Interview : le photographe Christophe Mourthé

Interview : le photographe Christophe Mourthé

Si la France possède quelques éléments anarchistes dans son bataillon d’artistes, Christophe Mourthé en est sûrement un très bel exemple. Photographe de carrière, ce dernier n’a pas choisi de photographier les flancs de nos collines vaporeuses mais plutôt ceux de la femme dans sa plus trash attitude. Mais quelles femmes ! Et quelle attitude !

Précurseur du porno chic avant l’heure, Christophe Mourthé a su vampiriser les tendances des années 70 et faire du rock’n roll, du cuir et de la liberté sexuelle, l’essence même de son travail photographique. Loin des clichés chaotiques de la pin-up pour camionneur frustré, Christophe Mourthé photographie la femme totalement libérée de son enveloppe sociale : dominatrice et exacerbée, déroutante et envoûtante. Et surtout, dangereusement allumée. La folie créative du photographe est si palpable que chaque photo est un univers, un fantasme, une image qu’on découvre tout en la connaissant déjà. Le rendez-vous est donc pris expressement.

En arrivant dans le studio de Christophe Mourthé, une première surprise nous attend. Et pas des moindres. Imaginez-vous plongé dans une rivière de comics, de figurines, de jouets, de peluches, de photographies de femmes toutes de cuir vêtues entourées de casimirs tendant la main au portrait du métallissime Marilyn Manson.

On reste comme qui dirait scié. Le constraste qui habite ce studio est plus que saisissant. Le personnage qui nous reçoit, tout à fait à sa mesure. Pour ainsi dire, un enfant auquel on ne s’attendait pas. Alors entre ce bon vieux Yoda et ce cher Casimir, on se fait une place à la table du roi de la photographie trash et on se demande :

Mais d’où vient cette passion dévorante pour les jouets et figurines ? C’est incroyable...

De névroses variés. De toute façon, ce sont des bouées de secours, des protections. Et ça se mélange avec mon travail, assez bizarrement. Ou ca se mélange selon mes envies, mes humeurs. Et c’est comme ca depuis que je suis ici, c’est à dire depuis 1996. Et c’est pareil à la maison, voire pire.

Quel contraste...

Ca se mélange bizarrement, je sais pas si c’est habile mais ça se mélange.

Après Christophe le collectionneur - auquel je ne m’attendais pas du tout - venons-en à notre sujet : Qui est Christophe Mourthé, le photographe ?

Je suis quelqu’un qui a pris la photo comme prétexte - pour gagner ma vie sûrement à un moment donné - mais surtout pour me créer un univers personnel. Univers dans lequel je puisse faire figurer tous mes rêves, mes fantasmes, tout ce que j’ai vécu, tout ce que je vis, tout ce que je vais vivre. En fait, je suis devenu photographe à cause de mes rencontres. Si j’avais pu dessiner, je serais devenu dessinateur, si j’avais su sculpter, je serais devenu sculpteur. Ca aurait pu être n’importe quoi d’autre, ça ne m’aurait pas posé de problème. Mais il se trouve que c’est dans la photographie que je me suis trouvé le plus à l’aise.

Quand on travaille à 22 ans comme photographe officiel pour de grand journaux américains (Vogue, Playboy, Newlook), qu’est-ce qu’on attend de mieux pour la suite ?

De toute façon, l’essentiel c’est de toujours attendre mieux pour la suite. Je cherche toujours à faire des choses qui m’étonnent, qui me font rêver. Connaître des gens importants ou faire des choses importantes à un moment donné de ma vie ne m’ont pas blasé. Peu importe la valeur des choses et des gens que je rencontre, tout ça je le fais avant tout pour moi. Tant que mes rêves d’enfant ne sont pas terminés, tant que tout ça m’amuse et me fait vibrer, je peux continuer. Et si cela ne me fait plus vibrer un jour, comme la photo n’est finalement qu’un moyen, je pourrais faire autre chose.

Pour tes photos « Casanovas », pourquoi partir dans l’ambiance monarchie 18ème plutôt que dans l’univers de la démocratie ? Pas assez trash finalement la démocratie ?

Tout ça correspond à une culture du cinéma chez moi, à des gens que j’ai rencontré et qui, encore une fois, m’ont dirigé dans ce sens-là sans le vouloir. J’ai aussi eu une certaine éducation au niveau du théâtre et de l’image. Tu me parles du 18ème, c’est vrai que j’aurais pu tout aussi bien m’intéresser à l’Egypte ou aux Gaulois mais il se trouve que c’est plutôt tombé sur le 18ème. C’est peut-être une période à laquelle j’étais plus sensible, où les gens que j’ai rencontré en Italie comme Zefirelli m’ont fait rêver. C’est plutôt ça qui a dirigé mes choix.

On m’a laissé entendre dire que tu avais fait des pochettes ou des affiches pour des artistes célèbres ?

Oui... ça va de Mylène Farmer à Jean-Marie Bigard, de Sheila à Renaud, de Jeanne Manson à Lio en passant par Arielle Dombasle... Pas mal de gens en fait...

Et pourquoi d’ailleurs photographier Arielle Dombasle en statue de la liberté ?

C’était une commande pour Play-Boy. Arielle sortait au milieu des années 80 des films de Romers, et elle était le fantasme absolu de certains de ces amateurs. Play-boy l’avait donc démarchée pour la photographier. Et pour la petite histoire - ce qu’on ne sait pas - c’est qu’elle ne voulait plus faire ces photos, elle avait changé d’avis. Et le directeur artistique de Play-Boy m’a envoyé chez elle en dernier recours. J’y suis allé avec mes Casanovas et finalement, elle a accepté de poser.

Quand les artistes ont une certaine reconnaissance, est-ce souvent eux qui t’imposent quelque chose ?

Non, tu n’es pas un prestataire pour un chanteur et le chanteur vient pas te voir comme il va chez son boucher. Jean-Marie Bigard m’avait par exemple appellé pour faire l’affiche du Penseur. Ce qui la représentait pour lui était Le Penseur de Rodin. Donc il a amené l’idée mais après, il fallait la faire. Comment la finaliser ? Car quand il s’est vu comme ça à poil suite à une première séance photos, ça l’a pas fait du tout. Donc on a trouvé une autre solution : on lui a peint tout le corps et c’était bon.

L’œil que pose un homme sur une femme est essentiel pour qu’elle puisse comprendre à qui elle parle. Comment penses- tu que tes modèles te percoivent justement ?

En tout cas, elles me percoivent bien puisqu’elles viennent ! (rire) Je fais ces photographies avec une sensibilité à la limite de l’homosexuel donc j’ai un regard sur les femmes qui n’est pas un regard d’obsédé ou de voyeur. Et c’est évident qu’elles le ressentent et c’est aussi la particularité de mon travail. Les filles ont confiance en moi et me donnent beaucoup plus que ce qu’elles donneraient à un hétéro de base (rire). Avec le regard d’enfant que j’ai, je ne peux pas etre vu comme un vicieux. Mes modèles ici sont acquises, elles adorent passer du temps au studio. Même Michelle Torr me connaît, elle n’a même pas peur !(rire)

Quelle image revêt la femme dans tes photographies comparée à tes confrères ?

Pour la petite histoire, j’ai été élevé par une tante qui portait des mini-jupes, des ceinturons et des cuissardes. Donc si tu veux, l’image de la femme pour moi est comme ça. Mon principal objectif est toujours d’idéaliser la femme que je photographie. Et c’est ça qui m’intéresse.

Pour tes photos, tu utilises beaucoup d’objets (Christophe rit), c’est presque nécessaire ?

Non pas toujours, ce n’est pas systématique mais c’est vrai que les objets que j’utilise sont toujours des références à ma vie...

Et tu utilises le décor aussi ?

Oui, beaucoup. Une amie par exemple qui tenait une agence immobilière vendait une boucherie encore en activité. Ce qui tombait plutôt bien puisque je cherchais un studio à ce moment-là. On y a accédé un week-end et j’ai photographié une fille nue, dans une chambre froide avec de la viande. C’était vraiment sympa. J’aime bien faire des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir.

Tu as parfois des environnements violents par rapport à la douceur de la femme ?

Oui mais quand je mets une femme dans une situation extrême, je la trouve belle. Si tu la pousses à l’extrême dans un lieu, sur une pose, ou sur des talons insensés, elle se surpasse car elle a vraiment envie de le faire. On obtient toujours des choses incroyables. J’aime bien prendre une femme avec ses petits défauts et en faire une créature. J’ai l’impression de façonner quelque chose à moi. Si je prends une Carla Bruni, je n’ai plus rien à faire, je deviens un éxécutant qui prend simplement une belle fille.

Et question politique : c’est plus facile d’exposer avec un élu de gauche ou un élu de droite ?

(Rire) eh bien moi qui suis complètement anarchique ! Non mais la question ne s’est pas posée. Je me souviens que Delanoé nous a fait un mot gentil pour une expo. Nan mais c’est difficile, pourquoi tu me poses cette question ?

Parce que je trouve que il y a un certain politiquement correct qui s’est réinstallé depuis quelques années non ?

C’est sûr, on rétrogarde ! Si tu veux que je te réponde à ça comme ça, absolument. Je peux pas dire que la gauche avait permis de déshabiller plus. Mais c’est eux qui vont se faire fouetter chez les dominatrices de toute facon ! (rire)

Le profil idéal pour exposer ?

C’est plutôt l’Angleterre, la Hollande voire les Etats-Unis malgré le fait qu’ils soient cul-pincés. En France de toute manière, tu ne peux rien faire quand tu es un artiste. Quand tu gagnes de l’argent, on te reproche que tu en gagnes et caetera et caetera. En France, ton voisin ne veut pas que tu réussisses. C’est quand même hallucinant !

Mais ça ne me touche pas vraiment puisque je fais les 2/3 de mon chiffre avec l’étranger. Les seules raisons qui me font rester ici sont mes parents et ma sœur. Sinon, je me tirerais aux Etats-Unis. Ou ailleurs.

Quel est le format parfait d’une photo ?

Le plus grand possible ! (rire) Mais alors, pour redescendre... Quand tu fais une expo avec de grands formats, ça n’a rien à voir. Quand ils ont détruit l’Olympia, Bigard était le dernier artiste à faire une représentation dans l’ancienne salle. C’est resté six mois en réparation et l’échaffaudage qui était à droite de l’Olympia faisait 100 m de haut. Le penseur de Bigard était là. C’était incroyable.

Pourquoi un moins de 18 ans qui vient cliquer sur la bannière de ton site « j’ai moins de 18 ans » est directement redirigé sur le site de TF1 ?

Ha bon ??!! (rire puis se dirige vers son ordinateur)

Dis donc, tu veux bien me prendre en photo moi aussi, même si je ne me mets pas toute nue ?

Attends, elles se mettent pas toujours toutes nues ! Mais pourquoi pas ! (rire)

Christophe Mourthé sur le net

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