Exposition Tomoko Takahashi

Exposition Tomoko Takahashi

Imaginez votre grenier + celui de votre grand-mère + celui de votre grande tante + celui d’un cousin farfelu, entièrement déversés dans un espace vierge et blanc par petits paquets parfaitement délimités. Branchez les vieux écrans d’ordinateurs, la lampe disco achetée pour votre première boum et les quelques jouets électriques qui veulent bien encore marcher et émettre des sons.
Vous allez basculer dans une nouvelle dimension.

L’univers de Tomoko Takahashi pourrait ressembler à peu près à cette expérience, à ceci près que les objets (plus de 7600 !) qu’elle a patiemment collectés pour la Serpentine Gallery sont choisis et positionnés avec soin selon des règles qu’elle s’impose elle-même et qu’elle communique ça et là par de petits croquis ou notes accrochés sur les murs.

Il s’agit d’objets trouvés et usagés appartenant essentiellement au monde du divertissement : plus d’un millier de cartes à jouer de toutes les tailles sont dispatchées dans la galerie ainsi qu’une multitude de morceaux de puzzle dispersés au milieu de jeux de stratégie, jeux pédagogiques ou électroniques. On y retrouve l’indispensable Monopoly mais aussi d’étranges passe-temps aux noms fantaisistes : le dinosaure déséquilibré, la puce de Fred...

Ce chaos trouve parfaitement son équilibre à travers une architecture finement élaborée. Car qui dit jeu dit règle du jeu. On en repère d’ailleurs collées ou punaisées tout au long de l’exposition : la reine de cœur compte double, passez votre tour, interdiction de manger un pion en arrière... Comme dans l’univers ludique où l’aléatoire est régulé, Tomoko canalise le hasard qu’elle suggère.

Depuis six mois, l’artiste traque des objets dans tout Londres pour composer cette installation intitulée « my play-station at Serpentine 2005 ». Quatre thèmes ressortent : le jeu et ses règles, l’apprentissage (objets provenant d’écoles, de musées, mais encore jouets pédagogiques), le travail (comprenant des objets comme des lampes de bureau, des bureaux...) et l’environnement extérieur (quelques plantes viennent rafraîchir l’ensemble, référence à Hyde Park où est située la galerie).

Les quatre espaces de la galerie sont également organisés selon quatre environnements différents : la réception comprenant essentiellement l’inventaire des objets de l’exposition, la cuisine où des jeux débordent des casseroles, le bureau installé entre des échafaudages et le jardin donnant sur le parc.

Tomoko Takahashi a travaillé directement dans la galerie, rapportant progressivement ses trouvailles et composant directement avec l’espace offert. On peut suivre toute l’élaboration de l’installation grâce à ses notes épinglées aux murs. Le process de son travail fait en effet partie intégrante de l’œuvre. Elle l’assimile à ce jeu de carte qui l’obsède : la patience. Peu à peu les cartes s’organisent et forment une composition éphémère, unique, révélant d’un coup d’œil le tracé du hasard.

Née à Tokyo en 1966, Tomoko Takahashi vit et travaille à Londres depuis le début des années 90. Elle y a été nominée en 2000 pour le Turner Prize.
Formée originellement à la peinture, elle commence dès 1994 à travailler avec des objets trouvés dans une tentative de liberté : il s’agit de redonner leur liberté aux choses trop souvent astreintes à des règles et à des usages prédéfinis. Elle y parvient par l’exacerbation de la signification des objets et par leur mise en abîme dans des contextes nouveaux.

Elle se place ainsi dans la lignée directe de Marcel Duchamp qui avait donné à son urinoir une valeur artistique en l’exposant ou de Kurt Schwitters qui, dès les années 20, utilisait des objets courants pour en faire des collages en relief, véritables sculptures environnementales comme son fameux Merzbau, 1923-1937 qui finit par envahir totalement son studio.

Plus proche de nous, on pense au travail d’Annette Messager qui s’est donné le titre de « collectionneuse » dans les années 70 par sa quête d’objets quotidiens qu’elle rassemblait et exposait sous forme d’albums personnels. Reflet d’une réalité banalisée, la collection de Tomoko Takahashi offre aussi un panorama de notre vie quotidienne et de notre environnement immédiat.

Dans son rapport à l’objet et à sa place dans notre société (elle lui trouve un second souffle), on se rapproche du travail de Bernard Lavier qui avait peint des objets utilitaires (réfrigérateur, piano, meuble...) tout en conservant leur fonctionnalité afin de démontrer la multiplicité de leurs usages.

On pourrait multiplier les exemples et références de ce travail dense et riche d’interprétation, excellente occasion de revenir sur l’histoire des ready-mades et des installations artistiques. La question cruciale étant de s’interroger sur leur place actuelle dans l’art. Celles qu’on retient ont fait avancer l’art et ont valeur d’étapes historiques. Quoi de neuf et de bouleversant dans celle-ci ? A chacun d’en juger...

Si le jugement du public n’est pas particulièrement mis à contribution, il est cependant invité à participer et à jouer avec l’artiste à l’aide d’un petit catalogue qu’il peut remplir : trouver le réfrigérateur caché, le nain de jardin ou la passoire enfouie. On est même encouragé à faire chez soi l’expérience de choisir des objets domestiques pour créer sa propre installation.

A quelles fins ?

Porter un autre regard sur ce qui nous entoure, redonner une vie à un objet usager normalement destiné aux ordures, prendre conscience du gaspillage... L’artiste ne revendique pourtant aucun message politique ou social.
Pur divertissement ?

L’ensemble de l’installation est pour le moins ludique. On est assailli de toutes parts et séduit par certains détails : la machine à couper le jambon, réduite à battre des cartes, frigidaire vomissant ses morceaux de puzzle...
Le spectateur est amené à prendre le temps, à observer, à chercher les chemins qui ont conduit à cette énigmatique installation. Petite pause dans nos vies trop rapides, parfois superficielles parce que trop denses.

Mais a-t-on besoin des artistes pour « faire un break » ? On se sent infantilisé face à ce type d’œuvre (regardez comme votre machine à laver peut se révéler attractive ! et ces jeux de cartes qu’on ne regarde même plus, ces vieux téléphones abandonnés... retrouvez votre regard d’enfant émerveillé).

Et l’anecdotique nous guette...

TOMOKO TAKAHASHI, Serpentine Gallery, Londres, 22 février - 10 avril 2005

De notre envoyée spéciale depuis Londres

TOMOKO TAKAHASHI, Serpentine Gallery, Londres, 22 février - 10 avril 2005

De notre envoyée spéciale depuis Londres