Interview : Kent

Interview : Kent

Kent Cokenstock nous offre un « Bienvenue au Club » somptueux qui annonce une entrée libre et gratuite dans sa petite communauté fermée mais toujours ouverte à qui sait l’entendre si bien chanter les vrais gens. C’est même dans un certain retour au source qu’il puise un second souffle. Délaissant pour l’instant l’électronique et l’acoustique, c’est par un miaulement de contentement de Télécaster qu’il revient sur le devant des scènes. Jamais moralisateur mais toujours près du cœur, cet homme hadock justifie les moyens par la faim de rester au plus proche de nos attentes, de nos envies et de nos angoisses. Espoir quand tu nous tiens vivant, Kent brave le Nord en ma compagnie pour un instant.

Le ballon que tu tiens fermement sur la pochette regroupe t’il tous tes rêves d’enfant que tu ne veux pas lâcher ?

Kent : « Tu peux voir ça c’est une bonne idée ; c’est une pochette ouverte aux interprétations. Je ne sais pas moi même s’il y a un message dessus (rire). J’ai fait plein de dessins ces derniers temps avec des personnages qui ont des ballons à la place de têtes, j’ai trouvé ça marrant de l’utiliser pour mon nouvel album. »

C’est donc Laurent Voulzy qui est à l’origine de ce nouvel album ?

Kent : « Oui d’une certaine manière. Il m’a balancé un jour l’idée que l’on pourrait écrire une chanson ensemble. Cela m’a tellement séduit qu’en partant de chez lui je me suis dit que je pourrais faire d’autres chansons avec d’autres artistes. »

Peux tu me définir les 4 énergumènes qui t’ont suivi sur ce nouvel album c’est à dire les « Playback Boys » ?

Kent : « Je les ai recrutés grâce au studio dans lequel j’ai enregistré la majeure partie de l’album c’est à dire le studio ‘Juno’ que je connaissais plutôt bien car j’avais déjà enregistré « Métropolitain » et j’avais fait des re-recording de l’album précédent. C’est un petit endroit où je me sens bien, j’aime bien y être. Je tenais à faire le prochain disque là car il y a un matériel qu’on dit « vintage » dans le sens où l’on enregistre en analogique sur de vieux amplis pour les guitares. Pour que ce soit encore mieux je souhaitais des musiciens qui jouent dans cet état d’esprit. La personne qui tient le lieu m’a trouvé exactement les loustics qu’il me fallait. Il me les a présenté et ils sont devenus les Playback-Boys. »

Tu parles de difficultés à réinventer une fraîcheur, tu avais l’impression que personnellement tu avais fais le tour du disque ?

Kent : « C’est difficile de se renouveler mais ce n’est pas une question d’être seul ou pas, (c’est d’ailleurs pour ça que les groupes se séparent à un moment donné) il faut plutôt toujours que ce soit un angle nouveau pour pouvoir continuer sans que ce soit artificiel. Toute la gymnastique est là. Quand je finis un disque je ne sais pas du tout ce qui va se passer, s’il y aura un suivant. J’évite d’ailleurs de me poser la question. Après c’est une affaire d’impulsion, de surprises. Ce qui m’a motivé pour ce nouveau projet c’est que le rock m’intéresse à nouveau sinon je serais encore en train de me demander ce que je vais faire aujourd’hui. »

Ce retour plus « rock » c’était une envie de bruit pour dénoncer des choses ?
Kent : « Pas spécialement une envie de bruit c’est plus... écoute... je ne sais pas ! (rire) je me suis juste fait avoir par le virus en fréquentant de nouveaux des concerts plus électriques qui m’ont excité alors que je ne pensais pas que cela puisse m’arriver à nouveau. Mais c’est juste de dire que les thèmes que je tenais à dire étaient mieux porté par l’électricité que par les formules que j’avais avant. »

On sent une certaine jouissance à chanter « Le Bonheur ne me Rend pas Heureux » ?

Kent : « Tu peux le dire ! c’est vraiment jubilatoire. Je suis sur scène en ce moment et c’est un pur bonheur de chanter à nouveau avec ce background musical, je me redécouvre une virginité. »

Quand tu évoques tes collaborations (M, La Grande Sophie, Mickey 3D) tu ne parles pas d’invités mais d’ouvertures, pourquoi ?

Kent : « Je les vampirise ! j’ai des choses à apprendre dans ce métier, je tenais à me tourner vers l’extérieur. Je peux faire un disque chez moi tout seul mais il ne m’apportera rien. Parfois c’est nécessaire comme sur le précédent où je l’ai conçu à la maison seul avec mes arrangements, j’en sentais le besoin. Ce disque là je voulais exactement le contraire. Voir comment Mickey 3D pouvait faire sonner mon truc. Ce sont des gens dont j’admire l’écriture ou la production et j’étais très curieux de voir leur manière de faire. »

Apparemment certains artistes n’ont pas pu venir mettre leur petite touche sur ce disque comme Cali ou Loïc Lantoine ?

Kent : « Je les ai croisé, on s’est frôlé sans jamais se trouver un laps de temps nécessaire à faire quelque chose ensemble. C’est d’autant plus dommage pour Loïc parce que cela aurait été le seul qui m’aurait amené un texte étranger à ma plume. Mais c’est un garçon indiscipliné avec qui je passais plus de temps à boire des coups qu’à travailler, pour faire quelque chose avec lui il aurait fallu que je le kidnappe chez moi et ce n’est pas dans ma nature de procéder ainsi. »

Sur l’album tu t’imposes comme cahier des charges au niveau des textes de donner chaire à des sentiments ?

Kent : « En étant plus pudique dans le sens où je parle des autres, ces « Autres » qui existent réellement, ce ne sont pas des inventions ce qui évite le nombrilisme et quelque part l’impudeur. »

Tes chansons sont comme des esquisses de la vie courante ?

Kent : « Oui. ‘Terre de France’ est par exemple une rencontre avec des gens qui habitent en Haut de Sone. A part ‘Notre Terre’ où ce sont mes propres sentiments que j’exprime tout le reste c’est de l’examen d’autrui. »

Vie Courante dans le sens aussi qu’elle file à une vitesse incroyable, c’est le propos de « Bienvenue au Club » la première piste de l’album ?

Kent : « La vie s’accélère, on prend de la vitesse au fil des ans d’une manière exponentielle. Il n’y a rien à redire la dessus. Plus on avance en âge plus on se rend compte que les années sont courtes. C’est assez terrible parfois de se rendre compte de ça. Comme on ne peut pas ralentir on savoure toutes les secondes qui passent. Ce sont des choses qu’on ne sait pas vraiment faire quand on est enfant ou adolescent car là on arrive à s’ennuyer des minutes durant en disant c’est interminable alors que maintenant qu’est ce que j’aimerais retrouver ce temps perdu. »

Il y a une chanson très belle mais très dure qui s’appelle « Une Chose », cela a t’il été dur de l’écrire ?

Kent : « Non. On est en plein travail d’observation sur les autres et sur moi même également. Ce sont des comportements qu’on extériorise. C’était Brel qui disait qu’il ne se contredisait pas dans ses chansons mais qu’il extrapolait. Peut être que si je me suis conduit comme ça dans la vie je ne m’en suis pas rendu compte. J’aime bien raconter des chansons d’amour où l’interprète n’est pas qu’une pauvre victime qui se fait larguer, qu’on plait et auprès de qui les femmes pleurent. J’aime bien parler des mecs qui n’ont que ce qu’ils méritent ! »

Au final le collier que tu es, qui relie des univers si dissemblables est plutôt jolie et solide ?

Kent : « Je pense ne pas avoir fini d’enfiler les perles, loin de là. Quand je dis parfois que je ne sais pas quoi faire comme disque suivant c’est que je n’ai justement pas trouvé la perle mais dès que je la trouve je la rajoute au collier. J’ai côtoyé pas mal d’univers musicaux totalement distincts, qui m’ont nourri, qui me nourrissent encore et c’est bon de faire un lien de l’un à l’autre. J’aime l’idée de faire côtoyer Romain Didier et M cela montre que les clivages ne sont pas artificiels. »

Tu as toujours été friand de voyages et de découvertes, continues tu des explorations et dans quel but ?

Kent : « Avant je voyageais pour fuir d’où je venais. Fuir la France, une certaine condition de ce que j’étais, aller voir ailleurs si j’y étais, c’était une démarche égoïste. Maintenant j’y vais pour voir les autres, je regarde, c’est pas joli-joli mais cela m’est devenu impossible d’aller dans un pays pour ne voir que le bon côté. Par exemple je pars en Thaïlande parce qu’il parait que c’est vachement beau, que la plage est superbe et que la vie là bas y est tranquille mais je ne peux pas m’empêcher de prendre un vélo pour aller voir comment se passe l’arrière pays. Ce n’est plus une démarche insoucieuse. »

Tu n’as encore jamais sorti de best-of, tu me disais il y a quelques années que tu n’aimais pas ça, pourtant j’entends dire que cela va se faire ?

Kent : « Je ne suis pas prévenu en tout cas ! ou pas encore (rire). Je n’aime pas bien ça mais en même temps pour être honnête j’ai fait ma culture musicale par les compilations. C’est le bon côté pour découvrir les gens et pour l’artiste un moyen de faire un bilan mais il faut vraiment avoir beaucoup de disques, faire une compilation après deux albums comme peuvent le faire certains artistes je trouve ça risible. Ce qui m’intéresserait de faire ce sont des compilations thématiques. Avec un accès où le but par exemple pourrait être de regrouper les chansons qui parlent de voyages. Dans le même état d’esprit qu’un recueil de poésie. C’est surtout quand on est mort qu’on utilise ce biais là. (rire) »
Qu’aimerais tu laisser comme trace justement dans la chanson française ?

Kent : « J’en ai une chouette de trace qui marche plus vite que moi et qui grandit tous les jours et c’est mon fils ! après évidemment j’aimerais que mes chansons restent après moi mais je ne peux même pas te dire que cela me ferait plaisir parce que mort je crois que cela n’aurait aucune importance (rire) mais l’idée de se dire qu’on a fait une chanson qui traverse le temps c’est extrêmement gratifiant. »

Ta dernière tournée « A la Prochaine » avait un air de café concert avec des intermèdes très joués, comment va se passer celle que tu débutes ces jours ci ?

Kent : « Pour l’instant, avec cette nouvelle approche plus rock, je fais des concerts. Ce n’est pas vraiment du spectacle. Quand je monte sur scène c’est avec les Playback Boys avec ce nouvel opus en compagnie de titres anciens qu’on a totalement adaptés au son de l’album et je prends ça comme un concert en présentant les chansons très sommairement. Je n’ai pas encore cherché à faire des sketchs, je ne sais pas si je tiendrais à en faire d’ailleurs, en tout cas ce n’est pas du cabaret. »

Parallèlement à ta carrière de chanteur, tu sors ces jours ci un livre pour enfant ?

Kent : « C’est la deuxième collaboration avec un illustrateur qui s’appelle Stéphane Girel, c’est quelqu’un qui m’a contacté parce qu’il aimait mes textes, il souhaitait que je lui écrive des histoires pour enfants, le chalenge m’a plu mais il m’a fallu 2 ans avant d’avoir une bonne idée pour faire un bouquin. Ca a donné un premier livre qui s’appelait « Thomas + Matthieu » et maintenant « Le papa de Jonas ». »

Dans cette France qui perd petit à petit toutes ses valeurs de fraternité, d’égalité, de solidarité, est ce que tu te sens bien ?

Kent : « Non, ce que je n’aime pas par dessus tout c’est la résignation des vrais gens devant ces pertes de valeurs pensant qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent car c’était la gabegie avant. Quand on arrive à faire des glissements de vocabulaire pour remplacer « acquis sociaux » par « privilèges » pour rendre les gens coupables ; ou bien « licenciement par plan social » qui est quand même un euphémisme monstrueux. Un licenciement ça veut dire qu’on est à la rue alors qu’un plan social on a l’impression de faire du bien. Je suis désolé de voir combien les gens sont crédules et dupes. C’est quelque chose qui m’attriste énormément. »