Peggy Bouchet : "Oser toujours, céder parfois, renoncer jamais"

 Peggy Bouchet : "Oser toujours, céder parfois, renoncer jamais"

Certaines rencontres méritent qu’on ne les laisse pas se perdre dans les méandres du vide internetique. Cette View, diffusée pour la première fois sur feu le site E-terview au printemps 2003 se devait de figurer hors-les-archives inaccessibles au plus grand nombre et remonter à la surface du Mague, pour notre plus grand plaisir et pour le vôtre. Pour rappel, avant cet entretien, moi qui déteste le sport, je considérais cette blonde comme une sorte de Barbie sans cervelle tout juste bonne à risquer bêtement sa vie dans un esprit vedettatif arriviste ininterressant. Et, ses réponses m’ont scotché, je suis revenu de loin, c’est une pure aventurière que j’ai découvert. Jugez-en.

1 - Bonjour Peggy, que devenez-vous depuis vos glorieux exploits subaquatiques ?

Je vais bien merci. Mais pourquoi subaquatiques ? !!! A part une douzaine de plongeons pour sauver ma peau et mon bateau lors du chavirage de ma première traversée, c’est plutôt sur l’océan, et parfois à 6, 7 mètres sur la crête des vagues que j’ai ramé, ramé, et... depuis je surfe sur les conférences, la pub...Après cela je n’ai pas eu envie de reprendre mon ancien job d’ingénieur financier export/logistique.
Avec la société que j’ai créée en 1998 j’anime des séminaires sur les valeurs communes à l’aventure et à l’entreprise : la gestion du risque, rebondir après l’échec, le bonheur de gagner, l’audace, la rage de réussir et actuellement je prépare un nouveau concept de séminaires incentive/événementiel tout en travaillant sur un projet télé, mais je l’avoue, parfois mon esprit s’évade vers de nouvelles aventures...

2 - Est ce que vous vous rendez compte que vous avez un petit problème avec votre image publique, que beaucoup de gens qui ne vous connaissent que médiatiquement pensent que vous êtes une jolie blonde qui n’a pas grand-chose à dire ?

Ah le syndrome des blondes ! De la mythologie, aux sirènes, aux top models, les blondes sont toujours critiquées, jalousées, mais font toujours autant rêver, c’est ainsi !!!
Et puis rares sont les barbies qui a 24 ans entreprennent en solitaire 5000km à la rame sans assistance tout en gérant un projet, un budget et une équipe à terre avec tous les risques que cela comporte, y compris de disparaître en mer...

Si j’en juge par les nombreux messages et témoignages reçus, hormis les amateurs de soirées à paillettes, mon aventure a été suivie et perçue très positivement en France et à l’étranger, je peux vous dire, en toute humilité, que les 7 à 77 ans m’ont remerciée de les avoir fait rêver par mon audace et mon odyssée et ensuite et surtout pour être restée nature...
Pour ceux qui ne sont pas convaincus ou qui n’auraient pas lu mon livre je dirais qu’il est très difficile en quelques minutes de faire le récit du rêve à la victoire, de deux traversées de l’Atlantique : les mois de préparation, les problèmes, les peurs, les douleurs, les moments de bonheur, les couchers de soleil sur l’océan rougi, la famille, les amis, les médias... Comment lors des interviews minutées raconter qu’après mon naufrage, entourée de requins de 4m, sauvée in extremis, à peine arrivée à terre je jurais de recommencer et je l’ai fait et réussi 18 mois plus tard. Comment en si peu de temps parler de tout ce que j’ai vécu de dur et de merveilleux avant, pendant et après mon arrivée victorieuse en Martinique. Comment en si peu de temps passer un message, parler de la jeunesse qui ose et qui gagne, ou encore de la lutte contre la mucovisidose que je marraine. Ce temps là il m’a manqué, c’est regrettable.

3 - En réalité vous n’étiez pas prête à toute cette notoriété et ces honneurs publics, vous êtes trop jeune et trop naïve, est-ce de cela que naît le problème à votre endroit ?

J’espère qu’être jeune n’est pas un reproche mais naïve là c’est de la provocation !
Vous savez quand, après une longue période de préparation, de gestion de l’équipe, des budgets techniques vous venez de passer 2 mois en mer dans des conditions parfois extrêmes avec pour seul but de réussir à tout prix, en ayant en mémoire la traversée précédente avec un fortune de mer la veille de l’arrivée, avec une crainte tenace d’être abordée de nuit par un cargo, enfin quand les proches, les médias, les sponsors qui vous suivent, et qui, à un degré ou un intérêt différent, attendent une vraie victoire, croyez moi c’est tout sauf naïf.
Même entraînée dans un tourbillon médiatique, à peine arrivée à terre, d’autres requins vous attendent, là aussi la naïveté n’a pas sa place ; mais peut-être avez-vous confondu mon côté nature, ma pudeur des gens de mer avec de la naïveté.


4 - Quelles ont été les pires expériences de ce marathon télévisuel et presse ?

La pire, je crois que c’était le 31 décembre 1999, j’étais en mer, je me trouvais à une semaine de l’arrivée, j’avais des conditions météos très difficiles : 30 à 35 nœuds de vent, mer croisée, 6 à 7 m de creux, je ne pouvais pas ramer depuis 3 jours, j’étais contrainte de rester dans mes 2 mètres de long sur 80 cm de haut, saturés en oxygène. Les coups de fil ne cessaient de se multiplier puisque mon passage à l’an 2000 était un peu inhabituel !!!! Un journaliste essayait de me contacter, j’ai décalé notre rendez-vous téléphonique pour installer mon ancre flottante et limiter ainsi les risques de chavirage, là il s’est énervé en me disant qu’il avait un direct et qu’il se foutait des conditions dans lesquelles j’évoluais, il voulait son interview ! C’est incroyable, l’évolution des moyens de télécommunications donne le sentiment de proximité et certains confondent studio et aventure, et là il y a encore des progrès a réaliser.

5 - De quoi est fait votre univers intérieur à part le sport ? Des livres, d’art, de musique, d’une vie intime très remplie ?

L’aventure, c’est davantage dans la tête qu’on puise ses forces que dans les bras. Ne croyez pas que le sport fait partie de ma vie à part entière, je suis avant tout une aventurière pas une sportive. Mais je pratique la natation, le ski, la randonnée en montagne et la voile.
Quand mes activités professionnelles me laissent un peu de temps libre, j’aime me rendre aux îles de Sein et Ouessant en bateau, longer les côtes finistériennes en voiture, c’est magnifique et tellement sauvage. Les gens ne prennent plus assez le temps de contempler. Je me rappelle une citation « on apprend à lire, on apprend à écrire mais jamais à regarder ». C’est important de laisser la place aux émotions ou de se laisser surprendre par elles.
Je viens d’acheter un livre sur Turner, un peintre anglais dont j’apprécie beaucoup la façon de capturer les lumières en mer. je regarde des dvd, je fais des dîners avec mes amis, ils font la cuisine, je suis tout sauf un cordon bleu, je réussis à coup sur la fondue savoyarde, la tartifflette du terroir (je suis native de haute savoie), et puis j’aime bien travailler avec la la radio ou la télé en bruits de fond et surfer sur le net.

6 - Ca vous a fait quoi d’avoir été caricaturée par les guignols avec votre partenaire publicitaire, vous riez facilement de vous-même ou vous avez dû apprendre ?

J’ai été caricaturée par les guignols sur le fait que j’avais cité plusieurs fois le nom de mes sponsors lors d’intrerviews en direct, c’était ma façon de leur dire merci pour m’avoir permis de réussir mon aventure. J’ai renvoyé l’ascenseur, ce n’était pas du tout dans mes contrats mais je suis une femme d’honneur. D’ailleurs, le retour média sur investissement a été très intéressant.
Est-ce que je ris facilement de moi-même : je crois que oui, même si les gens qui me connaissent savent que je suis un peu susceptible, ils prennent un malin plaisir à me taquiner. Ils n’ont pas attendu les guignols pour rire de moi. Je préfère néanmoins être celui qui fait rire que la tête de turc. L’humour est présent tant dans mes lectures (les pensées de Frédéric dard, Alphonse Allais, coluche, jean Yanne...) que dans mes dvd (le père noël est une ordure, les bronzés, le dîner de cons, la cité de la peur...) et surtout j’aime trop la vie pour ne pas en ignorer les futilités.

7 - Les gens ont-ils beaucoup changé autour de vous, avez-vous des anecdotes à ce sujet ?

Mes proches, mes amis sont restés fidèles à eux-mêmes, ils étaient présents dans les moments difficiles comme dans les moments de bonheur, ils m’ont supportée dans les deux sens du terme !! D’autres sont venus comme toujours au secours de la victoire mais ça fait partie du jeu...

8 - Comment vivez vous la jalousie des femmes à votre égard ?

Je n’ai pas le sentiment de susciter une quelconque jalousie de leur part, je crois plutôt qu’elles sont ravies qu’une femme réalise une belle aventure dans un milieu réputé macho !! Je ne passe pas mes journées à me demander ce que les gens pensent de moi, j’essaie de rester fidèle à moi-même et à mes convictions.

9 - Gérard d’Aboville ou Jacques Mayol ?

Ni l’un ni l’autre. Olivier de Kersauson, Mike Horn ou Florence Arthaud et Claudie Haigneré. J’aime cet esprit d’aventure, leur conception de l’aventure se rapproche davantage de la mienne.

10 - Je suppose que vous ne voulez pas que les gens ne gardent en mémoire que votre premier succès. Par quoi d’autre aimeriez-vous être reconnue ?

Vous parlez de mes traversées comme d’un premier disque, avec un besoin fondamental de reconnaissance. Ce n’est pas du tout le cas. Depuis toute petite j’ai toujours aimé être la première, mon défi était personnel, réussir mon rêve « tout simplement ».
Si je l’avais fait pour acquérir de la notoriété, je n’aurais pas tenu 5 jours !! Ce n’est pas la « mer académy » ! Quand seule à la tombée de la nuit, vous voyez s’éloigner la côte, vous pensez « ma petite tais toi et rame, y a plus que 4500 km ... ! ». Et si dans 20 ans on parle de moi en disant « Peggy c’est la première femme à avoir osé, la première française à avoir traversé l’atlantique à la rame en solitaire ». Ca me rappellera des moments fantastiques ! D’ici là, j’aimerais qu’on continue à me reconnaître pour mes valeurs, ma passion pour la mer et l’aventure.

11 - En fait les gens ne connaissent pas la vraie Peggy, quel genre de fille est-ce finalement, vous qui la connaissez si bien ?

Sa devise : oser toujours, céder parfois, renoncer jamais.
Ses qualités : audace, tenacité, intègrité, enthousiasme, fidélité en amitié.
Ses défauts : impatience, susceptibilité, accro au téléphone portable, mauvaise cuisinière.

12 - En quoi votre vie a-t-elle véritablement un sens ?

Elle a un sens dans la mesure où je fais ce qui me passionne, je choisis mes contraintes. Je crois que c’est ça la vraie liberté. Savoir ne prendre que l’essentiel et se débarasser le plus possible des futilités. Je veux vraiment être acteur de ma vie, et non pas figurante, passive, je veux vivre et pas me contenter d’exister !!!! Je me lance dans ce genre d’aventure ce n’est pas pour jouer avec la vie ou par goût du risque mais avant pour profiter pleinement des éléments qui m’entourent.

13 - Est-ce que vos sponsors vous chouchoutent-ils encore, vous avez été un bon petit soldat des mers pour eux. Vous avez été « un produit » rentable. Sont-ils reconnaissants les bougres ?

Ils ont roulé pour moi, j’ai ramé pour eux, chacun de nous a respecté son contrat. Quant au « produit » marketing, je remplacerais rentable par très largement bénéficiaire en retombées médias.
Reconnaissants ?
Pour la plupart ce mot n’est pas forcément approprié dans ce monde contractuel et parmi les sponsors de France le plus fidèle « Quiksilver, Roxy » a par son esprit maison conservé sa sympathie du départ et je suis toujours en phase avec « le cherche midi » qui a été et demeure un éditeur formidable.

14 - Que pensez-vous des mégalos et des narcissiques ?

Le mélange des deux est dangereux. Tout est fonction de l’amplitude et ne dit-on pas du premier qu’on peut en être atteint, donc proche de la maladie ! Bref, pour en avoir rencontré des deux, au pire je préfère le narcissique. Ce ne sont pas des traits de caractère que je cultive ni apprécie chez mes proches, sauf quand il s’agit de galéjades.

15 - C’est comment votre journée idéale, sans pression médiatique ou sportive ?

Une journée idéale c’est une journée avec de bonnes nouvelles, du soleil, des gens heureux autour de moi.

16 - Vous avez du rencontrer beaucoup de stars. Qui vous a le plus ému parmi nos vedettes ?

Parmi le showbizz le premier qui me revient en mémoire ? Thierry Ardisson. J’aime bien son côté à la fois provocateur et émouvant. Dans le passé, ses émissions « lunettes noires pour nuits blanches » étaient trop dures pour l’invité. Comme le bon vin il s’est bonifié sans perdre ses qualités premières. Pour moi c’est un vrai créatif, un bosseur et précurseur. Et puis Alain Souchon, Jean Yanne...

17 - Avez-vous conscience que vous êtes une privilégiée, un peu riche, jeune, célèbre, et reconnue pour votre travail ? C’est une sacrée chance ?

J’ai fait des choix, parfois difficiles, j’ai osé, je me sens heureuse avant tout. Celle que vous appelez « sacrée chance » est une cerise sur le gateau, une partie du bonheur, comme une récompense quand la passion et le travail rencontrent l’opportunité.

18 - Et si le début de carrière était à refaire, vous changeriez quoi ?

Rien du tout ; ces quelques 29 années, vite passées, ont été formidables. Enthousiaste de nature, je pense qu’il n’y a pas de bonnes et mauvaises expériences, on en tire toujours toujours une nouvelle force ou un plaisir. J’aime ce proverbe chinois : « ce n’est pas en marchant seulement les jours où il fait beau que l’on atteint son but ».

19 - Votre projet le plus fou, celui qui hante vos rêves bleus ?

Le plus fou ? Pouvoir me téléporter, en quelques minutes faire le tour du monde, et un peu moins fou, j’aurais aimé aller dans l’espace, ça doit être merveilleux là-haut.

20 - Par quoi avez-vous envie de terminer cette e-terview ?

A chacun son rêve.

Et si vous souhaitez continuer cette conversation je vous invite sur mon site www.peggybouchet.com.