The Pogues : back from the County Hell

The Pogues : back from the County Hell

Revenu de l’enfer...

Revenu de cette journée en 1999 où Sinead O’Connor trouva le chanteur, inerte, dans son appartement de Hampstead car il avait sniffé de l’héroïne.
Revenu de ce mois d’août 91 au Japon où le groupe fatigué des excès de leur leader, le vira sans ménagement.
Revenu de ses nombreux séjours en hôpital psychiatrique.
Revenu des ricanements des tabloïds se gaussant sans cesse de sa mort prochaine.
Revenu de tout... ou presque.

Tel est Shane MacGowan, né dans le Kent, devenu avec le temps, figure légendaire et atypique des contrées irlandaises.

A l’occasion d’une nouvelle minitournée passant par l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande avec les Pogues en décembre dernier (une avait déjà eu lieu en 2001***), c’est pourtant avec une curiosité morbide que certains fans abordent l’événement comme me le confirme un type abordé dans un pub près de Brixton Academy : « hey, it’s maybe the last chance to see him alive ! »

Cependant, avant d’être rattrapé par ses fantômes, Shane MacGowan a certainement composé parmi les plus belles chansons des années 80, de « The Old Main Drag » à « The Broad Majestic Shannon », redonnant ses lettres de noblesse à un genre considéré comme définitivement ringard : le folk irlandais.

Petit rappel : nous sommes en 1984, l’Angleterre se meurt peu à peu sous la botte de Thatcher, le rock exulte sous la férule des synthétiseurs, la bande fm est écrasée sous une musique de garçon coiffeur, le punk a, hélas, trouvé son « no future ». Dans ce paysage désolant, seuls quelques groupes (The Smiths, Blondie) arrivent à sauver la mise. Jusqu’à ce qu’arrive Pogue Mahone (« Kiss my arse » en gaélique et rebaptisé plus tard The Pogues pour d’obscures raisons de bienséance), un océan de mauvaise haleine qui va revivifier ce tableau bien morne.
Mélangeant chansons traditionnelles et folie endiablée, senteurs alcoolisées et saveurs opiacées, romantisme désuet et modernité surprenante, récits personnels et contes partant en bringue zingue, c’est la revanche des mauvais garçons sur toute la merde sirupeuse qui dégoulinait des radios (ainsi va le refrain du génial « Transmetropolitan » : « Going transmetropolitan
We’ll drink the rat’s piss, kick the shite
And I’m not going home tonight
 »)

On connaît la suite, trois albums majestueux, trois diamants noirs : « Red Roses for me » (1984), « Rum, Sodomy and the Lash » (1985, produit par Elvis Costello) et le plus abouti, « If I should Fall From Grace with God » (1988).
Peut-être assommés par le rythme épuisant des tournées et surtout par les facéties et autres ratés d’un chanteur qui n’arrive pas à assumer sa célébrité, c’est à ce moment que leur carrière prend un virage déclinant ce qui donnera « Peace and Love » en 89, disque inégal où les compositions de MacGowan se font plus rares et « Hell’s Ditch » en 1990, sursaut trop tardif pour un groupe qui avait réussi à se maintenir -et avec quel brio !- au bord d’un abysse improbable, cauchemar d’une attitude raisonnable tellement affectionnée par nombre de groupes anglo-saxons, aujourd’hui.

Après et malgré la multiplicité de leur talent, les Pogues sans MacGowan sont devenus l’ombre d’eux-mêmes : ce n’est pas que « Waiting for Herb » (1993) et « Pogue Mahone » (1995) soient mauvais, non, mais le manque d’âme se fait sentir à chaque morceau, « a cigarette without a match ».

Fi de cette destinée chaotique, en ce 22 décembre, à Londres, dans la salle de Brixton Academy, on nous le promet, ils seront tous là, y compris Cait O’Riordan (présente sur leurs deux premiers albums), pour revivre les anciennes gloires d’un passé pas encore oublié.

21h10 : le public trépigne, hurle, se gorge des dernières gouttes de bière avant l’arrivée du gang sur scène, chauffé à blanc par l’excellente (mais trop courte) performance des Flaming Stars.
« Straight to Hell », en hommage à Joe Strummer, se met à gronder, le rideau se lève, dans la fumée, les membres finissent par apparaître. Certes, les visages ont vieilli, le crâne est souvent un peu dégarni mais on les sent prêts à en découdre, portés par des spectateurs déchaînés.

Enfin, le héros arrive, un verre de gin à la main, il s’empare du micro et les deux heures que durera ce show peuvent commencer. C’est « Streams of Whiskey » qui ouvre le bal et surprise, cela fait longtemps, très longtemps que nous n’avions pas entendu MacGowan chanter aussi distinctement, qu’il n’était pas apparu en si grande forme. James Fearnley manipule son accordéon comme s’il avait vingt ans et tout le monde sourit, soulagé de retrouver ce qui semblait perdu. Les hits s’enchaînent façon jukebox : « If I should fall... », « Boys from the County hell », « The Broad Majestic Shannon », « A Rainy Night in Soho »...
On se rend très vite compte que si le groupe a besoin de lui pour s’enflammer, l’inverse est également vrai. A les écouter, on se demande d’ailleurs s’ils ne se sont jamais quittés.

Tous les quarts d’heure, MacGowan disparaît pour souffler et laisser place à l’un de ses comparses, les Pogues ont toujours fonctionné comme une démocratie. Terry Woods délivre le superbe « Young Ned of the Hill » et Philip Chevron, son poignant « Thousands are Sailing ».
Quant à O’Riordan, elle reprend d’une voix suave le magnifique « I’m a Man You Don’t Meet Everyday » et bouleverse l’audience quand arrive le tour de « A pair of Brown Eyes ».

Mais c’est bien sûr avec « Fairytale of New York » (dédicacée à la regrettée Kirsty MacColl), invraisemblable chanson d’amour sous le signe de l’alcool que le public vibre le plus, accompagnant mot à mot Shane et Cait avant que ces derniers ne se mettent à valser, titubant sous une neige de circonstance.

« Fiesta » vient conclure dans l’allégresse ce Noël avant l’heure.

Dans le métro me ramenant à London Bridge, c’est le refrain de « Sally MacLennane » qui m’accompagne et la promesse de se revoir très bientôt :

« We walked him to the station in the rain/
We kissed him as we put him on the train/
And we sang him a song of times long gone/
Though we knew that we’d be seeing him again/
(Far away) sad to say I must be on my way/
So buy me beer and whiskey cos I’m going far away (far away)/
I’d like to think of me returning when I can/
To the greatest little boozer and to Sally MacLennane
 »

L’enfer peut encore attendre.

*** : Un album live de leur précédente minitournée, en décembre 2001, devrait sortir sous le label Wea International au mois de mars prochain. Il contiendra 22 titres.

*** : Un album live de leur précédente minitournée, en décembre 2001, devrait sortir sous le label Wea International au mois de mars prochain. Il contiendra 22 titres.