font naturellement au point de se dire qu’on a bien fait d’y penser sérieusement. Tout devient très précis et très présent. C’est un truc très bizarre un disque pour une actrice. »

Vous évitez pourtant l’écueil de l’actrice qui chante en vous plongeant entièrement dans le rôle de chanteuse ?

Sandrine Kiberlain : « Je ne me suis plongée dans aucun personnage si ce n’est dans moi même. C’était justement ça l’histoire, pour une fois je me cachais dans le rien. J’avais envie d’abandonner l’actrice en écrivant mes textes et en étant moi même la patronne de l’histoire, celle par qui tout arrive plutôt que celle qui se fond dans l’univers de quelqu’un d’autre et qui suit le mouvement. »

Avec le risque d’être seule face aux autres ?

Sandrine Kiberlain : « oui c’est beaucoup plus risqué, je suis moins protégée voir pas du tout. Plus de costume, c’est moi en face de moi plus les gens que j’ai choisi qui sont là quand même pour me cuirasser. C’était une volonté de ma part de me mettre à nue de cette manière et de cesser de me cacher derrière des rôles. S’exposer différemment. »

L’album est plutôt acoustique, vous avez une culture variété plus que rock n’roll ?

Sandrine Kiberlain : « Vous avez raison, ma culture est plus tournée vers les chansons françaises à textes effectivement. Je souhaitais que ce soit un disque acoustique mais musical avec des instruments insolites comme le xylophone ou le buzuki. Je voulais qu’il y ait des sons et que ce ne soit pas que guitare-voix...

Qu’est-ce que cela fait quand on sait qu’un artiste qui a fait la chanson préférée des français de ces 20 dernières années se greffe au projet ?

Sandrine Kiberlain : « Je pense juste que c’est quelqu’un dont j’aime vraiment l’univers, cela me gênait presque qu’il soit si connu car je ne voulais pas être portée par quelqu’un, mais je ne pouvais pas faire sans Alain car j’aime sa façon de dire des choses graves ou profondes avec une simplicité désarmante. C’était assez inespéré sincèrement... j’ai conscience de ma chance. »

Bizarrement votre vocabulaire est très proche du sien, pour coller au mieux à sa musique. Avez vous cherchée à modifier vos paroles ou alors tout était il déjà fait d’avance ?

Sandrine Kiberlain : « Il a respecté à la virgule près tout ce que je lui donnais. Mais je n’ai pas été vers lui par hasard. On devait avoir des points communs. Je crois que nous avions des affinités sans se connaître. Sa façon de s’exprimer, d’avoir de la distance par rapport aux choses graves ou envers soi-même me correspondait bien. Après quand j’ai su qu’il allait en écrire plus d’une, j’écrivais dans le sens de ce que j’avais déjà écouté de leurs musiques à Alain et Pierre Souchon. »

Vous cherchiez aussi à donner un ton musical où l’on entrechoquerait les cultures arabisantes et d’Europe de l’Est ?

Sandrine Kiberlain : « Je voulais surtout mettre des musiques de l’Europe de l’Est car cela fait partie de ma vie et de ce que j’ai entendu petite. J’aime l’émotion extrême de ces musiques avec ce côté dansant. J’avais dans la tête des instruments, des rythmes de cet ordre-là sans que cela tourne à se dire que je voulais faire un disque qui ressemblerait au "Temps des Gitans". (rire) »

Pourquoi chanter a t’il un effet placebo sur vous ?

Sandrine Kiberlain : « C’est libérateur ! Il n’y a pas d’équivalent à chanter. Cela vous ouvre. »

Dans votre nouvelle carrière, dans votre façon d’aborder la musique, vous prenez beaucoup de recul pour tirer à boulet rouge sur votre statut de chanteuse ?

Sandrine Kiberlain : « Il y a un côté deuxième degré. J’ai voulu amorcer le truc avant que l’on me tombe dessus. J’avais conscience que l’actrice qui chante ça prête à discussion voir à suspicion. Je voulais essayer de désamorcer le processus afin de prendre les choses de façon légère. »

Vous terminez l’album par une reprise et quelle reprise « Girl » des Beatles, vous n’aviez à ce moment plus peur d’oser vous affronter à des monstres sacrés ?

Sandrine Kiberlain : « Je n’ai pas pensé au coté sacré de la chose, j’ai juste voulu me faire plaisir. Pour moi la musique est universelle. Des gens m’ont traité de dingue parce que je m’attaquais aux Beatles mais pour moi on a le droit de tout chanter : en studio ou dans la rue, amoureux ou désespéré : il n’y a pas de lois... »

Vous avez apparemment toujours rempli des cahiers d’écriture, pensez-vous passer au format long avec un roman ?

Sandrine Kiberlain : « J’ai moins le temps d’écrire. Curieusement depuis que le disque est fait c’est encore plus dur. Depuis toujours c’est quelque chose qui m’a fait du bien mais je suis incapable de m’étendre pour passer à la forme romancée. J’aime beaucoup l’exercice de la chanson, d’aller à l’essentiel. »

Est-ce que c’est l’amour qui motive la chanson ou simplement un moyen d’enrichir son quotidien ?

Sandrine Kiberlain : « Pour moi c’est l’amour qui est l’origine de tout ! Cela nous inspire l’envie, les chansons, cela nous fait vivre. C’est tellement mystérieux. »

Est-ce que votre homme est fier de sa godiche pour le travail fourni sur cet album ?

Sandrine Kiberlain : « Oui. Les proches s’y retrouvent et m’y retrouvent surtout. »

Si maintenant à l’évidence je vous confirme que vous êtes une bonne chanteuse, me croyez-vous ou restez-vous dans le doute ?

Sandrine Kiberlain : « Si vous me le dites je ne demande qu’à vous croire (rire). »

Pensez-vous que nous aurons le plaisir de vous voir sur scène ?

Sandrine Kiberlain : « J’espère bien. J’aimerais vraiment. Chaque chose en son temps mais en tout cas c’est le but de l’affaire. »

« Manquait plus qu’ça... » (Virgin - EMI).

« Manquait plus qu’ça... » (Virgin - EMI).