Milady Renoir Vs Ernesto Timor en 14 rounds

Milady Renoir Vs Ernesto Timor en 14 rounds

Faire son entrée au Mague avec une interview d’Ernesto Timor, déjà, il faut le faire. Mais quand, en plus, on est Milady Renoir, alors là, il n’y a plus rien à ajouter. Sinon boire les images qui sourdent entre chaque ligne, à travers les mots d’un photographe très particulier dont vous n’avez pas fini d’entendre parler. Bien à vous. FVW

Qui es-tu en 3 photos ?

La photo, on commence quand ? On arrête quand ?

On commence comme on s’imbibe. Soudain on a une de ces soifs du monde tout autour, on en a marre de lorgner l’étiquette depuis des années sans y goûter vraiment, et crac je t’attrape par le goulot. On arrête quand on n’a plus soif ou que la bouteille est vide. Heureusement la cave est bien fournie.

Digital ou argentique ?

De sous la bâche où il coule des jours paisibles au sous-sol, j’entends mon agrandisseur grincer la réponse que tu attends...

Que (re)cherches-tu dans ton regard de photographe que tu n’aies pas encore vu ?

Cette question-là se tête sans fin la queue, ma camarade ! En photo, l’œil se doit d’être candide ou au moins demi-vierge, il s’agit d’être réceptif et bon public, deux doigts d’émerveillement jamais loin du diaphragme. Je ne cherche pas à voir des mondes inouïs ni même inuits, et je ne me crois pas du genre à prétendre un jour avoir tout vu à quoi que ce soit. Pas même des écailles de la peinture au-dessus de mon lit. Pas même de la laideur imaginative de ma banlieue. Pas même du fil blanc dont chacun(e) tisse son approche quand il (elle) pose pour 1/8e de seconde d’éternité. (Les photographes vifs disent 1/125e mais je suis assez abonné aux poses lentes...)

Quelle image revêt la Femme dans tes photographies comparée à tes confrères ?

Ôtez-moi cette majuscule pour commencer. Je ne me fais pas le chantre de « la » femme comme le prétendent les académiciens du nu artistique. J’espère ne jamais non plus m’en faire le chancre (mou) comme tous ces éculeurs de clichés de femme-objet à qui Internet a remis le vent en poupe. Sans que ça tourne à l’obsession (arrêtez-moi si me trompe), c’est sûr que j’aurai tendance à pousser un peu les retranchements du portrait, chercher une forme de subversion érotique sous la façade policée. Je crois que c’est ni plus ni moins que de chercher les lignes de force d’un paysage, ou la beauté déprogrammée du bordel urbain qui nous entoure. J’aime l’harmonie du déséquilibre naturel, c’est en cela que je me sens souvent atypique, ni du côté des fabricants d’images proprettes, efficaces et sans surprise (où qu’elles soient sur l’échelle de ce qui fait vendre), ni du côté des franchisés du trash qui bricolent leur meccano de morbide et de soumission sans même y penser.
Je suis ainsi fait (et je ne parle pas que du sexe, loin s’en faut) que je rencontre plus facilement les femmes que les hommes, et je vis la photo comme un vecteur assez magique de cette rencontre. Parce qu’il libère une communicaton non-verbale que personnellement je ne trouve pas si facilement autrement, parce qu’il fait voyager celui/celle d’en face aussi en lui-même et non seulement vers moi ; et puis, quand tout va bien, il reste de tout ça des petits rectangles de beauté cristallisée : pas des souvenirs, mais des sédiments à partager avec d’autres yeux bienveillants...

Sais-tu ce qu’on dit de ton œuvre ?

Pas vraiment, d’ailleurs « mon œuvre » est un mot qui sent sa dilatation des chevilles... Ceci dit, trèfle de pirouettes, l’accueil que reçoivent mes images (et parfois les pattes de mouches qui les accompagnent) est quand même une question qui de temps à autre à moi se pose. Avoir sur mon site des centaines de visiteurs quotidiens qui fouillent sans bruit mes tiroirs est une bizarrerie à laquelle je ne me suis pas encore vraiment habitué : venant d’un siècle où on exposait ses photos en papier dans un coin mal éclairé et où on passait ses nuits à se fabriquer des petits bouquins à quelques dizaines d’exemplaires, le saut est vertigineux. Mais comme je garde une mentalité un peu sauvage, je n’ouvre pas de cases à commentaires sous mes images, pas même dans le cadre de mon blog Irregular, je ne mets rien en pâture sur les forums photo, tout ça m’assomme vraiment. Donc il ne doit pas se dire grand chose, mais j’espère qu’il ne s’en pense pas moins !

Un modèle inaccessible et fantasmé à conquérir ?

Non. Je pratique davantage le fantasme d’impulsion que la conquête avec préméditation ! Mes ambitions de ce côté ne toucheraient pas aux « modèles » mais plutôt à des gens tombés apparemment d’une autre sphère, musique ou littérature par exemple, et voudraient accoster mon monde à moi. Une PJ Harvey m’intéresserait plus encore qu’une Matsuimi Max...

Quels sont tes projets actuels ? et leurs échéances ?

Après dix ans passés à ne plus vivre que du graphisme, en pratiquant la photo aussi clandestinement que si j’avais été strip-teaseur après mes heures de bureau, je me remets doucement à présenter des images aux gens de la « vraie vie ». Par exemple un livre sort imminemment, un guide érotique du Louvre dont j’ai réalisé les photographies dans un esprit de reporter discret qui m’a ravi. J’aimerais multiplier ce genre de projets, me heurter à l’écriture des autres, travailler de nouveau un peu avec de l’encre sur les doigts à défaut de révélateur...

Résolutions (double sens) pour 2005 ?

En parlant d’anneaux : rouvrir ceux de mon book en peau de VRP tannée, enfin y insérer des images qui me ressemblent sans souci des ceci ni des cela, et retourner voir quelques galeristes et rédactions de magazines, pour voir...

Des regrets d’image ?

Des remords ou des regrets ? J’ai toujours mélangé ces deux notions-là...

Collectionneur d’autres choses que des clichés ?

Hey, je ne fais pas collection ! Je ne les classe pas par sujet, ne les truffe pas de mots-clés. J’archive simplement par date pour les retrouver par la suite, vu qu’il me faut souvent des semaines ou des mois de maturation après la prise de vue. C’est drôle d’ailleurs, conserver les images sous forme numérique leur donne une espèce de précarité et de volatilité que j’aime bien. Elles ne prennent aucune place physique mais sont toujours vivantes, disponibles pour de nouvelles aventures, alors que les boîtes de tirages empilés dans les cartons, ça n’était que du poids mort dans les déménagements...

Quel est le format parfait d’une photo ?

Pas plus haut que le bord (et pourtant je réponds parfaitement à jeûn à cette interview) ! Bon, j’aurais deux mots à lui dire, à la petite Perfection... Fut un temps, celui des tirages sur cartoline dans les cartons lourds, mon matériel était lourd tout aussi bien, un bijou de mécanique suédoise, et j’en tirais des photos carrées, parfaitement carrées. Mais c’est aussi l’époque où je militais activement à la Ligue pour l’interdiction de la couleur en photographie. J’ai pas mal changé...

Que peut-on t’offrir pour ton prochain anniversaire ?

De ne pas y faire attention.

Et ton dernier mot ?

Ne te retourne pas, je crois qu’on est suivis.

Ernesto Timor vit et photographie à Paris. Il expose ses portraits de créatures et autres recherches irrégulières sur Trompe-la-mort : http://www.ernestotimor.com et photoblogue depuis un an déjà à l’enseigne d’Irregular : http://www.ernestotimor.com/irregular/

Ernesto Timor vit et photographie à Paris. Il expose ses portraits de créatures et autres recherches irrégulières sur Trompe-la-mort : http://www.ernestotimor.com et photoblogue depuis un an déjà à l’enseigne d’Irregular : http://www.ernestotimor.com/irregular/