Trop jeune pour Mounir

Trop jeune pour Mounir

Le nerf, c’est la queue circoncise, l’épicentre de toutes les douleurs. De toutes les interrogations aussi. Tout le reste n’est que fuite en avant, délire fantasmagorique, onirisme pluriel, punchi dans les nervures de la pensée qui divague, qui se pose et se combat elle-même jusqu’à l’explosion cellulaire. Jusqu’au KO, jusqu’au chaos.

Rachid Djaïdani est comédien, boxeur, écrivain et dans son Ecriture polysémique tout se mélange. L’acteur prend indifférement le stylo ou les gants pour crier sa haine, sa petitesse, sa toute puissance ou sa folie créative. Tout un univers référentiel revient alors à l’esprit de manière aléatoire, réminiscence du Bled et culture télé.

On est médusé, époustoufflé par cette veine cathartique qui vivifie les neurones, perpétuellement sur la corde raide, à la frontière de la nostalgie et de la crudité du temps présent. Aller de l’avant, tête contre mur. Ne jamais raccrocher les gants, aller au bout de soi-même.

Rarement un jeune auteur français n’a eu autant de moyens à sa disposition pour mettre en forme la langue et la réinventer à chaque tournure de phrase. Djaïdani est un surdoué qui écrit à vif, les tripes à l’air, dans un danger permanent. Drôle, cynique ou desespéré, il tient la corde jusqu’à la cloche, on tremble et accuse les coups avec lui. On en ressort lessivé et heureux.

Exercice sémantique de haute voltige, Mon nerf est un upercut saignant jeté à la face de la modernité des Lettres.
Sans jamais épuiser son lecteur, Rachid Djaïdani cautérise les plaies en nous entraînant dans un match tonitrueux, abattant ses cartes round après round jusqu’à la révélation finale. Mené tambour battant, on assiste à un spectacle étrange, dérangeant et fascinant à la fois.

L’histoire, la trame est un furieux prétexte. Comme toutes les semaines, Mounir, un jeune beur de banlieue, emprunte le métro pour consulter son psychiatre parisien.

Le trajet est pour lui l’alibi idéal d’une longue rêverie de promeneur solitaire, l’occasion de se remémorer sous un jour halluciné l’enchaînement des épisodes qui ont marqué sa vie, parfois jusqu’à la souffrance la plus extrême : le traumatisme de la circoncision, la figure du père, la tendresse vicieuse de Gisèle dite Gigi, la nourrice du petit garçon que Mounir est alors, et dont il découvrira bien plus tard le véritable métier vieux comme l’immonde, au hasard d’un dépucelage à 19 ans.

La lecture de Rachid Djaïdani est un électrochoc permanent. Mon nerf est le fruit d’un appétit littéraire féroce. Ils sont très peu à se battre dans la même lignée de poids stylistique que cet auteur-là.

Après Boumkoeur, Djaïdani confirme dans ce deuxième roman qu’il fait partie des tous meilleurs puncheurs de la catégorie (grande) Plume.

Mon nerf, Rachid Djaïdani, Seuil, 162 pages, 10 euros.

Mon nerf, Rachid Djaïdani, Seuil, 162 pages, 10 euros.